jeudi 25 août 2011

Jamal Juma : "L’autorité Palestinienne tue la résistance populaire"

mercredi 24 août 2011
Entretien de Jamal Juma, l’un des principaux leaders de la résistance populaire en Cisjordanie, avec Ida Audeh, contributrice de « The Electronic Intifada », dans lequel il souligne le peu d’implication de l’Autorité Palestinienne (AP) dans la résistance populaire s’agissant des zones de la Cisjordanie placées sous son contrôle, des démarches en vue de faire reonnaître un Etat palestinien par l’ONU, et du rôle de la diaspora palestinienne dans la libération nationale.

La résistance populaire a empêché l’achèvement du mur israélien dans la Cisjordanie occupée. (photo Anne Paq. Active Stills.)
"Jamal Juma’ : « L’AP tue la résistance populaire » / The Electronic Intifada
Peu de Palestiniens s’identifient aussi intimement à la lutte contre le mur israélien en Cisjordanie que Jamal Juma’. Le coordinateur de la Campagne palestinienne contre le Mur d’Apartheid depuis sa création en 2002, Juma’ a souffert à cause de ses activités politiques. Il a été emprisonné à la fin 2009 et début 2010, mais après sa libération il a travaillé sans relâche contre un projet qui a été déclaré illégal par la Cour Internationale de Justice.
Ida Audeh : Cela fait neuf ans depuis le début de la campagne contre le mur. Qu’en est-il de vos objectifs ?
Jamal Juma’ : Nous avons voulu faire arrêter la construction du mur, démolir les parties qui avaient été construites et restituer leurs biens aux agriculteurs qui en avaient été dépossédés. A ce propos, ces objectifs étaient identiques aux recommandations de la Cour Internationale de Justice en 2004. Depuis 2004, nous appelons à un boycott d’Israël.
IA : Selon un rapport récent de l’ONU intitulé « Mise à jour des Obstacles ; sept ans après l’avis consultatif de la Cour Internationale de Justice sur la Barrière, environ 30% du mur restent à construire. L’achèvement du mur est-il plus lent que prévu à l’origine ?
JJ : La résistance populaire a joué un rôle décisif qui a retardé l’achèvement du mur. Quand Israël a commencé à ériger le mur en 2002, le projet était de le terminer pour 2005. A l’époque, le gouvernement parlait d’un mur de 650 à 700 km. La construction a été arrêtée dans certaines régions en raison de la résistance par les communautés touchées. Des actions en justice ont été engagées qui ont pris six ou sept mois, période pendant laquelle toute la construction a été mise en attente. Ainsi le délai a été repoussé de 2005 à 2008. En 2008, il a été remis à 2011. Et cette année la construction n’a pu être terminée non plus, de sorte que le nouveau délai semble être 2020. Il est prévu que la longueur du mur atteigne 810 km.
IA : Comment avez-vous agi par rapport à l’avis de la Cour Internationale de Justice ?
JJ : La décision a été rendue à la lumière du droit international, et ceci a produit un impact énorme au niveau mondial sur la question du boycott d’Israël. La décision a donné une base juridique aux militants du monde entier qui travaillaient sur le mur, sur les colonies et sur Jérusalem parce que la décision touchait à toutes ces questions. Les militants pourraient fonder leurs appels au boycott et faire tomber le mur en s’appuyant sur cette décision du tribunal. L’aspect politique officiel est à noter. La pression a été mise sur l’Autorité Palestinienne et sur l’Organisation de Libération de la Palestine pour que la décision reste lettre morte et qu’elle ne soit pas suivie d’effet. Donc la décision a été gelée et n’a jamais été à ce jour soumise au Conseil de Sécurité des Nations-Unies.
Aujourd’hui, plus que jamais, après la fermeture totale des horizons politiques et l’abandon de ce qui est considéré comme des négociations, étant donné la position claire et sans ambigüité des Etats-Unis en faveur des colonies, nous disons aujourd’hui que nous devons amplifier la contestation. Nous devons commencer une lutte mondiale dans l’arène du droit international. La première chose que l ’Autorité Palestinienne doive faire est de se saisir du droit international et exiger son application au sein du Conseil de Sécurité et des autres instances internationales.
IA : Pensez-vous que la campagne est efficace pour mobiliser les gens localement ? Ramallah semble être dans une bulle. Budrus et d’autres villages dans le district de Ramallah, semblent avoir choisi à se débrouiller avec le mur par eux-mêmes.
