mercredi 21 avril 2010

Ce qui peut arriver aux internationaux en Israël, ou la nuit en prison de deux Français

Ecrit par Monique Poupon
20/04/2010
Les internationaux savent avant d'arriver en Cisjordanie ce qui peut leur arriver en punition de leur soutien au peuple Palestinien: pas de renouvellement de visa, interrogatoires, arrestations arbitraires. Mais voici le récit de ce qui arrive lorsque les soldats Israéliens décident de faire du zèle au détriment de deux étudiants Français à Jérusalem Est.
Nous sommes le mercredi 7 avril 2010, dans Otman Ben Affah de Sheikh Jarrah, quartier de Jérusalem Est où le gouvernement de Benjamin Netanyahu, Premier Ministre Israélien, intensifie la colonisation malgré de sévères mises en garde des Etats-Unis, leurs seuls alliés. Vivian Petit et Katia Kiesielski, deux étudiants du Havre respectivement en lettres modernes et en sociologie, se trouvent avec deux autres membres de l'organisation syndicale Sud-Etudiants dans la rue afin d'aider à assurer avec les autres activistes et internationaux une présence permanente pour protéger les maisons Palestiniennes de l'évacuation forcée. Sur place, des Israéliens anarchistes, des militants de toute nationalité, et les médias, parmi eux Al Jazeera et Rafah, venus, chacun selon leur idéologie, rendre compte de la situation entre colons et Palestiniens.
En début d'après-midi, les échauffourées commencent, un Palestinien empêche un colon de parler pour la télévision, les colons tentent une première incursion dans une maison Palestinienne. Les étudiants Français prennent le parti de défendre les locaux en traitant de voleurs les colons, qui réagissent en tentant de se frayer un chemin. Katia et Vivian sont pris à parti par des colons, qui n'hésitent pas à les traiter de nazis sous l'œil des caméras. Une fois les colons partis, les quatre étudiants Français échangent avec les habitants de la maison, mais les colons ne tardent pas à revenir pour un nouvel échange verbal furieux, avant de repartir. Les Palestiniens remercient les internationaux présents, disant que "le mieux que vous avez à faire, c'est de parler de ce que vous avez vu en rentrant chez vous". Mais le calme est de court durée.
En effet, c'est la police Israélienne qui arrive avec les colons, cette fois, et c'est là que l'histoire se gâte pour les deux militants de Sud-Etudiants. Vivian et Katia sont montrés du doigt par un colon, un soldat leur demande leur passeport, mais ne leur rend pas. Un des leaders des anarchistes Israéliens contre le mur les rassure, leur promettant un avocat et leur donnant quelques conseils. C'est ainsi que les deux Français, un peu abasourdis, se retrouvent dans une voiture de police en direction du commissariat. Après quelques questions préliminaires sur leur présence en Israël, l'interrogatoire commence pour Vivian.
Le jeune homme réussit à appeler les militants Israéliens pour avoir le numéro d'un avocat, mais devant l'insistance du policier qui l'interroge, il décrit ce qui s'est passé, insistant sur les provocations des colons et niant les accusations de violences envers les colons dont on le charge. Après un prélèvement ADN, il se doit signer deux déclarations, l'une en arabe et l'une en hébreu, en ayant la garantie de l'enregistrement vidéo au cas où il y aurait une déformation de ses propos.
C'est au tour de Katia de répondre à l'interrogatoire, après avoir été empêchée de se rendre aux toilettes. L'interrogatoire se déroule de la même manière que pour son camarade, mais attend que celui-ci lui ait traduit sa déclaration (en anglais) pour la signer. Suivent d'heures d'attente, puis l'annonce que leur camarade Israélien leur a envoyé une avocate : il s'agit de Leah Tzehem, réputée dans la défense des prisonniers politiques. Bien qu'aucune des images et vidéos prises ce jour-là ne prouve la culpabilité des deux Français, les voici rapidement menottés aux poignets et aux chevilles, et séparés pour leur nuit en prison.
Katia attend plusieurs heures au commissariat tandis que Vivian est dirigé rapidement vers la prison de Jérusalem où il vit la première expérience d'incarcération de sa vie dans une cellule minuscule où se côtoient une douzaine de personnes. Il a juste le temps, avant d'entre-apercevoir son avocate qui passe quelques minutes à se disputer violemment avec le policier présent. Elle réussit cependant, à l'aide d'un camarade Israélien qui l'accompagne, à rassurer Vivian sur son procès prévu pour le lendemain. Après cela, il n'a le droit à aucun contact téléphonique et se retrouve très vite enfermé. Pendant ce temps, Katia attend plusieurs heures, toujours menottée, dans le hall du commissariat. Elle reçoit également la visite de son avocate et d'un Israélien, qui la rassurent mais ne peuvent s'entretenir en privé avec elle, avant que Katia ne se fasse embarquer dans un fourgon en direction de la prison pour femmes de Ramlet.
