mercredi 9 novembre 2011

Terrorisme israélien en Méditerranée : une longue histoire...

dimanche 6 novembre 2011 - 12h:39
Revue d’Etudes Palestiniennes
(Rapport établi par le Centre d’information parallèle et le Centre d’information palestinien sur les droits de l’homme - Jérusalem - 1988)
(JPG)
Neuf citoyens turcs ont été froidement assassinés par les commandos israéliens qui avaient pris d’assaut le Mavi Marmara en mai 2010, alors que celui-ci naviguait dans les eaux internationales et se dirigeait vers la bande de Gaza sous blocus israélien. Les funérailles des victimes ont été suivies par des foules innombrables et ont donné lieu à des scènes terriblement poignantes.
Les autorités israéliennes tiennent pour avéré que la juridiction de leur Etat s’étend bien au-delà de ses frontières. Depuis le milieu des années 70, des dizaines de personnes ont été arrêtées par les forces militaires israéliennes, soit au Liban, soit en mer. Certaines ont été traduites devant des tribunaux et condamnées ; parmi elles, des militants politiques venus de différents pays pour aider et défendre les Palestiniens qui vivent dans les camps de réfugiés du Liban.
Au cours des deux dernières années, on a vu augmenter le nombre des bateaux arraisonnés en Méditerranée et des personnes enlevées sous le prétexte qu’elles seraient liées au mouvement de résistance palestinien. A l’occasion de piratages, vingt personnes ont trouvé la mort. Elles étaient soupçonnées, mais non pas inculpées officiellement, de préparer une opération militaire. De nombreuses autres personnes furent arrêtées qui, de l’aveu même des militaires israéliens, n’avaient rien fait de plus que pêcher dans les eaux proches des côtes du Liban. La prise de bateaux étrangers par la marine israélienne hors des eaux territoriales israéliennes est devenue partie intégrante de la politique israélienne en Méditerranée.
Selon la presse arabe et internationale, la marine israélienne s’est emparée d’au moins vingt navires et bateaux de pêche hors des eaux territoriales israéliennes entre mars 1985 et mai 1987, et, dans onze des cas, nous savons que les gens qui se trouvaient à bord ont été faits prisonniers et incarcérés. Quelques-uns ont été jugés, certains déportés ; le sort des autres ne nous est pas connu.
Nous pensons qu’il s’agit ici d’un terrorisme d’État délibéré, une politique en vertu laquelle l’État d’Israël enlève systématiquement ceux qu’il considère comme des suspects, en violation de toutes les lois et conventions internationales, transformant ainsi la Méditerranée en une mer sans loi où chacun peut craindre pour sa sécurité.
Dans ce rapport, nous avons tenté d’organiser les informations recueillies jusqu’à présent, afin de les porter à la connaissance de l’opinion publique internationale et de lancer une campagne internationale contre le terrorisme d’État israélien en mer.
I. ONZE AFFAIRES CONNUES
Première affaire : le Khalîl I (29 mars 1985)
Le Khalîl I est arraisonné le 29 mars 1985, alors que, parti de Chypre, il fait route vers le Liban. Six personnes qui se trouvaient à bord sont enlevées, placées en régime de détention administrative, sans aucun contact avec qui que ce soit. Quatre de ces personnes sont traduites devant la cour militaire de Lydda et condamnées, le 21 juillet 1986. Elles sont reconnues coupables d’appartenance à la Force 17 du Fath, et convaincues d’avoir reçu une formation militaire. L’une est en outre tenue coupable d’avoir tenté de s’introduire en Israël en 1981.
-  Hâbis Daglas : condamné à quatorze ans d’emprisonnement.
-  Abdû Efendî : condamné à deux ans et demi.
-  Riâd Abd al-Haqq : condamné à deux ans et demi.
-  Jihâd Sahli : condamné à deux ans.
Au moment de leur procès, on était sans nouvelles des deux autres. Enfin, en octobre 1986, le cinquième personnage, Muhammad Mahmûd Darwîsh (Abû Nûr) est présenté à la télévision israélienne comme étant officier supérieur, membre de la garde personnelle de Yasser Arafat. Déclaré coupable d’appartenance à une organisation illégale et d’avoir reçu une formation militaire, il est condamné à deux ans et demi d’emprisonnement. Le sixième, Sa’îd al-Damaj est déporté sans jugement.
