Saleh Al-Naami - Al-Ahram Weekly
          Les factions palestiniennes n’ont pas toujours accordé une  attention suffisante aux leçons de l’Intifada Al-Aqsa. Ne peuvent-elles  être tenues pour responsables de leurs échecs stratégiques, demande  Saleh Al-Naami ?         
 
 La plupart du temps, ce sont les civils palestiniens qui furent la cible des représailles militaires israéliennes...
Hassan Al-Rabie, 32 ans, s’est rendu jeudi dernier, dans  son fauteuil roulant, de son domicile dans le district d’Al-Zeitoun à  Gaza ville où se tient le siège d’un organisme de bienfaisance, pour y  percevoir les allocations mensuelles pour sa famille.
Al-Rabie, paralysé à vie après avoir été la cible d’un  soldat israélien en 2005 alors que l’Intifada Al-Aqsa tirait à sa fin,  va au début de chaque mois recevoir une aide versée à l’organisme par un  Palestinien expatrié.
Selon les dossiers médicaux et les informations des  organisations des droits de l’homme présentes dans les territoires  palestiniens, l’Intifada Al-Aqsa a laissé quelque 1 000 personnes  handicapées, 4 000 tuées et environ 10 000 blessées, en plus des  milliers d’autres qui furent arrêtées par les forces d’occupation  israéliennes.
Au dixième anniversaire du soulèvement, beaucoup  aujourd’hui se demandent, après tant d’immenses sacrifices, si les  Palestiniens ont réalisé politiquement des progrès, ou s’ils sont  toujours à mille lieues d’atteindre leurs objectifs.
Les factions palestiniennes et leurs dirigeants n’ont  pas pris cette question suffisamment au sérieux et pendant la dernière  décennie, disent certains, ils nous ont resservi des discours populistes  sans trop se préoccuper ni de la réalité ni de la raison.
L’Intifada est également associée à de nombreux morts  chez les colons israéliens et elle a, à l’époque, érodé le sentiment de  sécurité individuelle des colons. L’économie d’Israël a aussi pâti de  l’Intifada, et l’immigration juive vers la Palestine a chuté.
Toutefois, de tels développements n’ont pas réussi à  redonner du pouvoir aux Palestiniens. L’Intifada a été étouffée et  Israël a réoccupé les villes de Cisjordanie. Plus grave encore, par sa  confrontation au soulèvement, Israël a été en mesure de restructurer le  régime palestinien dans le sens de ses intérêts, nuisant ainsi au  mouvement de résistance.
Agissant en coordination avec l’administration US,  Israël a pu dicter au défunt président palestinien Yasser Arafat, en  2003, la création d’un cabinet de Premier ministre palestinien taillé  sur mesure pour Mahmoud Abbas, à l’époque secrétaire général de  l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), et de n’organiser  aucun cabinet propre à l’Autorité palestinienne (AP).
Abbas avait fait connaître son opposition à la  résistance et sa désignation comme Premier ministre fut déterminante  pour lui permettre de devenir le candidat unique à la présidence de  l’AP.
Israël et l’administration Bush avaient établi une liste  « des obligations » auxquelles devait satisfaire tout candidat avant  d’arriver au sommet de la direction de l’AP, la plus importante étant un  rejet clair de la résistance.
Par le biais de la force mise en œuvre pour étouffer  l’Intifada Al-Aqsa, Israël a pu restructurer les institutions de l’AP  d’une façon qui servait ses intérêts stratégiques et ceux de sa  sécurité.
Salam Fayyad, par exemple, ministre palestinien des  Finances et plus tard, Premier ministre, a formé un appareil sécuritaire  au sein de l’AP avec l’objectif de combattre la résistance, en  coordination avec les forces d’occupation et sous les auspices des  Etats-Unis, le tout au nom de « la transparence et du combat contre la corruption ».
Les factions de l’OLP ont tout simplement accepté les  exigences israélo-américaines dans leur choix de la direction de l’AP.  En retour, elles se sont maintenues comme membres du Comité exécutif de  l’OLP, et certains d’entre eux sont même devenus des partenaires dans le  gouvernement Fayyad, en charge de la coordination sur la sécurité.
Le Hamas lui aussi a mal interprété la mise en œuvre du  plan d’Israël pour son « désengagement » de la bande de Gaza en juillet  2005, plan qui incluait le démantèlement des colonies et le  redéploiement des troupes israéliennes sur les frontières de Gaza.
Le Hamas a vu cela comme une victoire de la résistance  et sa politique s’est basée là-dessus, notamment par sa décision  controversée de participer aux élections législatives [janvier 2006], se  piégeant finalement dans son contrôle sur la bande de Gaza.
Si Israël avait compris que continuer d’occuper la bande  de Gaza ne servait pas ses intérêts, il se trouvait tenu de se servir  de ce processus de « désengagement » comme d’un moyen pour gérer la  crise, en tentant d’en tirer le profit maximum.
Le démantèlement des colonies et le redéploiement des  forces d’occupation donnèrent à Israël une grande latitude pour agir  contre la résistance. La communauté internationale accepta l’argument  d’Israël comme quoi il pourrait répondre aux opérations de résistance  lancées depuis la bande de Gaza, lui accordant ainsi le droit à  l’utilisation d’une force immense et disproportionnée contre la bande de  Gaza, avec son point culminant lors de la guerre de 2008.
