jeudi 24 septembre 2009

Une interview exclusive de Khaled Meshal, dirigeant du Hamas

mercredi 23 septembre 2009 - 06h:47

Ken Livingstone


Ken Livingstone discute en exclusivité de religion, de violence et des chances pour la paix avec le leader du Hamas, Khaled Meshal.

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Khaled Meshal est responsable du bureau politique du mouvement Hamas

Lisez la première partie

KL : Quelles sont vos principaux objectifs ? Le Hamas est-il principalement une organisation politique ou religieuse ?

KM : Le Hamas et un mouvement de libération nationale. Nous ne voyons pas de contradiction entre notre identité islamique et notre mission politique. Bien que nous confrontions les occupants par le biais de la résistance et de la lutte pour obtenir les droits de notre peuple, nous sommes fiers de notre identité religieuse tirée de l’islam.

Mais à l’encontre de l’expérience des Européens avec le christianisme, l’islam ne prévoit pas, n’exige pas ni ne reconnaît une autorité ecclésiastique. Il fournit simplement une série de directives larges dont l’interprétation détaillée est soumise à la réflexion humaine (ijtihad) et en découle.

KL : Est-ce que vous vous consacrez à la destruction d’Israël ?

KM : Ce qui se passe en fait c’est la destruction du peuple palestinien par Israël ; c’est lui qui occupe notre terre, nous exile et nous tue, nous incarcère et persécute notre peuple. Nous sommes les victimes, Israël est l’oppresseur et ce n’est pas l’inverse.

KL : Pourquoi le Hamas adopte-t-il la force militaire dans ce conflit ?

KM : La force militaire est une option à laquelle notre peuple a recours parce que rien d’autre ne marche. La conduite d’Israël et la complicité de la communauté internationale, que ce soit sous forme de silence, d’indifférence ou de participation, justifie la résistance armée. Nous aimerions tellement que ce conflit soit résolu pacifiquement.

Si l’occupation devait cesser et que notre peuple puisse exercer son autodétermination dans sa patrie, il ne serait pas nécessaire d’avoir recours à la force. La réalité est que près de 20 ans de négociations de paix entre les Palestiniens et les Israéliens n’ont restauré aucun de nos droits. Au contraire, les compromis unilatéraux conclus par l’équipe de négociation palestinienne nous ont fait subir plus de souffrances et de pertes.

Depuis que l’OLP a conclu le traité de paix d’Oslo avec Israël en 1993, les Israéliens ont exproprié de nouvelles terres palestiniennes en Cisjordanie afin de construire des colonies juives illégales, d’étendre les colonies existantes ou de construire des routes réservées exclusivement aux Israéliens vivant dans ces colonies. Le mur d’apartheid que les Israéliens ont érigé en Cisjordanie a absorbé de vastes terres qui étaient censées être rendues aux Palestiniens d’après le traité de paix.

Le mur d’apartheid et des centaines de postes de contrôle ont transformé la Cisjordanie en enclaves isolées comme les cellules d’une grande prison qui rend la vie intolérable.

Jérusalem est constamment malmenée afin d’en modifier le paysage et l’identité et des centaines de maisons palestiniennes ont été détruites dans la ville et alentour, laissant des milliers de Palestiniens sans abri dans leur propre patrie. Au lieu de libérer les prisonniers palestiniens, les Israéliens ont arrêté 5000 Palestiniens de plus depuis la conférence de paix d’Annapolis en 2007 - action qui atteste que la paix ne les intéresse absolument pas.

KL : Le Hamas s’engage-t-il dans une activité militaire en dehors de la Palestine ?

KM : Non. Depuis sa création il y a 22 ans, le Hamas a confiné son champ d’opération militaire à la Palestine occupée.

KL : Souhaitez-vous établir en Palestine un état islamique dans lequel toutes les autres religions auront un statut subalterne ?

KM : Notre priorité comme mouvement de libération nationale est d’en terminer avec l’occupation israélienne de notre patrie. Une fois que notre peuple sera libre sur sa terre et bénéficiera du droit à l’autodétermination, c’est lui seul qui aura le dernier mot sur sous le système de gouvernement avec lequel il souhaite vivre. C’est notre ferme croyance que l’Islam ne peut pas être imposé aux gens. Nous ferons campagne, dans un processus entièrement démocratique, sur un programme islamique. Si c’est ce que les gens choisissent, alors ce sera leur choix. Nous croyons que l’Islam est la meilleure source d’inspiration et le meilleur garant pour les droits des musulmans comme des non-Musulmans.

KL : Le Hamas impose-t-il la tenue islamique dans Gaza ? Par exemple, oblige-t-on à Gaza que les femmes portent le hijab, le niqab ou la burqa ?