Deuxième affaire : l’Ataveros (21 avril 1985)
Concernant les faits, à savoir le torpillage de l’Ataveros et l’arrestation des huit survivants, le lecteur pourra se reporter au document spécial joint à ce rapport (voir Annexe II.) Les huit personnes détenues sont traduites devant le tribunal militaire de Lydda et condamnées comme suit :
-  Mustafa ’Uthmân, à vingt ans de prison pour la préparation d’une opération militaire contre l’état-major de l’IDF (Forces de défense israéliennes) à Tel-Aviv
-  Abd al-Rahmân Abû Athâni, à vingt ans pour la préparation d’une opération militaire contre l’état-major de l’IDF à Tel-Aviv
-  Ahmad ’Awda al-Najjâr, à douze ans en qualité d’officier de bord
-  Husâm Hajjû, à douze ans en qualité d’officier de bord
-  ‘Abd al-Nâsir al Hajj, à sept ans en qualité de marin de bord
-  Salîm Samkari, à sept ans en qualité de marin à bord
-  Muhammad ’Abd al-Hâfiz Muhammad, à sept ans, comme marin à bord
-  Usâma Sulaymân Abû Harb, à sept ans comme marin à bord
Les autorités israéliennes reconnurent être en possession de quatre corps.
Troisième affaire : Hamadallah (1° juillet 1985)
Deux Palestiniens sont arrêtés :
-  Khalîl Adîb Khalîl Anânî est condamné à dix-huit mois pour appartenance à une « orga­nisation illégale ».
-  Nâ’il Amîn Fatâyir, à dix-huit mois pour appartenance à une « organisation illégale ». Il rentre ensuite chez lui, à Naplouse, est arrêté de nouveau, fait l’objet d’un arrêt de déportation en janvier 1987. Il fait appel devant la Haute Cour de justice, son appel est rejeté et il est déporté au début de juillet 1987.
Quatrième affaire : le groupe Ajnadîn
Huit paracommandos qui se rendent de Chypre au Liban sont arrêtés en mer. Ils avaient pour mission de défendre des camps de réfugiés palestiniens contre les attaques des milices libanaises. Tous les huit sont traduits devant le tribunal militaire de Lydda en juillet 1986 et condamnés pour appartenance à une organisation illégale en Israël et pour avoir reçu une formation militaire.
-  Abdallah Zâmil Muslih, à cinq ans d’emprisonnement
-  Munîr Sâlim Jamûl à cinq ans
-  Nâ’if Salâmi ’Abd al-Karîm, à cinq ans
-  Muhammad khâlid Mustafa al-Khatîb à cinq ans
-  Mahmûd Muhammad ’Atâba, à cinq ans
-  Riâd Muhammad Salamûd, à huit ans
-  Fâdi Husayn Mansûr, à cinq ans
-  Mustafa Mûsa Yûsuf, à cinq ans.
Cinquième affaire : le Genda (31 août 1985)
Cinq personnes sont arrêtées en mer, alors qu’elles se rendent de Chypre à Saïda. Elles sont condamnées par le tribunal militaire de Lydda, le 7 août 1986, sous l’inculpation d’appartenance à la Force 17 du Fath, et celle d’avoir reçu un entraînement au maniement des armes.
-  Abd al-Karîm Alî al-Fahûm, condamné à trois ans ferme et trois ans sursis
-  Jawâd Fakhri al-Bakri, à trois ans ferme et trois ans avec sursis
-  Mit’ib Yûsuf al-Khatîb, à dix-huit mois ferme et trois ans avec sursis
-  Turki Sâdiq ’Uthmân, à trois ferme et trois ans avec sursis
-  Khaldûn Dhâhir Haju\ à trois ans ferme et trois ans avec sursis.
Sixième affaire : l’Opportunity (10 septembre 1985)
Faysal Abû Sharakh est enlevé sur l’Opportunity alors qu’il se rend du Liban à Chypre. Il est retenu en détention administrative au secret, du 10 septembre 1985 à juin 1987. Pendant plus d’un an et demi, son arrestation est considérée comme « top secret », et il est même interdit de faire mention de son nom. Son défenseur, M. Amnon Zichroni, fait appel de cette détention administrative à deux reprises devant la Haute Cour de Justice, appel par deux fois rejeté. Au cours de son interrogatoire, Abû Sharakh fut torturé, au point de devenir définitivement impuissant.