JJ : En tant que mouvement de résistance populaire, un de nos objectifs les plus importants est de trouver un moyen d’impliquer les forces nationales afin qu’elles pèsent de tout leur poids derrière la résistance populaire et qu’elles en fassent leur unique priorité. Tout le monde parle de résistance populaire, mais en pratique personne ne passe à l’action.
Une autre raison pour laquelle des endroits comme Bil’in et Budrus résistent seuls est la suivante : 7O% de la population de la Cisjordanie est en zone A, laquelle est sous le contrôle de l’AP, et on l’empêche de s’engager dans la résistance populaire. Au moins 95% des camps de réfugiés sont en zone A, tout comme les plus grandes villes. La position de l’AP est que quiconque veut résister ne doit pas être en zone A, comme si la zone A était libérée. Ceci est l’une des raisons qui s’avèrent être fatales pour la résistance populaire. Parce que quand on exclut 70% d’une population, la résistance populaire ne se trouve pas soutenue.
(NDRL : Selon les accords d’Oslo de 1993, la Cisjordanie a été divisée en zones A, B et C. L’AP a une autonomie limitée en zone A ; la zone B est sous contrôle conjointement israëlien et palestinien. Quant à la zone C qui couvre 6O% de la Cisjordanie, elle est contrôlée par l’Administration Civile Israélienne. )
Ainsi les villes de la zone C, qui sont dans le tracé du mur, peuvent porter l’affaire du mur devant la justice. Mais essayez donc de vous rendre en zone A et vous trouverez devant vous les forces de sécurité palestiniennes. Nous devons surmonter cela. S’il y a un militantisme national, il doit y avoir la possibilité d’établir une stratégie de travail national. Je dis que sur chaque pouce de terre occupée, nous avons le droit d’organiser notre résistance.
IA : Pourquoi nos marchés sont-ils toujours approvisionnés en produits israéliens ?
JJ : Depuis longtemps maintenant, nous appelons au boycott total des produits israéliens. Puis l’AP a annoncé le boycott des seuls produits des colonies israéliennes. Ceci permettrait d’éliminer tout de même un tiers des produits israéliens sur notre marché, et s’ils sont éliminés complètement, en pratique, cela élimine plus de 50% des produits israéliens, car de nombreuses compagnies israéliennes travaillent grâce aux colonies. Mais dans quelle mesure l’AP a-t-elle maintenu le cap ? On a le sentiment que l’AP a baissé les bras et mis une sourdine à cette initiative. Donc actuellement, elle modère les exigences et essaie de tuer le projet. Celui-ci, je le rappelle, consister à déclarer qu’aucun produit israélien ne serait plus accepté d’ici la fin de l’année 2010, mais en fait il y a actuellement davantage de produits israéliens, et non moins. Le Ramadan approche et la plupart des denrées pour le Ramadan proviennent des colonies. C’est ce que disent les gens. Je n’ai pas d’étude chiffrée.
IA : Alors, que faites-vous face à ça ?
JJ : Nous avons une campagne populaire de boycott qui a lancé des actions dans les villes et les villages. Il y a des groupes qui vont dans les magasins, les institutions, les zones commerciales et ils disent aux propriétaires de ne pas stocker de produits israéliens. Nous abordons cette question dans les colonies de vacances et nous avons eu pas mal de succès avec les cafétérias des universités. Cela représente un énorme effort mais maintenant beaucoup d’entre eux ne vendent pas du tout de produits israéliens. Nous essayons de faire la même chose avec les écoles, grâce à des messages le matin et d’autres moyens. La question n’est pas simple ; il faut beaucoup d’efforts de la part de nombreux groupes travaillant ensemble, de la part des syndicats, des comités de femmes et des syndicats d’étudiants.
IA : Le boycott des produits israéliens doit être difficile à mettre en place lorsque vous avez des entreprises économiques, comme Rawabi, le projet de développement immobilier dirigé par le Palestinien Bachar Masri qui implique des entreprises israéliennes.
JJ : La classe moyenne palestinienne est en train de disparaître. Beaucoup de grandes compagnies et certains particuliers ont pris le contrôle de l’activité économique. Malheureusement, ces grandes compagnies ont une influence politique et sont en contact avec les acteurs politiques et peuvent déjouer toute forme d’action nationale. Lorsqu’on travaille pour un boycott, on marche sur les plates-bandes des mafias locales qui ont une influence politique. Elles sont prêtes à vous couler.
IA : En juillet, le chef de l’AP, Mahmoud Abbas, a accueilli le président grec à Ramallah, apparemment indifférent à l’indignation qu’une telle démarche provoquerait vu l’attaque sans ménagement dont le gouvernement grec s’est rendu coupable.
