vendredi 19 février 2010

Israël veut qu’on l’aime

publié le jeudi 18 février 2010
Lucie Karasinski

Avec la détérioration de son image et les modifications de son environnement régional, Israël s’inquiète et présente un plan de bataille axé sur la communication.
Tandis que l’état-major israélien multiplie les actions militaires dans la bande de Gaza, les stratèges en communication ­s’efforcent de limiter les dégâts dans l’opinion internationale. L’Institut de recherche Reut, de Tel-Aviv, a présenté jeudi 11 février au gouvernement israélien un rapport qui prône l’élaboration minutieuse d’un plan de crise à l’attention des diplomaties alliées [1]. Car une détérioration de son image affecte l’État hébreu, depuis les bombardements de l’hiver dernier sur Gaza et la publication du rapport Goldstone [2]. Bien que la plupart des grandes puissances ne renoncent pas à leur soutien à Israël, la lassitude de certains diplomates inquiète Tel-Aviv. Une véritable guerre de l’image s’est engagée, significative d’un désarroi et de difficultés nouvelles liées à un paysage politique glissant vers l’extrême droite. Des « spasmes » diplomatico-médiatiques qui pourraient marquer la fin d’une ère.
Depuis plusieurs mois, les campagnes civiles pour dénoncer la politique israélienne se multiplient. Le travail de la commission Goldstone a ouvert la voie à de nombreux rapports des ONG du monde entier, et les initiatives citoyennes comme celle du Tribunal Russel ont été prolongées par des dépôts de plainte. Si ces tentatives judiciaires, visant notamment des officiels et des haut gradés, se sont ­heurtées à des résistances politiques fortes [3], leurs conséquences sur l’« image » d’Israël sont significatives. Aussi, le rapport de l’Institut Reut, qui préconise « d’étudier les méthodes » des cercles de ­contestation, recommande « d’utiliser les ambassades à l’étranger pour créer des réseaux de gens capables de répondre aux attaques ». « Il faut tenter de rectifier l’image d’Israël, associée à l’occupation et à la guerre », a ainsi annoncé un responsable du ministère des Affaires étrangères, Ido Aharon. En 2009, le rapport édité par The Israël Project, véritable livret de formation, s’adressait déjà à ceux qui voulaient « communiquer efficacement pour soutenir Israël », du blogueur à l’éditorialiste, et proposait de donner tous les éléments afin de « gagner les cœurs et les esprits du public ».
« Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’antisémitisme se focalise non sur les juifs mais sur Israël et les Israéliens », a ainsi estimé, à la veille de la journée internationale de commémoration de la Shoah, le ministre de l’Information, Youli Edelstein. Dans la ligne de mire, évidemment, le rapport du juge Goldstone, accusé d’alimenter une montée de l’antisémitisme dans le monde, et contre lequel le ministre a présenté ses arguments au secrétaire général de l’ONU, Ban Ki Moon, le 27 janvier à New York. Les conclusions de la commission Goldstone, même si aucune sanction ni procédure ne sont intentées contre Israël, dessinent un risque majeur pour Tel-Aviv. Certains parlementaires européens n’ont pas caché leur exaspération face à l’attitude israélienne : refus d’ouvrir une enquête indépendante, refus du gel de la colonisation, autant de fautes jugées peu habiles. À la suite de l’opposition de Barack Obama à l’intervention israélienne contre l’Iran, les propos de l’émissaire américain au Proche-Orient, George Mitchell, sur une chaîne de télévision début janvier, ont fini de jeter le trouble : « En vertu de la législation américaine, a-t-il déclaré, les États-Unis peuvent remettre en cause leurs garanties bancaires à Israël. » La tendance israélienne à la paranoïa fait face cette fois à un danger bien réel : « Et s’ils nous lâchaient ? » Le risque de se retrouver isolé n’est pas nul pour Israël. Alors que certains pays ont engagé une suspension de leurs relations diplomatiques ou économiques au lendemain de l’opération « Plomb durci » sur Gaza, l’État israélien s’obstine à ostraciser toute voix critique de sa politique, même lorsqu’il s’agit d’alliés importants. Ainsi, l’ambassadeur d’Israël à Washington, Michael Oren, a boycotté la première convention, en octobre 2009, de l’organisation progressiste juive américaine J Street, favorable à une solution à deux États. Elle est ainsi qualifiée d’« hostile », au même titre que la Norvège, accusée d’antisémitisme pour ne pas avoir quitté la salle durant le discours du président iranien en avril 2009 à l’ONU. Des appels au boycott ont également été lancés dans des magasins israéliens contre… le café turc, pour punir les propos jugés trop critiques du Premier ministre, Tayyip Erdogan.
Même si Israël est encore largement soutenu par les gouvernements occidentaux, l’invocation de la Shoah et de l’antisémitisme, pour justifier sa politique, a perdu en efficacité. Il n’est donc pas étonnant que l’on en arrive aujourd’hui à la mise en pratique de moyens plus percutants contre les civils agissant au nom du droit international. Dans ce contexte défavorable, la France reste un allié sûr. Lors du dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France, le 3 février, le chef du ­gouvernement, François Fillon, a réaffirmé que « la sécurité d’Israël est pour la France une priorité absolue », avant de préciser que « le racisme sur Internet » et « le scandaleux mouvement de boycott des produits cacher et israéliens » seraient particulièrement surveillés. On relève au passage l’amalgame entre Israël et les produits cacher. La campagne Boycott Désinvestissement Sanctions, bien que son impact reste encore très modeste sur le budget israélien, provoque des réactions significatives avec, notamment, la création d’une contre-campagne par des anti-boycott, outrés de voir Israël assimilé à un État colonial. Également dans le collimateur des services de communication de Tel-Aviv, les ONG israéliennes et internationales ayant fourni des informations pour l’élaboration du rapport, et les militants internationaux venant manifester leur solidarité aux Palestiniens. Les politologues israéliens qualifient cette campagne de l’après-Goldstone d’« Intifada blanche ». Une guerre menée à coups de visites diplomatiques. Nathan Chtcharansky, président de l’Agence juive, organisme paragouvernemental, a ainsi déclaré que la campagne mondiale contre Israël était « une véritable guerre » menaçant les « intérêts stratégiques », et qu’il fallait donc « rendre coup pour coup ». Israël, pris au piège de sa propre politique, va donc intensifier sa riposte médiatique. Les organisations de défense des droits de l’homme et de solidarité avec la Palestine doivent se préparer à des temps encore plus difficiles. Mais la campagne menée contre elles ne risque-t-elle pas d’aggraver encore le cas d’Israël dans l’opinion internationale ?
La prochaine session du Tribunal Russel pour la Palestine s’ouvrira du 1er au 3 mars à Barcelone. Au programme : examiner politiques et pratiques de l’Union européenne et de ses États membres afin de déterminer en quoi leurs relations avec Israël puissance occupante sont compatibles avec leurs obligations découlant du droit international.
[1]

