La manœuvre mérite d'être saluée comme un exemple d'habileté - de  méchantes langues parleraient de roublardise - diplomatique. Face au  maelström soulevé par l'affaire de la « flottille de la liberté »,  Israël est demeuré stoïque : pas d'enquête, et surtout pas  internationale ; nos vaillants soldats de « l'armée de défense » ont  accompli un travail irréprochable, en dépit de la « bavure » qui a causé  la mort de neuf hommes ; dossier classé. Même ce pourfendeur de toutes  les injustices de par le monde qu'est Barack Obama y était allé de son  conseil au Premier ministre turc (les Américains, on ne le sait que trop  bien, et depuis longtemps, sont d'incorrigibles donneurs de leçons).  Désigner une commission pour déterminer les responsabilités reviendrait à  manier un sabre à double tranchant, avait-il fait valoir devant Recep  Tayyip Erdogan qu'il rencontrait au Canada, en marge d'un sommet du G20.  Ainsi, poursuivait-il, on pourrait établir que les passagers du « Mavi  Marmara » étaient de dangereux membres de cette organisation terroriste  qu'est l'ONG « Insani Yardim Vakfi » qui cherchaient, tenez-vous bien, à  venir en aide au million et demi de Gazaouis promis, Don Weisglass  dixit, à la diète.
Beaucoup de choses ont dû changer depuis lors,  puisque le président américain a donné son aval au panel appelé à  entamer aujourd'hui ses réunions. Même l'ineffable Ban Ki-moon y est  allé de sa bénédiction, qualifiant de « développement sans précédent »  la décision de Tel-Aviv. On étonnerait peut-être le brave homme en lui  disant que les responsables de l'État hébreu, après l'avoir longtemps  voué aux gémonies, parlent désormais de lui en termes chaleureux, en  public aussi bien qu'en privé*. Deux figures de proue du gotha politique  font partie de cette assemblée : l'ancien Premier ministre  néo-zélandais Geoffrey Palmer et le président sortant de Colombie Alvaro  Uribe. Sa mission, qui devrait s'achever à la mi-septembre, consistera à  examiner les résultats des enquêtes menées séparément par les Turcs et  les Israéliens ainsi que les faits relatifs à l'envoi des neuf bateaux  et au sanglant arraisonnement opéré le 31 mai dernier. Il devra en outre  formuler des recommandations pour éviter à l'avenir de pareils  « incidents ». Plus important, il ne lui sera pas loisible d'appeler à  la barre des témoins, et surtout pas des soldats israéliens. Car, Tzipi  Livni l'avait bien souligné en son temps, « notre armée n'est pas placée  sous les ordres d'un secrétaire général mais d'un chef d'état-major ».  L'ancien chef de gouvernement avait fulminé contre son successeur, mais  pour des raisons purement politiciennes, rappelant que « le ministre des  Affaires étrangères Avigdor Lieberman avait dit oui à la commission, le  Premier ministre avait dit non et le ministre de la Défense n'avait  rien dit du tout ».
Toutes  les conditions étant réunies pour une neutralisation de l'honorable  organisme, celui-ci peut opérer en toute quiétude. Susan Rice,  représentant permanent des États-Unis à l'ONU : « Il faut se focaliser  sur l'avenir. » Traduite en langage clair, cette petite phrase donnerait  ceci : les deux parties doivent étudier les moyens de renouer les liens  mis à mal par l'abordage des bateaux. Surtout, il s'agit de  court-circuiter une enquête autrement plus embarrassante conduite par la  commission des Droits de l'homme relevant de l'organisation  internationale. Envisagé dans la quiétude hypocrite des chancelleries,  la mission paraît facile à réaliser s'il n'y avait un hic : Ankara  réclame des excuses et des dédommagements ; et la diplomatie turque ne  manque pas de faire valoir que certains membres de la commission ont un  passé proaméricain qui est loin de constituer un gage d'objectivité.
On  ne pourrait qu'en dire autant de l'équipe sélectionnée par Benjamin  Netanyahu, connue pour l'état de service de ses membres. Yaakov Tirkel,  un ancien magistrat de la Cour suprême, est connu pour n'être pas un  chaud partisan de la désignation de coupables. Shabtaï Rosenne est ce  vieillard de 93 ans aujourd'hui qui avait étouffé le scandale né du  massacre de Qibya, en 1953. Un fossoyeur donc, plus qu'un spécialiste.  Amos Horev est un général à la retraite et David Trimble un ardent  défenseur des projets des Amis d'Israël. C'est le rapport de ce groupe  que l'équipe internationale devra entériner après les retouches  cosmétiques d'usage.
En guise de post-scriptum : le 1er août est  entré en vigueur, après son approbation en 2008 à Oslo, la convention  internationale prohibant l'usage des bombes à fragmentations. En a-t-on  seulement entendu parler du côté de Tel-Aviv ?
*The Economist daté du 7 août 2010.    Lien
 
 