IA : C’est une décision vraiment horrible. La direction palestinienne n’a pas le droit de se comporter de cette manière. En faisant ça, elle insulte son propre peuple .
La grande question concernant les dirigeants palestiniens est de savoir pendant combien de temps encore ils vont miser sur les Américains. Nous avons besoin d’une évaluation réelle de la stratégie passée et d’un accord pour une nouvelle stratégie. Je ne crois pas que la situation politique actuelle, la configuration politique actuelle et les forces nationales soient capables de faire ça. Pour cette raison, nous avons besoin de pressions nationales et internationales de la part de nos amis pour développer de nouvelles stratégies afin de soutenir et activer la résistance populaire dans toute la Cisjordanie, et pas seulement dans la zone C ou les zones près du mur, et d’être organisés et avoir des chefs unis.
Nous avons besoin d’activer la solidarité internationale et le droit international dans deux domaines : obtenir des chefs palestiniens qu’ils soutiennent pleinement et sans équivoque un mouvement de boycott international et exigent que le monde impose un boycott et des sanctions contre Israël. La résolution concernant le mur doit être portée devant l’ONU et le Conseil de Sécurité. La résolution Goldstone (sur les crimes de guerre d’Israël à Gaza) doit être appliquée. Il y a des dizaines de résolutions, notamment la Résolution 181 et la résolution concernant le droit au retour. Toutes ces résolutions doivent être abordées à l’ONU.
IA : L’intention de l’AP d’aller à l’ONU en septembre et de demander la reconnaissance d’un état palestinien. Etes-vous d’accord avec cette approche ?
JJ : Nous sommes en discussion avec les forces nationales et les forces de gauche, les institutions démocratiques ainsi que celles des droits de l’homme palestiniennes (et les organisations de la société civile). Nous avons produit un document de travail qui expose nos positions. Nous avons voulu obtenir un point de vue juridique tenant compte de ce que dit le droit international. Nous avons conclu que nous devons en fait aller à l’ONU, mais pas en vue d’établir un Etat sur les frontières de 1967. Nous devons exiger que les membres de l’OLP soit élevés au rang d’Etat. L’approche actuelle auprès de l’ONU n’aborde pas le droit au retour (des réfugiés palestiniens), ni les droits des Palestiniens, ni ceux de l’OLP.
Nous allons poursuivre ces objectifs et tenir des réunions dans tous les districts. Nous essayons d’arriver à une position que nous puissions soumettre à la discussion publique et d’informer les gens sur ce qui se passe dans les villes, parce que personne ne raconte au public ce qui s’y passe. Les gens ne savent pas ce que veut l’AP.
IA : Quel rôle voulez-vous voir les Palestiniens jouer en Occident ?
JJ : Nous voulons voir les Palestiniens de l’étranger agir non pas par loyauté envers le Fatah ou le Hamas, mais plutôt par loyauté à la cause et tout ce qui la sert. Sinon, la première chose qui est menacée, c’est le droit au retour. C’est cette question qui est ciblée. Les Palestiniens de l’étranger doivent être conscients de cela et s’organiser en conséquence, sinon, il sera sacrifié.
Nous sommes dans une phase très dangereuse. Nous sommes dans une impasse. Il doit y avoir une vraie prise de conscience palestinienne. Les Palestiniens de la diaspora pourraient revoir les moyens et faire pencher la balance. Ils sont 70% de la population palestinienne, et ils sont ceux qui doivent faire entendre leur voix. Ceux qui sont ici (en Cisjordanie et à Gaza), sont les otages des occupants et des Américains. Ceux qui vivent à l’étranger peuvent coordonner leurs exigences et travailler avec tous les militants ; L’énorme effort mis en avant par le lobby sioniste et son chantage sur les organisations internationales exige une force de contrepouvoir, un effort concerté. Afin de faire face aux défis, nous devons nous organiser et savoir ce que nous voulons.
*Ida Audeh est une Palestinienne originaire de Cisjordanie qui travaille en tant que rédactrice technique à Boulder, dans le Colorado. Ses éditoriaux et ses articles sont publiés par « The Daily Camera », « The Electronic Intifada », « Countercurrents » , « Counterpunch ». Elle peut être jointe sur Idaaudeh@yahoo.com
Ida Audeh, « The Electronic Intifada, Ramallah, 8 août 2011-08-23
http://electronicintifada.net/conte...
(Traduit par Christian PETIJEAN)
CAPJPO-EuroPalestine
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