D’où viennent les mots du Crif

Porter un message positif, savoir concéder, être attentif au ton employé : voilà quelques-uns des fondamentaux de la communication que le rapport The Israel Project’s 2009, Global Langage Dictionnary propose en précisant bien : « Le but de la communication pro- Israël ne vise pas seulement les gens qui aiment déjà Israël. Le but est de gagner de nouveaux cœurs. »
Ce rapport établit de manière très pédagogique ce qui doit se dire ou se taire pour quiconque est amené à parler de la politique israélienne. De l’éditorialiste au blogueur lambda, on ne s’étonnera pas, dès lors, de la similitude des discours des représentants du Crif, mais aussi de notre chef du gouvernement et de nos intellectuels.
Le rapport, qui définit comme « une évolution très inquiétante » le fait que l’opinion publique internationale commence à faire la distinction entre l’Autorité palestinienne et le Hamas, propose dans son chapitre VII une invitation à bafouer le droit international et professe que « le slogan de la paix est toujours plus fort que celui de la politique dans l’esprit de l’élite [et qu’il faut donc prôner] : la paix avant les frontières. »
Outre « les mots qui marchent », l’auteur, Frank Luntz, livre aussi les règles basiques à appliquer : « Manifester de l’empathie pour les deux parties ! », « combiner le motif terroriste avec la vision de civils […]. À utiliser en particulier en ce qui concerne les tirs de roquettes, mais aussi utile pour tout type d’attaque terroriste. »
Enfin, ce document, qui friserait le ridicule s’il n’était pas si cynique, insiste sur la nécessité de parler du futur et non du passé, de parler des enfants et de respect mutuel, et précise que mieux vaut « éviter d’apparaître hautains ou condescendants ». The Israël Project a fait massivement irruption dans l’univers des journalistes français pendant l’offensive israélienne sur Gaza, il y a un peu plus d’un an. Il se définit comme « à but non lucratif, œuvrant à informer la presse et les leaders d’opinion ». Il se propose de « fournir aux journalistes des fiches techniques et des analyses ». Du prêt à mâcher et à remâcher en quelque sorte.
L. K.
[2] Le rapport de la commission d’enquête présidée par le juge sud-africain Goldstone, à la demande de l’ONU, accuse l’armée israélienne et le Hamas de « crimes de guerre » à Gaza l’hiver dernier.
[3] Le Premier ministre britannique Gordon Brown a fait annuler le mandat d’arrêt contre Tsipi Livni en décembre par une modification du droit. En Turquie, une association de défense des droits de l’homme porte plainte contre le ministre de la Défense israélien, Ehoud Barak, pour la seconde fois.