jeudi 24 septembre 2009

UM-Shmum, UM-Boom

publié le mardi 22 septembre 2009

Uri Avnery, le 19 septembre 2009
Maintenant un profond débat se déroule sur le rapport Goldstone. Non pas sur son contenu, Dieu merci. Qu’y a-t-il là-dedans à discuter ? Mais sur le seul point qui soit réellement important : notre gouvernement a-t-il eu raison en décidant de boycotter la commission ? Peut-être aurait-il mieux valu participer aux délibérations ? Notre Ministère des Affaires Étrangères a-t-il agi de façon aussi idiote que d’habitude ? (Notre ministère de la Défense, naturellement, ne se comporte jamais de façon idiote.) Des milliers de paroles sur cette question fondamentale pour le monde entier se sont répandus dans les journaux, à la radio et à la télévision, avec l’intervention de tous les commentateurs qui se respectent.

N’Y A-T-IL aucune limite aux manœuvres de ces ignobles antisémites ?

Cette fois ils ont décidé de calomnier les Juifs avec une nouvelle accusation de meurtres. Non pas la vieille accusation d’assassiner des enfants chrétiens et d’utiliser leur sang pour préparer le matzoth de la Pâque, comme dans le passé, mais celle de l’assassinat massif de femmes et d’enfants à Gaza.

Et qui ont-ils placé à la tête de la commission chargée de ce travail ? Ni un Britannique négateur de l’Holocauste, ni un Néo-nazi allemand, pas même un fanatique iranien, mais, entre toutes les personnes possibles, un juge juif qui porte le nom vraiment juif de Goldstone (Goldstein à l’origine, naturellement). Et pas simplement un Juif qui porte un nom juif, mais un sioniste, dont la fille, Nicole, est une sioniste enthousiaste qui a fait son “aliyah” et qui parle couramment l’Hébreu. Et pas simplement un sioniste juif, mais un Sud Africain qui s’opposa à l’apartheid et qui fut nommé à la Cour Constitutionnelle du pays lorsque ce système fut aboli.

Et cela pour diffamer l’armée la plus morale du monde, venant à peine de mener la guerre la plus juste de l’histoire !

Richard Goldstone n’est pas le seul Juif manipulé par la conspiration antisémite mondiale. Tout au long des trois semaines de la guerre de Gaza, plus de 10.000 Israéliens ont manifesté contre elle encore et encore. Ils furent photographiés portant des pancartes affichant “Arrêtez le massacre à Gaza”, “Halte aux crimes de guerre”, “Israël commet des crimes de guerre”, “Le bombardement de civils est un crime de guerre”. Ils chantaient ensemble : “Olmert, Olmert, c’est vrai – Ils t’attendent à La Haye !”

Qui aurait cru qu’il y avait autant d’antisémites en Israël !

LA RÉACTION OFFICIELLE d’Israël au rapport Goldstone aurait été amusante, si l’affaire n’avait été aussi grave.

À l’exception des “habituels suspects” (Gidéon Lévi, Amira Hass et leurs semblables), la condamnation du rapport fut unanime, totale et extrême, de Shimon Peres, cet avocat de chaque abomination jusqu’au dernier scribouillard de la presse.

Personne, mais vraiment personne, n’a traité le sujet lui-même. Personne n’a examiné le détail des conclusions. Avec une telle diffamation antisémite, il n’en est nullement besoin. En réalité, il n’est nullement nécessaire de lire le rapport.

L’opinion publique, dans toute sa diversité, s’est levée comme un seul homme pour s’opposer au complot, comme il a appris à le faire au cours d’un millénaire de pogroms, face à l’inquisition espagnole et à l’Holocauste. Une mentalité d’assiégé, la mentalité du ghetto.

La réaction instinctive dans une telle situation est la négation. Ce n’est tout simplement pas vrai. Cela ne s’est jamais produit. C’est un ramassis de mensonges.

En soi, c’est une réaction naturelle. Quand un être humain doit affronter une situation qu’il est incapable de gérer, la négation est le premier refuge. Si les choses ne se sont pas produites, il n’est nullement besoin d’y faire face. Fondamentalement, il n’y a aucune différence entre les négateurs du génocide arménien, les négateurs de l’anéantissement des Indiens d’Amérique et les négateurs des atrocités de toutes les guerres.

De ce point de vue, on peut dire que la négation est presque “normale”. Mais avec nous elle a évolué vers une forme d’art.

NOUS AVONS une méthode particulière : lorsque survient quelque chose que nous n’avons pas envie d’affronter, nous dirigeons les projecteurs sur un détail précis, quelque chose de complètement marginal, et nous commençons à mettre l’accent sur ce détail, à en discuter, à l’examiner sous tous les angles comme s’il s’agissait d’une question de vie ou de mort.

