mercredi 3 novembre 2010

Le peuple parle


Gaza - 02-11-2010
Par Eva Bartlett 
L’accent mis sur les mouvements populaires en Palestine continue de prendre de l’ampleur, grâce aux manifestations non violentes de plus en plus nombreuses à Gaza, en Cisjordanie occupée et à Jérusalem Est occupée, et à l’appel palestinien de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) contre Israël. Des années de manifestations dans toute la Cisjordanie occupée contre le mur israélien ont fini par susciter l’intérêt des médias sur la question du mur et de l’annexion des terres palestiniennes. Pourtant les caméras continuent d’ignorer le travail des syndicats palestiniens, des groupes BDS palestiniens et internationaux, les vidéos-conférences rapprochant la Palestine du monde extérieur et la lutte des étudiants palestiniens pour accéder à l’éducation.
















Le 20 juillet 2010, le site d’information des Nations-Unies, IRIN, a rapporté qu’environ 39.000 enfants palestiniens de Gaza ne pourraient pas étudier faute d’écoles, suite à la destruction ou aux graves dommages causés aux 280 écoles et jardins d’enfants par la guerre israélienne de l’hiver 2008-2009, et l’impossibilité continue de réparer ou de reconstruire à cause du siège israélien sur Gaza et du manque de matériaux de construction.
Les Nations-Unies indiquent également que 88% des écoles gouvernementales fonctionnent selon un système de roulement, mais que les classes sont quand même surchargées.
Dans la foulée des protestations populaires contre le sommet du G-20 à Toronto, et en ramification au Forum Social Mondial annuel, le premier Forum Mondial de l’Education en Palestine (FME) a débuté le 28 octobre en Palestine historique pré-1948. De Jaffa à Nazareth, Jérusalem, Bethléem et la Bande de Gaza, des forums sur l’éducation et la culture palestinienne se sont poursuivis jusqu’au 31 octobre.
Nommés « L’Education pour le Changement », les forums ont traité de l’éducation – dont l’alphabétisation des adultes et l’égalité des genres dans l’éducation primaire – mais ont fouillé plus avant dans des sujets spécifiques à la Palestine : l’occupation et l’émancipation, les besoins psychologiques des étudiants palestiniens traumatisés par l’occupation et la guerre, le maintien de l’histoire et la culture palestiniennes en première place des programmes scolaires, les obstacles physiques et bureaucratiques à l’enseignement universitaire en et hors Palestine, et les moyens innovants utilisés par les Palestiniens pour s’instruire sous dix décennies d’occupation.
« L’enseignement n’est pas seulement un droit humain fondamental, un droit qu’on ne peut ni reporter ni négliger en période de conflit ou d’urgence, mais il a aussi un rôle clé à jouer dans la protection et le soutien des vies des enfants et des jeunes, » dit le docteur Mazen Hamada, de l’Université Al-Azhar de Gaza, et l’un des organisateurs du FME à Gaza. « Les conséquences du siège sur la Bande de Gaza ont dépassé les secteurs économique, agricole, sanitaire et environnemental pour toucher aussi celui de l’enseignement. Les réussites universitaires des étudiants à tous niveaux ont diminué après la dernière guerre contre Gaza, et le nombre des étudiants qui ne fréquentent pas les cours a augmenté. »
Hamada note que la simple mesure du siège d’interdire le papier et le matériel éducatif nécessaires aux écoles affecte la capacité des étudiants à étudier. Il ajoute, « A cause du siège, de nombreux parents sont sans emploi et ne sont pas en mesure de couvrir les frais de scolarité de leurs enfants à l’université et à l’école. Et des étudiants ne peuvent pas poursuivre leurs études à l’étranger, pas plus que les professeurs ne peuvent participer aux conférences internationales ni faire des formations complémentaires à l’étranger. »
Le Forum Mondial sur l’Education en Palestine, sur ses quatre jours de forums et d’événements, a traité de ses problèmes, tout en réitérant la nécessité d’inclure la culture et l’histoire palestiniennes dans les programmes et les activités.
« Quand j’étais étudiant, nous avons étudié l’histoire et la géographie égyptiennes, nous n’avons jamais vu la moindre carte de la Palestine à l’école, » dit Abu Arab, 30 ans, au sujet de ses études à Gaza sous contrôle égyptien. « La culture palestinienne ne faisait alors pas partie du programme, en particulier parce que les Israéliens censuraient toute information qu’ils ne voulaient pas que nous étudiions. »
« Assez ironiquement, j’ai plus appris sur la Palestine lorsque j’étais en prison, » dit Abu Basel. « J’ai été emprisonné par les Israéliens lorsque j’avais 16 ans et je n’avais pas encore fini mes études secondaires. Comme ils m’ont gardé pendant neuf ans, j’ai fini mes études en prison. »
Comme beaucoup de Palestiniens, Abu Basel a utilisé son temps d’incarcération pour étudier grâce aux autres détenus qui avaient terminé leurs études. « Certains avaient fini le circuit universitaire, certains avaient leurs maîtrises, d’autres avaient étudié à l’étranger. Nous étudiions ensemble, en groupes de travail. Nous avons aussi étudié l’histoire palestinienne et le sionisme. »
Un problème spécifique au FME-Palestine est celui de l’accès : toutes les frontières de la Palestine étant contrôlées par Israël et l’Egypte, les autres moyens de communication et de participation sont vitaux. Avec la participation de groupes du Japon, du Canada, d’Amérique Latine, d’Afrique et d’Europe, le FME-Palestine a eu recours à des vidéos-conférences et des liaisons directes par Internet, comme des ateliers interactifs, des visites à des lieux importants et des sessions culturelles.
A Gaza, les participants se sont joints à une manifestation populaire à Beit Hanoun, au nord de la Bande ; ils ont aussi rencontré des pêcheurs dont les moyens de subsistance ont été détruits par le siège et par les attaques des navires de guerre israéliens dans les eaux de Gaza.
Pour les agriculteurs vivant dans la zone tampon, la nécessité de renforcer l’enseignement et la compréhension internationale n’est pas simplement la question de l’avenir de leurs enfants mais aussi de leurs moyens de subsistance, systématiquement détruits par les invasions israéliennes.

