Laurent Zecchini, Le Monde, vendredi 14 mars 2014
Le gouvernement du Hamas est aux abois, politiquement et 
financièrement. Sur le plan militaire, il est difficile d’évaluer la
 gravité de la situation, même si tout porte à croire que le blocus 
draconien que lui impose Le Caire – qui s’ajoute à celui maintenu par 
Israël – a porté un rude coup à ses canaux habituels de ravitaillement
 en armes et en munitions, qui passaient par les tunnels creusés sous 
le corridor de Philadelphie, cette frontière entre l’enclave 
palestinienne et l’Egypte.
L’armée égyptienne a systématiquement détruit ces passages 
souterrains. Même s’il est probable que le Mouvement de la 
résistance islamique en a conservé quelques-uns opérationnels, il 
n’est pas sûr que les armes et les munitions transportées par le cargo
 Klos-C, arraisonné le 5 mars par la 
marine israélienne, auraient pu passer au travers des mailles du filet 
tendu par les militaires égyptiens dans le Sinaï.
A en croire le ministre israélien de la défense, Moshe Yaalon, cette 
cargaison en provenance d’Iran, semble-t-il, était destinée au 
Jihad islamique plutôt qu’au Hamas, signe que les relations entre ce 
mouvement et Téhéran restent marquées par le net refroidissement 
constaté en 2013. Un des dirigeants du 
Hamas, Mahmoud Zahar, assure cependant que les différends politiques 
sont en passe d’être aplanis et que si l’aide financière de l’Iran 
s’était considérablement réduite, c’était à la suite d’un « problème
 technique ». Les transferts bancaires avec les banques de Gaza étant
 impossibles, l’argent devait nécessairement passer, en liquide, par 
les tunnels.
« AUCUNE LOGIQUE, AUCUNE JUSTIFICATION MORALE »
Dans sa maison étroitement protégée par les combattants des 
Brigades Ezzedine Al-Qassam, la branche armée du Hamas, Mahmoud Zahar
 ne cache pas que « la situation est devenue plus tendue et difficile »
 depuis que le gouvernement égyptien du maréchal Al-Sissi s’évertue 
à isoler le Hamas, aggravant en cela la situation économique déjà 
précaire des 1,7 million de Gazaouis.
M. Zahar réfute en bloc les accusations du Caire, notamment celle 
d’une ingérence dans les affaires intérieures égyptiennes, qui 
passerait par un soutien militaire aux groupes de bédouins salafistes
 du Sinaï : « Nous aussi avons eu des problèmes avec les salafistes de
 Gaza, cela n’aurait aucun sens que nous fournissions des armes à ceux
 qui sont en Egypte, et celle-ci n’a produit aucune preuve ! », 
insiste-t-il.
Bête noire des Israéliens, Mahmoud Zahar est le plus politique, et 
aussi le plus extrémiste, des dirigeants du Hamas. Son influence sur 
les groupes armés de Gaza, et notamment sur les Brigades Ezzedine 
Al-Qassam, l’emporte nettement sur celle du premier ministre du 
Hamas, Ismaïl Haniyeh. M. Zahar ne voit « aucune logique, aucune 
justification morale » à l’attitude de l’Egypte, si ce n’est la 
volonté de ses dirigeants « de convaincre les Occidentaux qu’ils 
combattent le terrorisme ». « Leur seule explication, poursuit-il,
 c’est de dire “nous allons écraser le Hamas”, parce que c’est un régime
 islamique, parce que l’islam n’est pas accepté par les Occidentaux, 
l’islam est terroriste, c’est Satan ! Donc ce n’est pas une lutte 
contre le Hamas, mais contre l’islam ! »
CONSTAT PESSIMISTE
Cette politique, qui vise selon lui à provoquer la chute du 
gouvernement de Gaza, résulte d’une collaboration de fait entre 
Israël, « certains cercles » militaires en Égypte, le Fatah 
(principal parti de l’Autorité palestinienne), et surtout son ancien 
chef de la sécurité préventive dans la bande de Gaza, Mohammed Dahlane,
 le principal opposant de Mahmoud Abbas, président de l’Autorité 
palestinienne.
Son constat pessimiste sur les chances d’un accord de 
réconciliation interpalestinienne est plus crédible. Il le 
formule en posant trois questions, dont la réponse implicite est, pour 
lui, négative : « Est-ce que l’Amérique veut la réconciliation 
palestinienne ? Est-ce qu’Israël est prêt à l’accepter ? Est-ce 
que Abou Mazen a les moyens de l’imposer aux Américains et 
à Israël ? »
Mahmoud Zahar n’a aucune illusion sur l’issue des négociations de 
paix israélo-palestiniennes ni sur l’étape suivante : « En cas 
d’échec, les Palestiniens n’auront d’autre choix que la lutte armée, 
parce qu’il n’y a pas d’alternative : ce n’est pas l’ONU qui va nous donner un Etat. »
« DE GAULLE ÉTAIT-IL UN TERRORISTE ? »
Affaibli et isolé, le Hamas gère avec précaution sa relation de 
voisinage avec Israël. Il s’efforce de maintenir l’accord de 
cessez-le-feu qui a mis fin à la guerre de novembre 2012,
 sans être complètement capable d’empêcher certains groupes 
extrémistes de Gaza, comme le Jihad islamique, de lancer des roquettes
 de temps à autre sur le sud d’Israël. Ces dernières semaines, des 
centaines de jeunes Gazaouis, qui se revendiquent du mouvement 
informel des « Jeunes de l’Intifada », se sont approchés à plusieurs 
reprises de la barrière de sécurité. Des dizaines d’entre eux ont été 
blessés par les tirs israéliens.
Mahmoud Zahar assure que l’accord de cessez-le-feu prévoyait de 
laisser les Gazaouis cultiver leurs terres près de la frontière. « Nous
 n’allons pas les empêcher de s’y rendre, parce que c’est leur terre, 
elle leur appartient. L’accord de cessez-le-feu n’a pas fait de 
nous les gardes-frontières d’Israël. »
Mahmoud Zahar montre alors l’endroit où son fils a été tué par un bombardement israélien, en 2002,
 au début de la seconde Intifada. Et il lance cette dernière 
diatribe : « Votre problème, à l’Ouest, c’est que vous ne savez pas 
faire la différence entre des combattants pour la liberté et des 
terroristes. De Gaulle était-il un terroriste ? Quelle est la 
différence entre les Français pendant l’Occupation, et les 
Palestiniens sous occupation israélienne ? La vérité est que vous 
n’avez pas de moralité ! »
 
 