Prenez la guerre du Kippour. Elle a éclaté parce que pendant six années, à partir de la guerre de 1967, Israël avait navigué comme une Nef des Fous, intoxiqué par des chants de victoire, des albums de victoire et la croyance en l’invincibilité de l’armée israélienne. Golda Meir traita le monde arabe avec un franc mépris et rejeta les ouvertures de paix de Sadate. Résultat : plus de 2000 jeunes Israéliens tués, et qui sait combien d’Égyptiens et de Syriens.

Et de quoi discutait-on avec passion ? De l’“Omission”. “Pourquoi n’avait-on pas rappelé les réservistes à temps ? Pourquoi n’avait-on pas mis en mouvement les chars à l’avance ?” Ménahem Begin tonna à la Knesset, quantité de livres et d’articles furent écrits sur la question et une super commission d’enquête judiciaire délibéra.

La première guerre du Liban fut une faute politique et un échec militaire. Elle a duré 18 ans, a donné naissance au Hezbollah et en a fait une force régionale. Et de quoi discutait-on ? De savoir si Ariel Sharon avait trompé Begin et s’il était responsable de sa maladie et finalement de sa mort.

La seconde guerre du Liban fut une honte de bout en bout, une guerre inutile qui causa des destructions massives, des massacres en masse et la fuite de centaines de milliers de civils innocents de leurs maisons, sans aboutir à une victoire israélienne. Et quel était l’objet de nos discussions ? Dans quel but fut constituée une commission d’enquête ? Pour examiner la façon dont fut prise la décision de déclencher la guerre. Y avait-il eu un processus de prise de décision approprié ? Y avait-il eu un travail d’état-major correct ?

À propos de la guerre de Gaza, il n’y a pas eu de discussion du tout, parce que tout fut parfaitement réalisé. Une campagne brillante. Une direction politique et militaire merveilleuse. C’est vrai, nous n’avons pas convaincu la population de la Bande de Gaza de renverser ses dirigeants ; c’est vrai, nous n’avons pas réussi à libérer le soldat capturé Gilat Shalit ; c’est vrai, le monde entier nous a condamné – mais nous avons tué une quantité d’Arabes, nous avons détruit leur environnement et nous leur avons donné une leçon qu’ils n’oublieront pas.

Maintenant un profond débat se déroule sur le rapport Goldstone. Non pas sur son contenu, Dieu merci. Qu’y a-t-il là-dedans à discuter ? Mais sur le seul point qui soit réellement important : notre gouvernement a-t-il eu raison en décidant de boycotter la commission ? Peut-être aurait-il mieux valu participer aux délibérations ? Notre Ministère des Affaires Étrangères a-t-il agi de façon aussi idiote que d’habitude ? (Notre ministère de la Défense, naturellement, ne se comporte jamais de façon idiote.) Des milliers de paroles sur cette question fondamentale pour le monde entier se sont répandus dans les journaux, à la radio et à la télévision, avec l’intervention de tous les commentateurs qui se respectent.

POURQUOI DONC le gouvernement israélien a-t-il boycotté la commission ? La véritable réponse est tout à fait simple : il savait très bien que la commission, n’importe quelle commission, devrait aboutir aux conclusions auxquelles elle a abouti.

En fait, la commission n’a rien dit de nouveau. Presque tous les faits étaient déjà connus : le bombardement de quartiers civils, l’utilisation d’obus à dispersion de fléchettes et de phosphore blanc contre des cibles civiles, le bombardement de mosquées et d’écoles, l’empêchement des équipes de secours de se porter vers les blessés, le meurtre de civils en fuite portant des drapeaux blancs, l’utilisation de boucliers humains, et plus encore. L’armée israélienne n’a pas autorisé la présence de journalistes sur le terrain, mais la guerre était abondamment couverte dans tous ses détails par les médias internationaux, le monde entier y assista en temps réel sur ses écrans de télévision. Les témoignages sont tellement nombreux et cohérents que toute personne douée de raison peut en tirer ses propres conclusions.

Si les officiers et les soldats de l’armée israélienne avaient témoigné devant la commission, elle aurait peut-être été impressionnée aussi par leur point de vue – la peur, la confusion, le défaut de directives – et les conclusions se seraient peut-être révélées moins sévères. Mais l’orientation principale n’en aurait pas été changée. Après tout, toute l’opération était fondée sur la supposition qu’il était possible de renverser le gouvernement du Hamas à Gaza en causant des souffrances intolérables à la population civile. Les dommages aux civils ne furent pas “collatéraux”, qu’ils aient été évitables ou inévitables, mais représentaient un élément central de l’opération elle-même.

En outre, les règles d’engagement étaient conçues pour obtenir “zéro perte” parmi nos forces – éviter les pertes à tout prix. C’est la conclusion que notre armée – dirigée par Gabi Ashkenazi – a tiré de la seconde guerre du Liban. Les résultats parlent d’eux-mêmes ; 200 Palestiniens morts pour chaque soldat israélien tué par l’adversaire – 1400 contre 6.