L’école élémentaire Garrara, au sud-est de Gaza, est une de celles, nombreuses, qui rencontrent de multiples problèmes sous le siège et les attaques des soldats israéliens le long de la frontière. « Nous sommes à un kilomètre de la frontière et régulièrement, les soldats israéliens tirent sur les étudiants, » dit Umm Mohammed, qui enseigne dans cette école. « Beaucoup de nos élèves ont des camarades de classe qui ont été tués ou blessés par ces attaques, et cela affecte leur état psychologique et leur capacité à étudier, » dit-elle.
L’école elle-même est toujours en ruines après la guerre israélienne contre Gaza, et beaucoup d’écoliers étudient sous des tentes.
« L’arme des enfants contre l’oppression, c’est l’éducation. On met fortement l’accent sur l’enseignement de leurs droits universels, pour qu’ils n’oublient jamais qu’ils ont droit à beaucoup plus qu’à ce qui est limité aujourd’hui, » dit Anum Jubreen, enseignante et formatrice en droits des femmes.
Hala Rizig, organisatrice du FME, est heureuse des événements.
« Le forum lui-même a été bien organisé et coordonné, et ce fut une occasion rare d’être en lien avec des universités de Cisjordanie et de pays internationaux. En même temps, Israël noue des liens avec des gens dans le monde entier, alors qu’il nous prive du partage des ressources et de l’enseignement, » dit-elle.
Il y a dix ans, le Forum Social Mondial a été créé pour promouvoir des notions de développement durable, de commerce équitable et de justice sociale. Le FME-Palestine, par nécessité, s’est concentré sur des questions éducatives urgentes à portée de main, mais il s’est également attelé à la connaissance des activistes de la base populaire, les groupes de la société civile, et les éducateurs, citant l’éducation comme moyen de résistance, pour la paix et l’égalité.
Le Docteur Hamada, d’Al-Azhar, considère le résultat comme positif. « Le FME est une bonne opportunité pour des échanges d’informations et d’expériences entre les Palestiniens et les autres organismes internationaux d’éducation pour améliorer le système éducatif et les méthodologies d’enseignement en Palestine, » dit-il.
Mohsen Abu Ramadan, le principal organisateur du FME et chef d’un réseau d’ONG palestiniennes, dit que l’événement a été réussi et nécessaire.
« Jusqu’à ce que nous obtenions notre liberté d’instruction, notre droit à l’éducation, notre liberté d’expression, nous demandons à la communauté internationale et la communauté universitaire d’imposer le boycott, le désinvestissement et les sanctions contre les universités israéliennes, jusqu’à ce qu’Israël accepte et applique le droit international sur les territoires occupés, » dit-il.
« A Gaza, nous sentons réellement un lien, par le FME, avec la communauté universitaire internationale. Maintenant, la solidarité internationale a énormément augmenté. »
Comme une déclaration du FME-Palestine le rappelle à chacun, « Transformer le monde et libérer l’humanité du colonialisme, du racisme et de l’exploitation requiert une population en lutte et instruite. C’est la raison pour laquelle l’éducation est un outil indispensable de libération. »

  Traduction : MR pour ISM