mercredi 10 mars 2010

Israël-Palestine : la négociation indirecte peut-elle réussir ?

publié le mardi 9 mars 2010
René Backmann

 
Les premières conversations devraient se dérouler entre Ramallah et Jerusalem. Mais il est possible, si les premiers échanges sont fertiles, que les pourparlers se poursuivent à Washington ou en Europe.
En fait, personne n’attend de miracles de ces conversations.
Après s’être entretenu hier (6 mars), peu après son arrivée à Tel Aviv, avec le ministre israélien de la Défense Ehoud Barak, l’émissaire américain pour le Proche-Orient, George Mitchell avait rendez-vous, dimanche après midi, avec le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Après 4 heures de conversations, le premier ministre a déclaré : "s’il y a un désir d’aller à des négociations directes par le biais d’un corridor, je pense que le plus tôt sera le mieux". Auparavant, Ehoud Barak avait affirmé que le chef du gouvernement avait "de difficiles décisions à prendre pour faire progresser le processus de paix, et qu’il ne fallait pas laisser passer cette chance d’arriver à un accord".
Lundi, l’émissaire américain doit revoir le premier ministre israélien et se rendre à Ramallah pour rencontrer le président palestinien Mahmoud Abbas. Objet essentiel de leurs conversations : la préparation d’une première phase de « négociations indirectes », qui pourrait durer quatre mois. Pour donner davantage de solennité à cette reprise des pourparlers officiels entre Israéliens et Palestiniens, interrompus depuis l’offensive israélienne contre la bande de Gaza, en décembre 2008, c’est le vice-président américain Joe Biden, attendu à Tel Aviv lundi après-midi, qui devrait annoncer la mise en place de la navette diplomatique de George Mitchell. Les premières conversations devraient se dérouler entre Ramallah et Jerusalem. Mais il est possible, si les premiers échanges sont fertiles, que les pourparlers se poursuivent à Washington ou en Europe.
En fait, personne n’attend de miracles de ces conversations. « Nous y participons, expliquait vendredi à Paris, un proche du président palestinien Mahmoud Abbas, parce que les Etats-Unis nous y ont invités et parce que nous ne voulons pas fournir à Israël un prétexte pour fuir ses responsabilités, mais nous n’en attendons rien ». Washington, aux yeux du ministère israélien des Affaires étrangères, ne serait guère plus optimiste.
L’objectif limité d’Obama
Le quotidien israélien Haaretz a cité dimanche des extraits d’un rapport interne remis au ministre Avigdor Lieberman et aux missions diplomatiques à l’étranger il y a quelques jours, selon lequel le Département d’Etat tenant compte des problèmes domestiques rencontrés à la fois par Benjamin Netanyahou et par Mahmoud Abbas aurait décidé de se concentrer sur un objectif unique et limité : faire redémarrer les négociations.
Pour les diplomates et stratèges du Centre de recherches politiques du ministère des Affaires étrangères, auteurs du document, l’administration Obama n’aurait pas l’intention de consacrer des efforts soutenus aux négociations indirectes en préparation, pour se concentrer sur un objectif jugé beaucoup plus décisif par le président américain : les élections au Congrès, qui doivent se dérouler en novembre.
« Les récentes déclarations américaines, lit-on notamment dans le document obtenu par Haaretz, s’efforcent d’utiliser des formulations qui reprennent, même si c’est de manière partielle et prudente, les demandes palestiniennes, sur le cadre et la structure des négociations. De cette manière, l’administration américaine est certaine qu’elle n’aura pas à préciser ses positions sur les questions essentielles ».
Face à ces « questions essentielles », il est vrai, les positions des deux parties sont si éloignées, voire opposées, qu’on voit mal comment, même en quatre mois, des compromis acceptables pourraient être trouvés sur des dossiers aussi difficile que la question des réfugiés, celle des frontières, celle des colonies et, peut-être surtout celle de Jérusalem. Alors que les responsables palestiniens répètent qu’ils sont disposés à des échanges de territoires limités et négociés mais qu’ils exigent un Etat « viable et souverain », Benjamin Netanyahou vient de rappeler qu’Israël « n’acceptera jamais, quels que soient les accords conclus, de se retirer de la vallée du Jourdain ». Alors que Mahmoud Abbas a encore rappelé, samedi dernier qu’aucun « Etat palestinien ne sera établi sans Jerusalem et qu’aucun accord de paix ne sera conclu si Jerusalem n’est pas la capitale de la Palestine », les dirigeants israéliens maintiennent que Jerusalem est la capitale « unifiée et éternelle » d’Israël, comme l’a décidé la knesset en juin 1980.
Jérusalem : obstacle majeur
Un colloque, qui s’est tenu la semaine dernière à Paris, est d’ailleurs venu rappeler à qui l’aurait oublié que la stratégie urbanistique, sociale, administrative, démographique, appliquée par l’Etat d’Israël à Jérusalem-Est, depuis que la partie orientale a été conquise en 1967, avait pour but la « dépalestinisation » et « l’israélisation » de la ville sainte. Réunissant diplomates, démographes, géographes, historiens, chercheurs, ce colloque hébergé par l’Institut du monde arabe a démontré que les initiatives israéliennes en matière de colonisation, de voirie, d’équipements publics, de régime de construction, de statut des résidents, de recherches archéologiques, entreprises par les autorités israéliennes à Jérusalem obéissent à un projet mis en œuvre depuis plus de 40 ans : bouleverser la composition démographique de la ville et faire basculer l’équilibre des forces en faveur d’Israël.
