jeudi 25 août 2011

La jeunesse palestinienne de Gaza sceptique sur l'initiative de l'AP aux Nations Unies

Gaza - 24 août 2011
Par Mohammed Rabah Suliman
Mohammed Rabah Suliman est un étudiant et blogueur palestinien de 21 ans, il vit à Gaza. Il est diplômé en littérature anglaise et entreprendra des études supérieures à la London Shool of Economics en septembre prochain. On peut lire ses articles sur son blog, "Gaza Diaries of Peace and War" et le suivre sur Twitter @imPalestine
19 août 2011 - Avec plusieurs autres blogueurs et activistes de la Bande de Gaza, j'ai été récemment invité à participer à une courte vidéo sur la réaction des jeunes Palestiniens à l'initiative de l'Autorité palestinienne de demander l'adhésion d'un "Etat" de Palestine comme membre à part entière aux Nations Unis en septembre prochain. Chaque participant s'étant vu assigner un rôle dans la vidéo, une dispute a éclaté parmi nous quatre sur qui parlerait en faveur de l'initiative de l'AP. Nous avons découvert, à la stupéfaction du producteur, que nous étions tous catégoriquement contre.
La jeunesse palestinienne de Gaza sceptique sur l'initiative de l'AP aux Nations Unies
Les jeunes Palestiniens sont sceptiques sur toute "solution" politique qui ne résoudrait pas le droit au retour des réfugiés (photo Anne Paq / ActiveStills)
Cela aurait pu être simplement une coïncidence. A peine quelques jours plus tôt, toutefois, j'ai été réveillé par la nouvelle sonnerie dingue de mon téléphone portable. Un journaliste de la chaîne de télévision allemande Deutsche Welle a demandé à m'interviewer sur le même thème. Lorsque je suis arrivé au lieu de rendez-vous, un autre blogueur répondait déjà à l'entretien. Elle critiquait clairement l'"histoire désastreuse" de l'Autorité palestinienne et son "interminable série de bides". Elle soutenait que la reconnaissance par l'ONU d'un État palestinien ne serait qu'un chapitre supplémentaire de cette triste histoire.
Il est bien sûr difficile de généraliser à partir de deux incidents mais ils offrent un aperçu du fait qu'une grande partie des Palestiniens pensent qu'ils ont été entièrement et ouvertement marginalisés par le monopole non déguisé de l'AP sur le processus décisionnel politique palestinien. Cela ne veut pourtant pas dire que l'initiative de l'AP n'ait aucun soutien à Gaza - il y a des Palestiniens qui soutiennent l'AP et ils sont nombreux.
Les détracteurs de la candidature à l'ONU initiée par l'AP disent qu'aucun de ses partisans n'est vraiment à même de se rendre compte que l'initiative à l'ONU si peu débattue de l'Autorité palestinienne ne fait en rien avancer ses rêves non réalisés de vivre dans un État palestinien longtemps espéré, libre et indépendant. Certains Palestiniens peuvent être convaincus par la rhétorique des responsables de l'AP et croient que l'éventuelle adhésion à l'ONU est un geste hautement symbolique et un pas en avant sur la route vers l'indépendance. Mais certains observateurs plus jeunes à Gaza sont beaucoup plus sceptiques.
Marre des votes ignorés de l'ONU
Fidaa Abu Assi, blogueuse de 22 ans et diplômée de littérature anglaise à Gaza, pense qu'il n'y a rien de symbolique à aller à l'ONU pour obtenir la reconnaissance d'un État palestinien dans les lignes de 1967. Elle en a "marre" des résolutions de l'ONU qui sont restées lettres mortes et des décisions symboliques prises par l'AP en son nom.
"Certains Palestiniens se réjouissent à la pensée d'avoir enfin un État palestinien reconnu," affirme-t-elle sur son blog. "En substance, cependant, l'initiative toute entière semble inutile, ou plutôt insidieusement dangereuse." Perplexe, elle demande, "Comment pourraient-elles [les Nations Unies] reconnaître un État qui n'existe même pas ? Et attendez, l'OLP n'a-t-elle pas déjà proclamé un État palestinien en 1988 sur la base de la Résolution 181 de l'Assemblée générale des Nations Unies ?"(“‘No’ to UN Recognition, ‘Yes’ to US Veto,”, Blog Gaza in words, 22 juillet 2011).