KM : Non. Intellectuellement, la vision du Hamas vient de la culture et de la religion du peuple. L’Islam est notre religion et il est le constituant de base de notre culture. Nous ne refusons pas à d’autres Palestiniens le droit d’avoir des visions différentes. Nous n’imposons aux gens aucun aspect concernant la religion ou leur conduite sociale. Les aspects de la religion dans la société de Gaza sont sincères et spontanés ; ils n’ont été imposés par aucune autorité autre que la foi et la conviction du croyant.

KL : Il est dit que la division dans le peuple palestinien entre de Cisjordanie et de Gaza et entre le Fatah et le Hamas, qui affaiblit évidemment leur position, est survenue parce que Hamas a pris par la force le contrôle de Gaza. Est-ce vrai et comment expliquez-vous cette division ?

KM : Assurément, la division affaiblit les Palestiniens et nuit à leur cause. Cependant, la division n’est pas le fait du Hamas, mais de l’insistance de certaines parties internationales et régionales à vouloir effacer les résultats de la démocratie palestinienne. Cela les a consternés que Hamas ait été élu par le peuple palestinien.

La division vient de l’existence d’une partie palestinienne qui cherche le soutien de ces mêmes parties régionales et internationales, dont les Etats-Unis et Israël, qui souhaitent voir Hamas mis hors jeu. Peu après sa victoire aux élections de janvier 2006, tout a été fait pour miner la capacité du Hamas à gouverner.

Après que ces efforts aient échoué, le général Keith Dayton de l’armée d’Etats-Unis, qui sert actuellement de coordonnateur de sécurité entre Israël et l’Autorité palestinienne [de Ramallah], avait été expédié à Gaza pour préparer un coup de force contre le gouvernement d’unité nationale conduit par le Hamas et issu de l’accord de la Mecque de 2007. Ce complot a incité le Hamas à Gaza à agir en situation d’autodéfense lors des événements de juin 2007.

Prétendre que le Hamas a effectué un coup de force est sans fondement parce que le Hamas était à la tête d’un gouvernement élu démocratiquement. Tout ce qu’il a fait était d’agir contre ceux qui préparaient un coup contre lui sous la direction et les conseils du général Dayton.

KL : Est-ce que ceux qui ont d’autres vues politiques ou religieuses, comme le Fatah, bénéficient-ils des libertés démocratiques à Gaza ? Quelle est la situation de ceux qui appartiennent au Hamas dans les territoires de la Cisjordanie sous contrôle du Fatah ?

KM : Des factions palestiniennes ont été inspirées par le nationalisme arabe, d’autres par le marxisme ou le léninisme, et d’autres par le libéralisme. Alors que nous sommes persuadés que ces idées sont étrangères à nos peuple et ont échoué à répondre à ses aspirations, nous insistons sur le fait que le peuple est le dernier arbitre sur qui souhaite-t-il voir diriger et sous quel système désire-t-il être régi. Ainsi, la démocratie est notre meilleure option pour diminuer nos divergences internes. Celui que le peuple choisi devra être respecté.

Nous essayons au mieux de notre capacité de protéger les droits de l’homme et les libertés civiles de ceux qui sont affiliés au Fatah et à toutes les autres factions dans la bande de Gaza. En revanche, les Palestiniens en Cisjordanie sous occupation israélienne et sous l’Autorité palestinienne de Ramallah continuent de se voir niés leurs droits fondamentaux.

Le Général Dayton supervise en Cisjordanie une répression sévère et brutale contre le Hamas et d’autres groupes palestiniens. Plus de 1000 prisonniers politiques, dont des étudiants, des professeurs d’Université et des professionnels dans tous les domaines sont pourchassés, détenus et torturés, parfois jusqu’à la mort, par les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne commandités et entrâinées par les Etats-Unis, les Britannique et l’Union Européenne.

KL : Croyez- vous possible de regrouper le peuple palestinien ? Si oui, comment pensez-vous que cela puisse être fait et dans quel type de délai ?

KM : Il est possible de réunir les Palestiniens. Afin que cela se produise deux choses sont nécessaires. D’abord, les interventions et les exigences étrangères doivent cesser. Il faut laisser le peuple palestinien traiter ses propres divergences internes sans pression externe. En second lieu, toutes les parties palestiniennes doivent respecter les règles du jeu démocratique et se soumettre aux résultats de son processus.

KL : Le refus du Hamas de reconnaître Israël est fréquemment cité comme obstacle insurmontable aux négociations et à un règlement pacifique.