Ainsi s’explique la politique de construction de colonies urbaines à l’intérieur de la ville et à sa périphérie. Colonies qui renforcent et densifient la population israélienne et surtout, qui établissent un chapelet de quartiers juifs au nord, à l’est, au sud de la ville, coupant la partie arabe de Jérusalem de son arrière-pays. A cela s’ajoutent désormais le mur, qui sépare Jérusalem-Est de ses faubourgs palestiniens et du reste de la Cisjordanie et une réglementation très dissuasive, destinée à empêcher les résidents palestiniens de développer leur habitat, c’est-à-dire, en clair, à les inciter à partir. En 2008, près de 4600 Palestiniens de Jérusalem-est ont été privés de leur droit de résidence dans la ville. Ce chiffre est 20 fois supérieur à celui de l’année précédente.
Quand on se souvient que le développement de la colonisation à Jerusalem était explicitement exclu du moratoire - modeste et limité - proposé par Benjamin Netanyahou en réponse à l’exigence du gel complet de la colonisation, réclamé par Mahmoud Abbas, pour reprendre les négociations, on mesure l’importance-clé de ce dossier dans la négociation. Et la taille de l’obstacle qu’il représente. Point de rencontre du religieux et du politique, de l’histoire et de la géographie locale, incarnation du double désir d’Etat des Israéliens et des Palestiniens, Jérusalem est au cœur de la négociation qui s’amorce.
De ce point de vue, les expulsions, expropriations et démolitions de maisons palestiniennes qui se sont multipliées, depuis des mois, dans plusieurs quartiers de Jérusalem-Est, au bénéfice de colons israéliens ne sont pas de bon augure. Tout comme la récente décision annoncée par Benjamin Netanyahou, d’ajouter au patrimoine national de l’Etat d’Israël, deux sites religieux - le Tombeau de Rachel à Bethléem et le Caveau des Patriarches à Hébron - qui se trouvent, même s’ils ont été unilatéralement annexés par Israël, en Cisjordanie et que les Palestiniens estiment appartenir à leur héritage historique et culturel.
En dépit de ces inquiétudes et de nombreuses réserves, le Comité exécutif de l’OLP a approuvé dimanche une proposition autorisant le président palestinien à entreprendre des négociations indirectes avec Israël, par l’intermédiaire de George Mitchell, pour une période de 4 mois. Les responsables palestiniens ont cependant indiqué qu’ils quitteraient les négociations si les contours précis d’un accord sur les frontières avec les Israéliens n’étaient pas sortis des discussions au bout de quatre mois. Ils ont aussi rappelé qu’il n’y aurait pas de dialogue direct avec Israël tant que le gouvernement israélien n’aura pas appliqué un gel complet de la construction dans les colonies de Jérusalem Est et de Cisjordanie. Par ailleurs, le Fatah envisage de constituer un comité spécial chargé de suivre le déroulement au jour le jour des négociations et de vérifier leur conformité avec les aspirations de la société palestinienne.
Les inquiétudes des Israéliens
Les Israéliens, de leur côté, même quand ils souhaitent un accord de paix peuvent avoir quelques raisons d’être réticents ou inquiets. L’opposition entre l’Autorité palestinienne, contrôlée par le Fatah, et le Hamas, la division entre la Cisjordanie et la bande de Gaza, l’existence, autour du Hamas, d’un camp du refus, hostile à toute négociation, les incite à douter de l’aptitude de Mahmoud Abbas ou de ses successeurs à faire accepter - et respecter - par l’ensemble des Palestiniens un accord éventuel.
Leurs doutes ont probablement été aggravés par la découverte en Cisjordanie de plusieurs missiles artisanaux du type de ceux produits et utilisés par le Hamas à Gaza. Trouvés par la police de l’Autorité palestinienne, qui les a remis à l’armée israélienne, ces engins pourraient constituer une menace pour les colonies israéliennes voisines et aussi pour les localités israéliennes situées au-delà du mur ou de la barrière de séparation.
Par ailleurs, le premier ministre israélien n’ignore pas - ses décisions et déclarations récentes en témoignent - que sa majorité, au sein de laquelle les colons et les ultra-nationalistes pèsent d’un poids décisif, n’est pas prête à accepter la création d’un Etat palestinien, de quelque nature qu’il soit, et plaide pour le maintien d’un statu quo garanti et imposé par la puissance militaire israélienne.
Qu’attendre alors de cette amorce de négociations ? Peut-être simplement la définition claire, par chacune des deux parties, de ses positions sur chacun des dossiers majeurs : frontières, colonies, eau, souveraineté, Jérusalem, réfugiés. Et aussi un bilan rigoureux du respect par les deux parties des engagements antérieurs. Encore faudra-il pour cela que « l’intermédiaire » accepte de jouer également l’arbitre. Ce qui n’est pas acquis. Une chose, du côté palestinien est claire : il n’est plus question d’accepter un processus fondé, comme celui d’Oslo, sur une longue « période intérimaire ». « C’est pendant la période intérimaire qu’Israël a déchaîné sa politique de colonisation, constate un ancien négociateur. Et c’est pendant cette période qu’a été miné le fond de la négociation ».
publié sur le blog du NouvelObs