samedi 23 janvier 2010

Bikaf ! Ça suffit !

vendredi 22 janvier 2010 - 06h:49
Ariadna Jové Marti - Rebelión
C’est ainsi qu’il est parti... Bikaf, ça suffit. Fini de coucher dehors, finies les nuits froides passées éveillé à aller d’un endroit à un autre, alors qu’il attend l’Uaden de la première prière, à l’aube. Fini de fuir, le moment est venu de prendre une décision et de dire : c’est aujourd’hui.
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On estime à 11 000 le nombre de Palestiniens séquestrés dans les geôles israéliennes, ce chiffre ne cessant d’augmenter. Et si l’on remonte à quelques décennies, c’est par centaines de milliers que les Palestiniens ont été à un moment ou un autre retenus ou enlevés par les troupes israéliennes d’occupation.
Ça y est maintenant il est en prison, Il n’y a que lui pour savoir ce qui s’y passe, lui et les soldats, dans un même espace clos, prison, centre d’interrogatoire, isolé dans une chambre, dans une salle de torture. Personne ne peut lui donner voix, personne ne peut lui donner des mots pour dénoncer cela.
Lui et les soldats qui, tous les vendredis lorsqu’il manifeste contre l’occupation israélienne, l’ont dans le collimateur de leur M-16. Les mêmes soldats qui ont tiré sur sa jambe, il n’y a de ça que quelques mois, les mêmes qui ont tué ses deux voisins, les mêmes qui ont tué son père. Les mêmes soldats avec des nouveaux visages. La même armée d’occupation.
Il est né a Ni’lin, un village de 5 000 habitants situé à l’ouest de la région de Ramallah, près de la ligne verte de 1967.
Fils de refugiés palestiniens après la guerre des six jours, il a fait ses premiers pas alors qu’il était avec ses frères, cousins, oncles et grands-parents. Il est allé à l école du village, à pied, le sac à dos plein de livres écrits par l’Autorité Palestinienne. Des livres qui disparaissent au fur et à mesure qu’Israël vole et annexe des territoires. Des livres qui décrivent une Palestine sans frontières intérieures, des livres qui ne connaissent pas la « West Bank » ni la Bande de Gaza. Des livres sans murs et sans les barrières électriques de l’Apartheid, des livres sans check points.
Après l’école, ces enfants passent leurs après-midi dans les rues, entourés des grands et des petits. Ils entendent différentes voix raconter les mêmes histoires. Jour après jour, ils entendent comment Israël vole leurs terres, comment Israël coupe leurs oliviers, comment Israël les attaque et les torture, comment les soldats attaquent et tuent, comment leursfrères et amis sont blessés et mutilés.
Des oreilles et des yeux qui entendent et qui voient les histoires des plus âgés, de ceux qui manifestent contre l’occupation d’Israël, contre la construction du mur de l’Apartheid, les voix de ceux qui luttent pour faire partir l’armée occupante. Des enfants qui voient assassiner leurs parents, leurs familles leurs amis une fois et encore, à mesure que les années s’écoulent.
Des enfants qui vivent entassés les uns sur les autres dans des camps de refugiés, ou dans un village comme Ni’lin et qui peu à peu restent isolés et sont obligés de le quitter, sans travail ni distractions, sans la possibilité de migrer, sans liberté.
Des enfants qui deviennent adultes du jour au lendemain. Des corps d’enfants adultes. Des enfants adultes qui sont attaqués par les soldats avec n’importe quel armement illégal et qui chaque jour devront prendre l’habitude d’esquiver de nouveaux dangers.
Puis un jour comme un autre, l’armée israélienne les poursuit pour les incarcérer. Les journées passent, pendant les heures de soleil ils se confrontent avec les soldats en esquivant la mort pour tenter de les faire partir, pour que les 730 kilomètres de mur qui les étouffent soient bâtis un peu plus lentement.
Pendant la nuit, ces enfants adultes ne dorment pas, ne vivent pas, leurs yeux ouverts à chaque instant pour que l’armée ne puisse pas les surprendre, ne puisse pas les enlever, ne puisse pas les arrêter pour les enfermer dans des espaces encore plus étroits, qui les feront devenir encore plus claustrophobes.
Des enfants adultes fugitifs qui vivent emprisonnés, étouffant dans des villages - prison.
Peu importe où ils se trouvent, peu importe vers où ils voudraient fuir, l’armée les contrôle et bloque toutes les routes. Il n’y a pas d’issue, pas où aller.
Villages-prison. Villes-prison
Et c’est comme ça qu’arrive un jour où l’un des ces enfants-adultes se dit que ces pierres s’évanouissent dans l’air, et petit à petit décide de les changer par des bouteilles pleines de peinture de couleurs pour les lancer contre les jeep de l’armée. Des bouteilles qui avec le temps deviendront des cocktails Molotov. Et alors que les uns lancent des pierres ou des bouteilles de couleurs, les autres répriment violemment et sauvagement. L’armée se forme et s’entraine sur des palestiniens désarmés en tirant de vraies munitions avec des M-16 et tuant des gens dans le dos.