KM : Cette question est uniquement employée comme prétexte. Israël ne reconnaît pas les droits du peuple palestinien, pourtant ceci n’est pas un obstacle pour qu’Israël soit reconnu au niveau international ou participe à des pourparlers. La réalité est que c’est Israël qui occupe la terre et dispose de la plus grande force. Plutôt que de solliciter les Palestiniens, qui sont les victimes, c’est Israël qui est l’oppresseur qui devrait être invité à reconnaître les droits des Palestiniens.

Dans le passé, Yasser Arafat a reconnu Israël mais a il a peu obtenu [en échange]. Aujourd’hui, Mahmoud Abbas reconnaît Israël, mais nous avons encore à voir les dividendes promis dans le processus de paix.

Israël ne fait de concessions que sous la pression. En l’absence de pression réelle sur Israël par les Arabes ou par la communauté internationale, aucun accord n’aboutira.

KL : Avez-vous une « feuille de route » pour des étapes intérimaires qui pourraient normalement mener à un règlement pacifique du conflit ? Pensez-vous que les juifs, les musulmans et les chrétiens peuvent un jour vivre ensemble et en paix en Terre Sainte ?

KM : Nous, au Hamas, croyons qu’un règlement pacifique réaliste au conflit devra commencer par un accord de cessez-le-feu entre les deux côtés basés sur un plein retrait d’Israël de tous les Territoires Occupés en 1967. L’intransigeance israélienne et le manque de volonté pour agir de la part de la communauté internationale sont ce qui empêche ce règlement. Nous croyons que nous pourrons déterminer le futur du conflit uniquement lorsque notre peuple sera libre et de retour sur sa terre.

Il faut rappeler ici que nous ne résistons pas aux Israéliens parce qu’ils sont juifs. Par principe, nous n’avons pas de problèmes avec les juifs ou les chrétiens, mais avons un problème avec ceux qui nous attaquent et nous oppriment. Durant de nombreux siècles, les chrétiens, les juifs et les musulmans ont coexisté paisiblement dans cette présente partie du monde. Notre société n’a jamais été témoin de ce type de racisme et de génocide contre « l’autre » que l’Europe a hébergé jusque récemment Ces problèmes ont débuté en Europe. Le colonialisme a été imposé à cette région par l’Europe, et lIsraël a été le produit de l’oppression des juifs en Europe et non pas d’un problème en terre musulmane.

KL : Quel rôle pensez-vous que d’autres pays et organismes, en particulier les Etats-Unis, l’Union Européenne et la Grande-Bretagne, jouent actuellement dans le conflit israélo-palestinien et dans les divisions entre les Palestiniens ?

KM : Le rôle joué par tout ceux-ci jusqu’ici a été négatif. L’attitude à l’égard des crimes israéliens contre peuple a été l’objet de silence ou de connivence. Les politiques et les prises de positions adoptées par ces parties ont contribué à la division palestinienne ou l’ont augmentée. D’une part, on énumère des conditions qui ont pour effet de torpiller des discussions sur l’unité et les efforts de réconciliation. D’autre part, certaines de ces parties internationales sont directement impliquées en éliminant nos partisans en Cisjordanie.

Les Etats-Unis et l’Union Européenne fournissent l’argent, la formation et les conseils pour construire un appareil de sécurité palestinien spécialisé dans la persécution de ceux qui sont critiques vis-à-vis de l’autorité palestinienne de Ramallah.

Nous sommes préoccupés en particulier par des informations selon lesquelles le gouvernement britannique, directement aussi bien qu’indirectement et au moyen de firmes privées spécialisées en sécurité et de services de vétérans de l’armée, d’officiers de police et d’agents de renseignements, est totalement impliqué dans le programme conduit par le Général Dayton contre le mouvement Hamas en Cisjordanie.

KL : Que devraient faire les pays tels que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne pour aider à un règlement pacifique ?

KM : Ils devraient simplement confirmer le droit international - l’occupation est illégale, l’annexion de Jérusalem est illégale, les colonies sont illégales, le mur de ségrégation est illégal, et le siège de Gaza est illégal. Pourtant rien n’est fait.

KL : Quelles relations le Hamas souhaite-t-il avoir avec le reste du monde, et, par exemple, avec la Grande-Bretagne ?

KM : Le Hamas défend une cause juste. À cette fin, il désire s’ouvrir au monde. Notre mouvement cherche à établir de bonnes relations et à mener un dialogue constructif avec le tous ceux concernés par la situation en Palestine.

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* Ken Livingstone est ancien maire de Londres

17 septembre 2009 - Cet article peut être consulté à :
http://www.newstatesman.com/middle-...
Traduction de l’anglais : Anne-Marie Goossens et Claude Zurbach