Les positions d'Abu Assi reflètent les sentiments d'une génération qui ne recherche ni nouvelles résolutions de l'ONU ni déclarations internationales. Même pas une déclaration d'un État. Un État en soi est plutôt ce que nous voulons. Un État que nous pouvons toucher, voir et dans lequel nous pouvons vivre. Nous sommes impatients de voir la réunification des plus de 11 millions de Palestiniens qui vivent dans le monde. Nous voulons voir des faits sur le terrain et des résultats tangibles. Nous sommes avides de la terre qui a été inexorablement déchiquetée, en violation flagrante de dizaines de résolutions déjà votées - puis promptement ignorées - par cette même ONU vers laquelle l'AP se tourne maintenant.
"Nous devions oublier, n'est-ce pas ?"
Dans une lettre ouverte à un réfugié palestinien vivant en diaspora, Sameeha Elwan, blogueuse de 23 ans et assistante d'anglais à l'Université islamique de Gaza, déverse son mépris sur l'AP et sur toute déclaration d'un État palestinien dans les lignes de 1967 qui exclurait le droit au retour des réfugiés palestiniens (“To My Dear Stateless Palestinian,” blog Here I Was Born, 6 août 2011).
"Ma mère ne serait plus une réfugiée," écrit Elwan. "Elle devrait abandonner tous ses rêves de retour à Ager (un gros village palestinien à 9 km au sud-est de Ramla dans ce qui est aujourd'hui Israël). Ma grand-mère devrait arrêter de nous raconter les histoires de son village perdu près de Gaza, d'où elle a fui en 1948. Elle devrait oublier son histoire. Ce n'est plus la sienne. Elle devrait cesser de raconter l'histoire de temps en temps. Elle finira par mourir, et nous finirons par oublier, n'est-ce pas ?"
Certains blogueurs ont montré une compréhension profonde de l'histoire du conflit palestino-israélien et de ses implications pour l'avenir des Palestiniens, non seulement à Gaza et en Cisjordanie , mais aussi pour ceux qui vivent en Israël.
Un État : la seule véritable solution
Rana Baker, blogueuse de 19 ans et étudiante en Administration des affaires, elle aussi à l'Université islamique de Gaza, affirme que pour être en mesure d'appréhender le risque d'une déclaration d'un État palestinien à l'ONU, il faut replacer la question dans son contexte : le débat sur la solution de deux États. "En fait, la rue palestinienne est divisée en deux : ceux qui sont pour un État et ceux qui sont pour la reconnaissance de deux États en septembre à l'ONU," écrit Baker, qui ajoute : "Je suis pour un Etat." (“I Turn On the Fan and Sit to Write,” blog Palestine, Memory drafts and future alleys, 8 août 2011).
Baker prévient également que la candidature d’État de l'AP peut être plus menaçante pour les Palestiniens de la diaspora. "Que se passera-t-il pour les plus de 5 millions de réfugiés palestiniens qui rêvent de revenir sur leurs terres ?" demande-t-elle. "L'Autorité palestinienne n'a pas le droit de prendre des décisions en leurs noms. S'ils avaient le droit de vote, ils auraient voté contre cette candidature. C'est certain."
Derrière ces critiques, se cachent les doutes que beaucoup de Palestiniens ont sur la démarche à venir de déclaration d'un État palestinien dans les lignes de 1967. Certains s'interrogent sur la capacité à fonctionner d'un État dans la Bande de Gaza assiégée et en Cisjordanie fortement colonisée, un État totalement dépendant de l'aide étrangère. D'autres jettent un doute raisonnable sur la crédibilité des Nations Unies pour garantir la viabilité de cet État, s'il est reconnu, et pour le protéger contre la politique expansionniste d'Israël. D'autres encore qualifient la démarche à l'ONU de concession flagrante qui met fin au droit au retour des réfugiés palestiniens du monde entier. Et il y a ceux qui la considèrent comme une trahison de plus de l'AP - un geste qui impliquerait de tourner le dos aux 1,5 millions de Palestiniens qui vivent dans des conditions désastreuses et qui sont soumis à une discrimination constante à l'intérieur de l’État d'Israël-Apartheid.
Aussi variées que soient les raisons de s'opposer à la candidature initiée par l'AP à l'ONU, elles ont toutes pour origine une conviction inébranlable que les droits universels, une véritable libération et le retour, et pas "l’État" à tout prix, doivent être au cœur de nos exigences et de notre lutte. Toute solution doit permettre de récupérer en totalité les droits de tous les segments du peuple palestinien - ceux qui vivent sous occupation en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, ceux qui vivent à l'intérieur d'Israël et les réfugiés qui attendent de rentrer.
Et il est aussi clair que de plus en plus, beaucoup de jeunes Palestiniens croient que ces droits ne seront obtenus que par la solution d'un seul État qui mettra fin à l'apartheid israélien et qui garantira l'égalité et la justice pour tous.
Traduction : MR pour ISM