Pour leur première nuit en prison, Katia et Vivian se montrent prudents à l'égard de leurs co-détenus. "J'ai préféré rester évasif", se confie Vivian, "car j'étais entouré d'une douzaine d'Israéliens qui ne semblaient pas voir le militantisme pro-Palestinien d'un très bon œil. Mais devant mon évident soutien au peuple Palestinien, ils ont tenu à me donner des leçons de morale, mais il n'y a eu aucune violence de leur part, ils m'ont même rassuré pour mon jugement!" Pour sa part, Katia n'a que peu de contacts avec ses co-détenues du fait de l'heure tardive de son arrivée. "Je n'ai eu de contact avec ces femmes que le lendemain à Jérusalem, lorsque nous nous sommes retrouvées à quatre dans une petite cellule, mais au départ il n'y a pas trop de recherche de communication, c'étaient surtout des gestes, des regards, des tentatives d'intimidation. J'ai dû m'imposer pour évident de me faire bousculer sans arrêt", témoigne Katia.
Le lendemain, réveil brutal pour les deux étudiants qui sont conduits menottés au tribunal. Au moment de sortir du fourgon, Vivian tombe, devant les policiers embarassés qui s'empressent de l'aider à se relever et à nettoyer les égratignures à ses mains : il ne faudrait surtout pas que le consulat Français leur tombe dessus pour mauvais traitement! Avant le procès, Juifs et Musulmans sont séparés, Vivian et Katia se retrouvent dans la cellule des Juifs, ce qui leur donne l'occasion de subir les sermons de leurs co-détenus sur leur soutien pour les Palestiniens, de "On ne coupe pas un état en deux" à "Les Palestiniens sont des meurtriers". Coincés pendant des heures dans la minuscule cellule en attendant leur jugement, les prisonniers s'excitent, hurlent. Ce n'est qu'au bout de 5 heures que Vivian est appelé, et croise enfin Katia ainsi que des représentants du consulat de France à Jérusalem qui s'enquièrent de leur moral et réprimandent des soldats pour les avoir empêchés de s'entretenir avec leur avocate.
Enfin, l'assistante de Leah Tzehem arrive à parler avec Vivian, qui après quelques minutes l'assure que les Israéliens n'ont rien contre eux, car il n'est en effet pas interdit de se trouver à Sheikh Jarrah et qu'ils n'ont fait preuve d'aucune violence. Au procès, les deux militants de Sud-Etudiants sont soutenus par des Anarchistes Israéliens Contre le Mur, qui assistent avec eux à une mascarade de procès. Des soldats accusent sans preuve, aucun colon n'a été interpelé... Rapidement, la sentence tombe : libres, mis à part une interdiction d'approcher les colons. Après un nouvel enfermement et une re-prise de leurs empreintes digitales, Vivian et Katia sont libres. Après avoir récupéré leurs affaires au commissariat, ils rejoignent leurs deux autres camarades Français qui se trouvent à Bethléem. La vie continue pour les deux militants, ainsi que leur séjour.
Un jour avant leur départ de Palestine, ils ont confié à PNN qu'ils étaient venus visiter la Cisjordanie pour rendre compte de la colonisation et de ses effets à leur retour en France. Grâce à leur organisation syndicale au Havre, les quatre étudiants Français avaient pu réunir des aides de la mairie de leur localité et de leur université, dan un projet d'organisation de conférences et de projections photos pour éclairer un peu les étudiants Français de la réalité Palestinienne. En faisant le bilan de leur expérience, Vivian et Katia n'ont pas paru particulièrement choqués ou traumatisés, au contraire. Cette expérience d'humiliation et de négation de l'autre leur a appris beaucoup sur la réalité carcérale et sur la volonté d'Israël d'empêcher les internationaux de constater ce qui se passe réellement autour des colonies. "Cela m'a fait réfléchir sur la notion de liberté, car je n'ai eu qu'une nuit les menottes aux pieds et aux mains, mais je me sentais déjà bizarre de marcher dans la rue librement : c'est fou ce que l'on s'habitue vite au manque de liberté!" a constaté Katia lors de l'entretien.
Hélas, leur histoire n'est qu'un exemple parmi d'autres du harcèlement de l'armée Israélienne envers les internationaux désirant se rendre, ou vivant, en Palestine. Ces dernières semaines, plusieurs exemples inquiétants prouvent que cette restriction de mouvement des internationaux s'est accentuée.
Le 31 mars 2010, à Beit Sahour, village se situant en Zone A, c'est-à-dire une zone sous le contrôle de l'Autorité Palestinienne et hors de l'autorité de l'armée Israélienne, près de Bethléem, un groupe de touristes Britanniques venus effectuer une visite de la Cisjordanie avec le Groupe de Tourisme Alternatif à Beit Sahour, se sont faits arrêter brutalement par l'armée Israélienne. Sous prétexte que deux des Anglais avaient l'air arabe, les soldats les ont détenus 5 heures, en dehors de tout droit. Pour visionner les images de l'évènement, cliquez ici.
Plus récemment, ce sont deux jeunes Britanniques, dénommés Chris et Zelda, étudiant à l'Académie d'Arts de Ramallah, qui se sont vus refuser l'entrée en Israël la semaine dernière après un séjour en Jordanie, et ce malgré leur départ imminent le 21 avril de Ben Gurion.
Toutes ces histoires, rajoutées à la venue de ce nouvel ordre militaire réprimant les déplacements en Cisjordanie comme "non-autorisés" à part sous délivrance d'un permis spécial, fait penser que le gouvernement Israélien isole de plus en plus le peuple Palestinien du soutien qu'il peut recevoir de l'extérieur. Est-ce donc illégal d'être un international en Palestine? Qu'attendent donc les autorités Israéliennes pour sortir un ordre qui refuserait l'entrée des internationaux aux checkpoints?