vendredi 3 septembre 2010

Les camps, la Shoah... et le chantage à l’antisémitisme

Publié le 2-09-2010

Toute la journée (et ce n’est sans doute pas fini) nous aurons eu droit en boucle à cette info d’une enseignante sanctionnée pour avoir forcé la dose sur la "Shoah" et les voyages organisés dans les camps de concentration auprès de ses élèves. La sanction vient de l’Education Nationale après enquête, mais cela n’empêche pas la victime de clamer que c’est parce qu’elle est juive qu’on s’en prend à elle (4 mois de suspension, tout en conservant son salaire, si l’Education nationale, sous pression, ne revient pas sur sa décision). Rappelons ici les réflexions d’Annette Wieviorka, historienne, directrice de recherches au CNRS sur ce type de "voyages organisés pour les jeunes".
Dans son livre "Auschwitz, 60 ans après" (Robert Laffont, 2005), Annette Wieworka s’interroge sur l’intérêt pédagogique des voyages scolaires d’une journée qui se sont multipliés depuis les années 1980. Et dans une interview au Monde*, elle condamne l’exploitation de la "mémoire" par les médias et les politiques", demandant que "l’on cesse de substituer la morale à la réflexion", les jeunes ayant besoin avant tout de comprendre comment une telle barbarie a été possible, pour qu’elle ne se reproduise pas.
" Il faudrait se demander qui sont les jeunes que l’on emmène ainsi. Je me souviens d’un élève de BTS revenu ravi de sa journée parce qu’il avait pris son baptême de l’air. Dans la vie d’un adolescent, est-ce plus important d’avoir pris l’avion pour la première fois ou d’avoir été à Birkenau ? Les élèves se demandent aussi pourquoi on déploie toute cette énergie. Il est étonnant que l’on n’ait jamais fait une véritable enquête pour savoir ce qu’ils retirent de la visite et, avec le recul, ce que le voyage a produit chez les adultes qui l’ont fait voici dix ou quinze ans.
"Après vingt ans d’enseignement, je suis certaine que le matériel - livres, films, etc. - dont disposent les professeurs pour aborder cette partie de l’histoire est abondant et ne rend pas obligatoire une visite sur place dans n’importe quelles conditions. En 1988, j’ai participé au premier voyage du genre avec dix élèves de mon lycée tirés au sort. Déjà, ce voyage m’avait gênée par sa médiatisation. Depuis, les politiques se sont ajoutés. Les élus régionaux qui financent les voyages accompagnent parfois les élèves. En acceptant cela, on prend quasiment les élèves en otage du médiatique et du politique.
Comme s’il suffisait d’avoir été à Auschwitz pour être vacciné contre la haine, pour devenir lucide sur les dangers du monde actuel. Si c’était vrai, cela se saurait. En réalité, on charge la visite de quelque chose qu’elle ne peut pas apporter. On attend un choc alors qu’il arrive à des élèves très sensibles de ne rien ressentir. Ils se trouvent un peu honteux et répètent les slogans que l’on attend d’eux : "J’ai compris où le racisme menait", "Plus jamais ça"... D’un point de vue éducatif, c’est vain. Peut-être faudrait-il réfléchir sur autre chose.
On ne peut demander aux élèves de s’identifier ni aux victimes, ni a fortiori aux auteurs de ces assassinats de masse. Il faudrait davantage insister sur les faits qui peuvent avoir des échos dans le présent pour les jeunes : sur le fichage, l’indifférence et la lâcheté devant la persécution, la coupure du lien social, les gens qui conduisent les trains... tout ce qui s’est passé en amont des chambres à gaz et qui leur a permis de fonctionner.
Cessons de faire des leçons de morale ahurissantes qui nous posent, nous adultes de 2005, comme les porteurs d’une vertu que n’avaient pas nos aïeux ! Nous nous donnons bonne conscience, alors que nous devrions nous inquiéter du monde que nous avons fait et dans lequel beaucoup de jeunes vivent dans des conditions déplorables. Que signifient nos leçons sur la République, l’intégration, l’antiracisme alors qu’ils subissent l’exclusion, les discriminations liées à leurs origines et ont tant de mal à imaginer leur place dans la société ?
*(Propos recueillis par Philippe Bernard le 25.01.05)
A voir également l’excellent documentaire sur les voyages organisés en Pologne par l’ADL (Anti Defamation League)
CAPJPO-EuroPalestine