lundi 19 juillet 2010

Israël : malaise croissant devant la dépendance vis-à-vis de la main-d’oeuvre immigrée

dimanche 18 juillet 2010 - 10h:46
Dan Levin - New York Times
Tel-Aviv : perchés 22 étages au-dessus d’une banlieue aisée de cette ville côtière prospère, trois travailleurs chinois de la construction se sont avancés pied à pied tout le long du bras d’une grue et refusent d’en bouger. C’était en automne dernier. Menacés d’expulsion en raison de l’expiration de leur visa, par leur acte désespéré ils espéraient obtenir les milliers de dollars de salaire qu’ils affirmaient que leur employeur israélien leur retenait illégalement.
Leur protestation casse-cou a eu l’effet désiré : ils sont restés 9 heures en haut de la grue, mais l’entreprise de construction a fini par accepter de payer à chacun l’équivalent de $1 000. Satisfaits, ils renoncèrent à leur action et, d’eux-mêmes, ils prirent le chemin de l’aéroport.
Pour les Israéliens, l’impasse de la grue - la deuxième fois en l’espace de quelques mois - a été un rappel désagréable de l’expérience économique agitée de leur pays avec la main-d’œuvre étrangère. Depuis la Première Intifada, au début des années 90 (1987 - ndt), plus d’un million d’immigrés venant de pays en voie de développement sont arrivés en Israël pour remplacer les Palestiniens, qui avaient constitué la première source de travailleurs bon marché pour le pays.
Au moins 250 000 salariés étrangers, dont environ la moitié en situation illégale, vivent dans le pays d’après le gouvernement israélien. Ce sont des salariés de la construction chinois, des aides sociaux à domicile philippins, des ouvriers agricoles thaïlandais, et autres Asiatiques, Africains et Européens de l’Est qui travaillent comme domestiques, cuisiniers ou bonnes d’enfants.
« Les Israéliens ne font pas ces boulots, alors ils nous font venir, » dit Wang Yingzhong, 40 ans, travailleur du bâtiment venant de la province de Jiangsu, en Chine, arrivé en 2006.
Mais alors que ces salariés étrangers sont devenus un pilier de l’économie, leur présence se heurte de plus en plus à l’idéologie sioniste d’Israël, créant un malaise politique grandissant quant à l’avenir de l’Etat juif et à leur place dans cet Etat.
Le gouvernement a louvoyé entre une série de politiques contradictoires qui ont encouragé l’emploi temporaire des immigrés tout en cherchant à imposer des visas limités et des contrats de travail stricts qui peuvent les livrer sans défense à des employeurs sans scrupules, d’après des défenseurs de salariés.
Ceux qui prolongent indûment leur visa et qui tentent de rester en Israël vivent dans la crainte de l’Unité Oz, un service de la police de l’immigration récemment créé dont les agents traquent les immigrés en illégalité et participent à leur expulsion.
Le gouvernement insiste, il veut les emplois non qualifiés pour les Israéliens sans emploi, spécialement les citoyens arabes et les juifs ultraorthodoxes. Selon les critiques, cette politique est hypocrite et raciste car elle considère les travailleurs étrangers comme indignes d’être protégés par la loi.
« Trop souvent, nous devons nous battre pour que les Israéliens voient dans ces travailleurs étrangers des êtres humains » dit Dana Shaked, coordinatrice des travailleurs chinois pour l’organisation de défense des droits des salariés Kav LaOved.
Même si le gouvernement israélien a délivré 120 000 permis de travail pour étrangers en 2009, les dirigeants politiques du pays disent vouloir supprimer peu à peu le travail immigré. « Nous avons créé une nation juive et démocratique et nous ne pouvons pas la laisser se transformer en une nation pour travailleurs étrangers », indiquait le Premier ministre Benjamin Netanyahu lors d’une conférence de l’Association des entrepreneurs en janvier.
Les premiers visés sont les Chinois qui, ces dernières années, ont récupéré pratiquement tous les permis de travail dans la construction. Les Chinois représentent le quart de tous les expulsés de 2003 à 2008, plus qu’aucun groupe étranger. On s’attend à ce que ce taux monte en flèche alors que 3 000 permis de travail sont arrivés à terme fin juin.
Les Chinois finissent pas se retrouver dans les situations les plus désespérées car ils sont recrutés par le biais d’un réseau opaque d’entreprises de main-d’œuvre qui, selon les organisations de droit du travail, fonctionnent comme un réseau de négriers. Les Chinois payent jusqu’à $31 000 de frais pour un recrutement illégal, c’est le montant le plus élevé de tous les travailleurs étrangers, d’après Kav LaOved, qui indique que l’argent finit dans les poches des intermédiaires et des agences gouvernementales dans les deux pays.
Les Chinois doivent travailler en moyenne deux ans pour rembourser l’argent qu’ils ont emprunté pour payer ces frais. Ignorant leurs droits et ne sachant parler ni l’hébreu ni l’anglais, beaucoup sont victimes d’abus dans ce terrain miné, subissant des conditions de vie sordides, des retenues sur salaires, et des ruptures avant terme des permis de travail qui les exposent à l’expulsion avant même qu’ils aient remboursé les frais de leur embauche ou qu’ils aient pu se faire un peu d’argent.
La plupart des Chinois subissent ces injustices avec moins de réactions que ces salariés qui organisèrent leur manifestation dramatique en haut de la grue l’an dernier. Certains, comme Liu Shiqi, 39 ans, disent s’être présentés à leur travail, comme cuisiniers, un matin de mars, pour trouver le restaurant fermé et le propriétaire qui avait filé sans les payer. « Ils savent que nous sommes isolés et qu’on ne parle pas hébreu, alors ils profitent de nous » dit-il.
Des défenseurs des salariés disent que l’ambassade de Chine est restée longtemps indifférente, voire hostile, à la détresse de ces salariés. Quand 170 ouvriers de la construction se sont mis en grève en 2001 pour toucher leur arriéré de salaire, les officiels de l’ambassade les ont avertis qu’ils seraient mis en prison à leur retour en Chine pour rupture de leur contrat et violation du droit du travail chinois. Les hommes qui manifestèrent en haut de la grue l’ont fait après que leur ambassade n’ait pas voulu entendre leurs appels, ont-ils dit à Kav LaOved.
Tel-Aviv, 4 juillet 2010 - The New York Times - traduction : JPP
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