vendredi 15 avril 2011

Hébron en première ligne

Hébron - 14 avril 2011
Par Issa Amro
Issa Amro vit à Hébron. Il est ingénieur en électricité, militant pour les droits de l'homme et un des leaders de sa communauté. Il a créé plusieurs projets et initiatives pour la jeunesse.
Les problèmes d'Hébron ont commencé à partir de 1967. L'armée a travaillé dur pour construire la colonie Kiryat Arba et ensuite, les colons et les soldats sont venus vivre à l'intérieur d'Hébron, la transformant en ville occupée. Nous avons commencé à ressentir les difficultés lorsqu'ils ont créé des colonies au cœur de la ville. Au début des années 1980, des colons ont commencé à venir du monde entier. Ils traitaient les Palestiniens comme des esclaves et des animaux, des humains de quatrième zone, seulement là pour qu'on puisse se servir d'eux.
Hébron en première ligne
Arrestation d'Amro en mars dernier à Hébron (photo Joseph Dana)
Tout ceci n'était pas vraiment évident jusqu'en 1994 et le massacre de la Mosquée Ibrahimi, lorsqu'un colon fanatique a tué 29 musulmans. Après ça, nous avons été punis. La politique d'apartheid a été appliquée de façon plus visible, avec la fermeture de la Rue Shuhada et de beaucoup de commerces locaux. L'armée a divisé la Mosquée Ibrahimi et a confisqué les jardins.
Mes activités de résistance ont commencé en 2003. L'armée avait fermé l'Université d'Hébron, où j'étais étudiant. Ils ont fermé les grilles et nous ont dit "allez dans les rues, vous n'aurez aucun avenir ici." C'est ça qui m'a décidé. Je lutterai, de façon non violente.
J'ai eu la chance d'être guidé par un spécialiste en militantisme. Avec lui, j'ai discuté de planification stratégique et d'une méthodologie pour voir comment rouvrir notre université. Un jour, nous y sommes entrés par effraction, nous avons ouvert les portes, nous avons commencé des cours et nous nous sommes mis à étudier par nous-mêmes. L'armée est arrivée peu de temps après, alors nous avons campé à l'extérieur, sous une tente que nous avions installée. Nous avons appelé nos amis internationaux et les médias. Nous leur avons expliqué l'importance qu'avait pour nous notre université. Six mois après, elle a fini par rouvrir.
Pour moi, ça a été un encouragement à continuer jusqu'à aujourd'hui. Je comprends quand les Palestiniens sentent que la résistance est sans espoir. L'armée israélienne ne fait pas la distinction entre manifestants non armés et ennemis armés. Ils ont une loi qui interdit les protestations sous toutes leurs formes. S'opposer à eux, c'est provoquer la machine à tuer.
Je ne critique aucune forme de résistance. C'est notre droit. Je suis la voie non violente pour deux raisons principales. D'abord, je veux que notre communauté reste pacifique. Comme l'a dit Gandhi, utiliser la violence pour se débarrasser d'un oppresseur "établit un modèle de violence." Ce n'est pas notre voie. Ensuite, par la non violence, nous pouvons avoir une participation massive de toutes les communautés plutôt que des individus.
La non violence est un danger pour l'occupation. Comment je le sais ? Entre avril 2010 et maintenant, j'ai été arrêté pas moins de dix fois, ce qui me fait dire que nos méthodes marchent. L'armée n'est pas entraînée pour gérer la non violence, comme les autorités égyptiennes ont été incapables de gérer les mouvements de la jeunesse. Ce n'est qu’une question de temps, et de volonté, avant que nous voyions un résultat similaire ici. Lorsqu'ils m'arrêtent, ils essaient de me dépeindre comme un terroriste. J'ai été accusé d'attaquer des policiers et des colons, de voler leurs fusils, et d'autres crimes qui collent avec leur image des Palestiniens. Être arrêté ne me décourage jamais, mais c'est très dur pour ma femme et ma famille. Nous savons tous qu'à cause de mes activités, ma sécurité est menacée.
L'armée a trouvé un nouveau crime pour m'accuser : "incitation". C'est un terme tellement vague qu'on peut l'appliquer à n'importe quoi, en particulier aux protestations. Il renferme la menace d'une peine de prison et a été utilisé pour emprisonner Abdallah Abu Rahmah en 2009. La création de cette loi permet aux plus hautes autorités israéliennes et au système judiciaire d'autoriser, et même de promouvoir, un racisme institutionnel. La loi elle-même est raciste. Si l'incitation signifie quelque chose, pourquoi ne pas s'en servir contre le ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman qui parle de tuer les Palestiniens, plutôt que contre moi, qui exerce mon droit à manifester pacifiquement ? Nous voyons les lois racistes tous les jours à Hébron, où nous sommes sous loi martiale, et où nos voisins colons sont sous la loi civile israélienne.
Nous nous tournons vers les dirigeants internationaux pour nous aider dans notre lutte contre les colonies, et nous avons été choqués par le récent véto américain (d'une résolution des Nations Unies les condamnant). Les dirigeants étatsuniens annoncent qu'ils sont contre elles, mais quand on les teste, on voit bien qu'ils soutiennent Israël aveuglément.
Nous devons donc le faire nous-mêmes. Je représente le groupe Youth Against Settlements (La jeunesse contre les colonies) à Hébron, qui comprend le Projet Tel Rumeida, qui donne aux familles les moyens de gérer les effets quotidiens de la présence des colons. Notre travail consiste à empêcher le transfert des Palestiniens de leurs foyers et est une barrière contre les tabassages, les vols et les violations des droits si communs ici.
Car nous faisons face à une opposition complexe et déterminée. Le gouvernement israélien sait s'y prendre pour utiliser les colons. Ils essaient de dire qu'Hébron est importante pour l'histoire religieuse, mais ce que j'entends des colons, c'est que c'est une étape avant de prendre Naplouse, Ramallah et toute la Cisjordanie . Hébron est sur la ligne de front. S'ils réussissent ici leur campagne de nettoyage ethnique sous la bannière de la religion, ils passeront à de nouveaux objectifs.
Mais je suis très optimiste sur l'avenir. Nos manifestations Open Shuhada Street (ouvrez la rue Shuhada) attirent les gens par milliers. Notre mouvement grandit et nous aurons bientôt un nouveau groupe Youth Against Settlements à Ramallah. Nous avons besoin que des Palestiniens de toutes les villes et les villages nous rejoignent et nous soutiennent. Sur la question des colonies, notre unité est totale et nos mouvements d'activisme des jeunes se développent. Les campagnes internationales de boycott contre les colonies doivent continuer car elles sont déjà efficaces.
Ce n'est qu'une question de temps avant que nous voyions notre propre soulèvement de masse non violent, comme dans les autres pays arabes. Une nouvelle génération se rassemble pour refuser la violence et l'injustice de la colonisation. Je pense que cela se produira l'an prochain.
Retrouvez le groupe Youth Against Settlements sur Facebook.

Traduction : MR pour ISM