Les Palestiniens ont commis des fautes durant le  soulèvement Al-Aqsa qui ont gravement nuit à leur cause nationale, et  qui leur ont fait perdre une grande partie de ce qu’ils avaient espéré  au départ du soulèvement.
Le soulèvement a été lancé sans but précis. Par exemple,  le Fatah voulait l’Intifada pour améliorer la position de l’AP dans les  négociations avec Israël après l’échec de la conférence de Camp David  en 1999, et d’autres factions palestiniennes espéraient que les  opérations de la résistance couperaient l’herbe sous le pied des  négociateurs une fois pour toutes, sans autres objectifs plus réalistes.
En outre, les factions palestiniennes évaluaient mal le  moment et le lieu des attaques de la résistance. Les évènements du 11  Septembre auraient dû les inciter à modifier leur modus operandi, au vu du consensus mondial qui s’était créé contre les attaques suicides.
Osama Ben Laden était devenu synonyme d’Ahmed Yassin, et  Ahmed Yassin était devenu synonyme de Yasser Arafat. Les évènements du  11 Septembre placèrent l’opinion internationale plus en sympathie avec  Israël, ce qui permit effectivement l’opération Rempart qui étouffa la résistance en Cisjordanie [avril 2002].
La résistance n’a pas réalisé non plus que la poursuite  des attentats suicides dans les villes israéliennes avait galvanisé  l’opinion israélienne nationale une fois la résistance palestinienne  asphyxiée. Si les attaques s’en étaient tenues aux colonies et aux  soldats en Cisjordanie, la société israélienne aurait été divisée.
Troisièmement, contrairement à la Révolution de 1936 et à  la Première Intifada en 1987, les factions palestiniennes n’ont pas  pris en compte le niveau de détermination du peuple palestinien durant  l’Intifada Al-Aqsa, ni su apprécier exactement les conditions sociales  et économiques de la population alors qu’elles préparaient leurs  opérations.
La plupart du temps, ce sont les civils palestiniens qui  furent la cible des représailles militaires israéliennes, faisant de ce  soulèvement un cauchemar pour de nombreux Palestiniens qui voulaient  simplement qu’il s’arrête, même si cela aboutissait à renforcer ceux  qui, historiquement, s’opposaient aux activités résistantes.
En s’appuyant essentiellement sur des opérations armées,  l’Intifada Al-Aqsa devint également l’affaire exclusive des membres des  factions palestiniennes et de ce fait, trop peu fut fait pour tirer  parti d’une résistance populaire. Alors que cela aurait réduit la  capacité d’action d’Israël contre les Palestiniens, et limité le soutien  à Israël sur la scène mondiale.
Cinquièmement, en apparaissant plus comme supportant  l’occupation que s’y confrontant directement, la résistance montrait une  autre faiblesse dans sa stratégie. Au lieu de s’opposer aux  check-points qui entravaient la mobilité en Cisjordanie, les  Palestiniens recherchaient les moyens de les contourner. Quelque chose  de semblable se déroule pendant le siège de Gaza : au lieu de défier le  blocus par une mobilisation massive, les militants de la résistance  creusent des tunnels.
Avant, après et pendant l’Intifada, il fut clair comme  de l’eau de roche que gouverner et résister ne peuvent aller de pair,  que ce soit sous une occupation directe, comme c’est le cas en  Cisjordanie, ou indirecte, comme dans la bande de Gaza. La résistance  fut le plus grand perdant dans une telle stratégie, comme on a pu le  voir aussi à Gaza où le Hamas a mésestimé tragiquement la situation.
Enfin, les dirigeants palestiniens ont fait preuve de  négligence en ne réalisant pas les dangers encourus à ignorer l’opinion  mondiale, à lui accorder trop peu d’attention, et à se retrouver en état  de siège. Le gel des financements des activités de la résistance  n’aurait pu avoir lieu si l’opinion mondiale ne s’y était pas montrée  favorable, une opinion qui a soutenu les actions qui visaient à contenir  et à contrecarrer la résistance.
Les organisations qui soutenaient les familles des  martyrs palestiniens et celles dans le besoin furent ciblées, et se  retrouvèrent économiquement étouffées par l’oppression d’Israël.
Les Palestiniens ne pourront tirer les leçons du combat  et mettre fin à l’occupation que lorsque ils auront analysé leurs  erreurs durant l’Intifada Al-Aqsa.
Le ministre de la Défense israélien, Ehud Barak, un  expert ès luttes contre les Palestiniens, déclara en 1995 qu’il avait  échoué à écraser le peuple palestinien. « Les Palestiniens sont comme un coussin, » avait dit Barak, « plus vous le frappez du poing,  plus il reprend forme ».
Indubitablement, ceci est exact. Mais l’histoire n’en a  pas moins démontré que les Palestiniens n’avaient pas réussi, comme ils  l’auraient pu, dans la conception de tactiques qui les auraient conduits  au résultat désiré.
Al-Ahram Weekly - Publication du 7 au 13 octobre 2010 n° 1018 - traduction : JPP
 
 