Lorsque le corps ne peut plus résister et tombe malade, lorsque les forces s’épuisent et que fuir devient trop lourd et impossible quand après ne pas avoir dormi pendant des mois la fatigue l’emporte, l’armée israélienne vient les incarcérer, les cherche pendant la nuit dans leurs lits, envahissant le village et leurs maisons, attaquant leurs foyers et leurs familles, volant de l’huile d’olive et détruisant leur mobilier pour enfin les enlever. Des enfants qui passent des mois en prison, maltraités, torturés, seuls et écartés de leur familles et de ceux qu’ils aiment. Des enfants qui sont enlevés et vivent dans des prisons pendant un laps de temps inconnu, qui perdent leur année scolaire, ce qui influera dans leur parcours scolaire. Après quelques mois ou quelques années ils sortiront et continueront à être incarcérés dans leur villages-prison et continueront encerclés, emmuraillés dans cette prison mesurée en kilométres qu’on appelle West Bank.
Ces enfants adultes peu à peu se sentent mourir en vie, se sentent mourir à l’intérieur, et leurs cœurs se transforment en bombes. C’est comme cela que ces enfants ont cessé d’aller à l’école pour s’engager dans la résistance. La résistance prend nom et couleur politique, des couleurs semées par leurs familles bien des années auparavant.
Il arrive un moment où la vie et la mort deviennent la même chose. La vie est un « sans vivre ». Ne vivre ni à l’intérieur ni en dehors de la résistance, parce que sans résistance il y a disparition.
La résistance fleurit pour gagner du temps dans la bataille contre l’extinction. Parce qu’après ne pas avoir vécu pendant plusieurs années ou après avoir vécu incarcérés dans plusieurs et différentes cellules, après avoir vu comment on leur volait tout ce qu’ ils avaient, il se rendent compte que le chemin est tracé à l’avance.
Ces enfants adultes deviendront des adultes qui brandiront une arme pour se battre avec la résistance contre l’occupation et l’Apartheid israélien, pareil que lorsqu’ils étaient enfants, ils luttaient en lançant des pierres avec la muclea[fronde], et un jour sans prévenir personne ils deviendront les martyrs qui luttent pour la liberté du peuple palestinien.
Une histoire réelle qui se répète régulièrement pour tous les enfants de la « West Bank » et de Gaza.
C’est le tour de Mohammed, ce garçon mince et gaucher de 19 ans. Hier c’était le tour de ses deux frères ainés. Demain celui du cadet. Beaucoup des mots écrits ici viennent de lui, prononcés entre cris de colère et de solidarité avec le peuple de Gaza, Il y a de ça un an lorsqu’Israël bombardait la Bande de Gaza et tuait 1 400 personnes.
Aujourd’hui Mohamed est séquestré dans une prison israélienne.
On va l’attendre pour finir d’écrire l’histoire de tous les jeunes palestiniens, mais cela ne pourra être fait que si ses mots ne se sont pas enkystés dans ses os, que s’ils ne sont pas devenus un poids permanent qui les empêcherait pour toujours d’être prononcés.
Aujourd’hui, l’Etat d’Israël a incarcéré près de 11 000 civils palestiniens dans ses prisons, dans les 31 établissements pénitentiaires (21 prisons, 5 centres de détention, 4 centres d’intelligence israélienne y un centre d’interrogatoires du service secret de l’intelligence israélienne) de la Palestine historique.
Près de 1 000 de ces prisonniers politiques sont en détention administrative (349 sont mineurs et 75 des femmes). Ils n’ont pas le droit à être jugés et n’ont d’inculpation formelle.
Plus de 100 de ces détentions administratives ont eu lieu avant 2006. Dans les derniers 19 mois, 90 jeunes ont été enlevés par l’Etat d’Israël dans le village de Ni’lin, le plus jeune, un enfant de 13 ans.
Depuis septembre 2000, plus de 2 500 enfants ont été incarcérés par l’Etat d’Israël ; 340 de ces enfants sont toujours en prison.
Un seul soldat israélien a été capturé dans la Bande de Gaza.
Tout cela, il le sait lorsqu’ il sort de chez lui, la tête haute. Il porte une chemise jaune, dans un sac en plastique il a mis son pyjama. Il l’accompagnera pendant les longues et douloureuses nuits qui l’attendent en prison.
Pendant des semaines et des mois il attendra son procès, la sentence militaire. Il le sait et il pense à cela au moment où il traverse la porte jaune et voit le panneau qui dit : Bienvenus à la Prison d’ Ofer. Il s’est livré pour plus tard être libre, pour avoir plus d’espace, pour respirer et pour pouvoir dormir.
Malgré qu’il ne sait pas quand il pourra rentrer chez lui. Lorsqu’il traverse la porte, il dit au revoir avec un bikaf. Fini de fuir.
21 janvier 2010 - Rebelión - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.rebelion.org/noticia.php...
Traduction de l’espagnol : Inés Molina V.
http://info-palestine.net/article.php3?id_article=8036