Toute enquête véritable doit inévitablement conduire aux mêmes conclusions que celle de la commission Goldstone. C’est pourquoi, il n’y avait du côté israélien aucune envie d’une véritable enquête. Les “investigations” qui ont eu lieu étaient une farce. La personne responsable, l’Avocat Général Militaire, le brigadier portant kippa Avichai Mendelblit, était chargé de cette tâche. Il a été promu cette semaine au grade de major général. La promotion et le moment choisi veulent tout dire.

AINSI IL est clair qu’il n’y a aucune chance pour que le gouvernement israélien ouvre tardivement une véritable enquête, comme le demandent les militants de la paix israéliens.

Pour être crédible, une telle enquête devrait avoir le statut de Commission d’Enquête d’État telle que définie par le droit israélien, dirigée par un juge de la Cour Suprême. Elle devrait mener ses enquêtes de façon publique, à la vue des médias israéliens et internationaux. Elle devrait inviter les victimes, des habitants de Gaza, pour témoigner aux côtés des soldats qui ont pris part à la guerre. Elle devrait enquêter en détail sur chacune des accusations que l’on trouve dans le rapport Goldstone. Elle devrait vérifier les ordres donnés et les décisions prises, depuis le chef d’état-major jusqu’au niveau des troupes. Elle devrait étudier les briefings des pilotes de l’armée de l’air et des opérateurs de drones.

Cette liste suffit à montrer clairement pourquoi une telle enquête n’aura pas lieu et ne peut pas avoir lieu. Au lieu de cela, la machine de propagande mondiale israélienne va continuer à diffamer le juge juif et les gens qui l’ont missionné.

Toutes les accusations israéliennes contre les Nations Unies ne sont pas sans fondement. Par exemple : pourquoi l’organisation enquête-t-elle sur les crimes de guerre à Gaza (et dans l’ancienne Yougoslavie et au Darfour, enquêtes auxquelles Goldstone a participé comme procureur général) et pas sur les actions des États-Unis en Irak et en Afghanistan ou celles des Russes en Tchétchénie ?

Mais le principal argument du gouvernement israélien est que les Nations Unies sont une organisation antisémite et que sa Commission des Droits de l’Homme est doublement antisémite

LES RELATIONS D’ISRAËL avec les Nations Unies sont très complexes. L’État a été fondé sur la base d’une résolution des Nations Unies, et il n’aurait sans doute pas pris naissance précisément à ce moment-là et dans ces circonstances s’il n’y avait pas eu une telle résolution. Notre Déclaration d’Indépendance s’appuie largement sur cette résolution. Un an plus tard, Israël était admis comme membre des Nations Unies malgré le fait qu’il n’avait pas autorisé les 750.000 (à l’époque) réfugiés palestiniens à revenir chez eux.

Mais cette lune de miel a rapidement tourné au vinaigre. David Ben-Gourion parlait avec mépris de UM-Shmum (“UM” est le sigle hébreu pour “Nations Unies”, le préfixe “shm” signifie mépris). Depuis lors jusqu’à aujourd’hui même, Israël a systématiquement violé presque chacune des résolutions qui le concernait, se plaignant qu’il y avait une “majorité automatique” de pays arabes et communistes ligués contre lui. Cette attitude a été renforcée lorsque, à la veille de la guerre de 1967, les troupes des Nations Unies dans le Sinaï furent retirées précipitamment à la demande de Gamal Abd-el Nasser. Elle le fut aussi par la résolution des Nations Unies (annulée ensuite) assimilant le sionisme au racisme.

Maintenant cet argument reprend de nouveau de la vigueur. Les Nations Unies, à ce que l’on dit, sont anti-israéliennes, ce qui veut dire (évidemment) antisémites. Toute personne qui agit au nom des Nations Unies est quelqu’un qui a la haine d’Israël. Au diable les Nations Unies. Au diable le rapport Goldstone.

C’est là, cependant, une politique tristement à courte-vue. L’opinion publique à travers le monde entend parler du rapport et se souvient des images vues sur les écrans de télévision pendant la guerre de Gaza. Les Nations Unies jouissent de beaucoup de respect. À la suite de l’opération “plomb durci”, la réputation d’Israël dans le monde s’est durablement dégradée, et ce rapport va la dégrader encore davantage. Cela aura des conséquences pratiques – politiques, militaires, économiques et culturelles. Il n’y a qu’un idiot – ou un Avigdor Lieberman – qui puisse ignorer cela.

À défaut d’enquête israélienne crédible, il y aura des exigences pour que le Conseil de Sécurité des Nations Unies porte la question devant la Cour Pénale Internationale de La Haye. Barack Obama aurait alors à décider s’il doit opposer son véto à une telle résolution - un geste qui causerait un grave dommage aux États-Unis, et pour lequel il exigerait d’Israël un prix élevé.

Comme on l’a dit précédemment : UM-Shmum pourrait se transformer en UM-Boom. (NdT : c’est-à-dire rugissement ou grondement des Nations Unies).

Article publié le 19 septembre 2009 sur le site de Gush Shalom, en hébreu et en anglais – Traduit de l’anglais « Um-Shmum, Um Boom » pour l’AFPS : FLPHL