Ramzy Baroud
Des milliers de fidèles  écoutaient avec attention alors que je soulignais les défis auxquels  font face la Palestine et son peuple. Les cris de « Allahou Akbar »  [Dieu est le plus grand] retentissaient de temps en temps depuis un côté  de l’immense mosquée sud-africaine. Beaucoup réagissaient avec émotion  tandis je décrivais la tragédie qui s’était abattue sur la bande de Gaza  en raison du blocus israélien. Ils applaudissaient, souriaient et  hochaient la tête alors que je soulignais à quel point la volonté du  peuple palestinien ne pouvait être vaincue. Quelques personnes âgées en  face de moi ont tout simplement pleuré tout au long de mon intervention,  laquelle précédait un sermon du vendredi à Durban il y a quelques mois.
Si l’amour et la bonne volonté étaient suffisants en  eux-mêmes, alors la compassion qui débordait de ces fidèles musulmans  aurait certainement pu améliorer le monde d’une multitude de façons.  L’attachement sincère et le souci affichés par des hommes et des femmes  de différentes origines, groupes d’âge, appartenance de classe et de  langues, sont de grande valeur et une véritable source d’inspiration.
La Palestine et de sa lutte pour la liberté et la  justice sont certainement plus proches du cœur et l’esprit des Musulmans  partout dans le monde que de tout autre groupe avec lequel j’ai pu être  en contact. Pour gagner l’appui des Musulmans, il n’est jamais  nécessaire de discourir, d’avoir à se justifier ou à répondre à des  accusations venues de gauche et de droite. Inutile de dire que  l’affinité des Musulmans avec la Palestine est historique, fondée sur  les principes islamiques énoncés dans le Saint Coran et la Sunna  (l’héritage du prophète Mohammed).
Mais au fil du temps, quelque chose s’est perdu. Bien  que le sentiment soit resté fort, il y avait peu d’unité dans la manière  dont cette énergie a été exploitée ou ce consensus développé. Dans  leurs tentatives de se gagner les Musulmans, beaucoup ont manipulé leurs  sentiments réels pour des raisons personnelles, politiques,  idéologiques et même financières. Plusieurs dirigeants musulmans, des  organisations comme des particuliers ont montré une compréhension  limitée de la situation en Palestine, et ont proposé une vision tout à  fait exclusive sur la façon dont cet angoissant conflit pouvait être  résolu.
Le résultat a été très décevant. Il n’y a pas eu de  stratégie claire, aucune initiative véritablement notable, et aucun  effet tangible n’a pu être constaté malgré le soutien de centaines de  millions de Musulmans à travers le monde.
D’une certaine manière, un tel échec est symptomatique  d’un malaise beaucoup plus grand qui a longtemps touché les Musulmans.  Après la disparition de l’Empire ottoman, le concept de Oumma islamique  (nation) - délimitée par de véritables lignes géographiques et  politiques - a été remplacé par une référence à une nation qui existe au  sein d’indéfinissables frontières intellectuelles. Ce concept a été  astucieusement exploité par divers dirigeants arabes et musulmans à  travers l’histoire, qui ont insisté pour qu’ils - et eux seuls -  représentent le centre de gravité politique de cette communauté  musulmane diffuse. Par conséquent, en raison de l’aspect central de la  cause palestinienne par rapport à l’Islam, ces dirigeants se sont  approprié la cause palestinienne, même si cette appropriation s’est  seulement traduite par des discours enflammés et à des sermons émouvants  le vendredi.
En d’autres termes, la Palestine pour beaucoup de  Musulmans, existe dans le cadre d’un imaginaire collectif, renforcé par  des symboles unificateurs tels que al-Aqsa [« l’éloignée », par  opposition à la Mecque, - N.d.T], et des références à des versets précis  dans le Saint Coran. De telles tactiques ont fait des prouesses, les  Musulmans restant impuissants tout en faisant des dons généreux, en ou  célébrant le nom de celui que s’était posé en sauveur de la « terre  islamique de la Palestine et de sa sainte mosquée ».
Pour terminer, ce rapport [à la Palestine] a produit  trois groupes distincts. Le premier groupe est en grande partie défini  par sa simple désignation de la Palestine comme d’une « cause  musulmane », qu’ils peuvent servir de temps en temps par des dons et de  régulières supplications pour la victoire de l’Islam en Palestine. Un  autre groupe comprend ceux qui sont devenus critiques de  l’interprétation dominante musulmane sur la Palestine et qui se sont de  plus en plus radicalisés et aussi isolés. Le troisième groupe est  complètement désenchanté, et donc sans pertinence.
Comme on pouvait s’y attendre, aucun de ces groupes ne  s’est réellement et sincèrement impliqué dans la mise en place d’une  stratégie à long terme pour mettre fin à l’occupation israélienne, ou  pour renforcer le peuple palestinien dans sa détermination à atteindre  un tel objectif.
Pendant ce temps, la deuxième Intifada palestinienne  [soulèvement] de 2000 a provoqué et avec succès encouragé un mouvement  international en faveur de la Palestine. Dans ce mouvement, les  Musulmans en tant que groupe, n’étaient plus un des principaux acteurs.  Certains gains en ont résulté, comme le fait de priver Israël et ses  alliés de la possibilité de réduire le conflit à une guerre religieuse,  Israël jouant bien naturellement le rôle du rempart des valeurs  judéo-chrétiennes.
Mais il y avait aussi beaucoup à perdre, alors que des  millions de supporters passionnés de la cause palestinienne retournaient  à leur rôle de mouvement de protestation de masse, brûlant des drapeaux  et lançant des slogans montrant leur colère. Cette image également a  été habilement manipulée, en particulier après le 11 Septembre, dans le  but de lier la Palestine à l’extrémisme d’inspiration musulmane.  Beaucoup ont été amenés à croire que tous les Musulmans barbus étaient  en quelque sorte liés à Al-Qaïda.
La montée en puissance du mouvement Hamas comme pouvoir  politique lors des élections palestiniennes de 2006, a une fois de plus  réaffirmé la pertinence de l’Islam en Palestine. La tentative faite par  le Hamas d’explorer sa « profondeur stratégique » en tendant la main aux  pays musulmans ne s’est pas traduite dans les gains politiques  escomptés, mais elle a réanimé le lien plus ou moins en sommeil des  Musulmans avec la Palestine et avec le conflit dans son ensemble. Plus  encore, grâce à la capacité du mouvement Hamas d’apparaître comme un  acteur sur le long terme dans le conflit, certains Musulmans extérieurs à  la Palestine ont commencé à exprimer leurs émotions avec un réel  langage politique.
Dans la même période, de nombreuses communautés  musulmanes ont voulu se doter de programmes pratiques pour exprimer leur  solidarité et pour aider le peuple palestinien, la bande de Gaza  représentant le premier cri de ralliement.
Malheureusement certains d’entre eux ont recours au  vocabulaire exclusif du passé, lui-même riche en positivisme religieux.  Ceci n’est pas toujours intentionnel, bien que de nature à affaiblir la  solidarité internationale, ou au mieux, à reléguer les Musulmans à un  groupe d’individus dont le rapport à la Palestine est d’ordre purement  religieux.
À ce stade avancé de la solidarité, où une fois de plus  la Palestine domine les questions internationales - y compris dans les  sociétés civiles à travers le monde - les Musulmans doivent redéfinir  leur lien à la Palestine, lequel est basé sur les valeurs et les  principes énoncés dans l’Islam.
Mais ils doivent également présenter ce lien dans le  cadre d’un idéal universellement partagé, avec un vocabulaire commun à  tous et qui peut rassembler. Même si les Musulmans doivent avec fierté  assumer leurs symboles, ils doivent également comprendre que cette lutte  est une lutte pour la Liberté et le Droit, et qu’elle n’appartient pas à  une corporation en particulier.
Les Musulmans doivent se tenir, main dans la main, avec  les personnes de tous horizons, non pas comme des propriétaires  exclusifs de la lutte des Palestiniens mais en étant fiers de contribuer  à un mouvement mondial qui veut que la justice soit rendue, les droits  appliqués et la paix réalisée pour tous.
 
 Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international syndiqué et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com.
 
 