Une commission d’enquête est nommée afin d’examiner la réalité de ces tortures. En juin 1987, il comparaît devant le tribunal militaire de Lydda et doit répondre d’appartenance à une organisation illégale. Selon son dossier, Abû Sharakh est un officier supérieur de la Force 17 du Fath, l’un des chefs de la défense de Beyrouth en 1982 et la défense des camps de réfugiés en 1985.
Septième affaire : le Amal (1° septembre 1986)
Le Amal est arraisonné alors qu’il se rend de Chypre à Saïda, et une personne qui se trouve à bord est arrêtée. Son nom, le sort qui lui a été réservé sont a ce jour inconnus.
Huitième affaire : le Anton (15 septembre 1986)
La flotte israélienne arraisonne le Anton et un autre petit bateau qui aurait eu des liens avec lui. Deux personnes sont enlevées du petit bateau, et six du Anton ; parmi ces der­nières, Sulaymân Hils (Abû Walîd), connu pour être un membre dirigeant du Fath. Les deux personnes arrêtées sur le petit bateau, Fathi Nimr Abû al-Khayr et Fathî Halîmî, sont déportées sans jugement.
En octobre 1986, Abû Walîd et les cinq autres prisonniers sont traduits devant le tribunal militaire de Lydda et condamnés comme suit :
-  Sulaymân Hils, condamné à sept ans d’emprisonnement et trois ans avec sursis pour appartenance au Fath et pour formation militaire
-  ’Arail Muhammad al-Mughrabî (copropriétaire du bateau), condamné à cinq ans ferme et trois ans avec sursis pour appartenance au Fath et services rendus à cette organisation
-  Ahmad Sîsî, condamné à trois ans ferme et trois ans avec sursis pour appartenance au Fath et entraînement militaire
-  Muhammad Fadl Jâdallah, condamné à trois ans ferme et trois ans avec sursis pour appartenance au Fath et formation militaire
-  Khalîl Hammûdî, condamné à deux ans et demi ferme et deux ans et demi avec sursis pour appartenance au Fath et formation militaire
-  Khâlid Faramân, le capitaine du bateau, est déporté.
Neuvième affaire : deux bateaux de pêche (17 novembre 1986)
Les deux bateaux capturés près de Saïda transportent des armes. Trois personnes sont arrêtées et condamnées, le 1er juin 1987, par le tribunal militaire de Lydda.
-  Muhammad Hasan al-Jamal, condamné à huit ans ferme et trois ans avec sursis pour appartenance active au Fath et formation militaire
-  Diâb Mahmûd Safdi, condamné à huit ans ferme et trois ans avec sursis pour appartenance active au Fath, et formation militaire
-  ‘Ali Ahmad al-Jamal, condamné à 16 mois ferme et 8 mois avec sursis pour appartenance au Fath.
Dixième affaire : bateau de pêche (4 décembre 1986)
Le bateau est arraisonné au large de la côte du Sud-Liban et deux personnes sont enlevées.
-  Ahmad Khalîl Hasan, condamné à dix-huit mois pour appartenance au Fath et tentative de rendre des services à cette organisation
-  Sulaymân Huwaydî, condamné à sept mois pour tentative de rendre des services au Fath.
Onzième affaire : le Maria R (6 février 1987)
Cinquante-huit personnes sont arrêtées au large de la côte libanaise. Huit membres de l’équipage sont relâchés, trois condamnés, les quarante-huit autres attendent leur jugement.
II. CIRCONSTANCES DES ARRAISONNEMENTS ET DES ARRESTATIONS
Selon les témoignages des passagers et des équipages qui furent emmenés en Israël, l’arraisonnement obéit toujours au même scénario. Un aviso israélien s’approche du bateau « suspect ». Ordre est donné au capitaine d’arrêter les machines, et les forces navales israéliennes annoncent leur intention de monter à bord. Parfois, l’aviso décline son identité, mais pas toujours. Les soldats israéliens fouillent le bateau et ordonnent à toutes les personnes à bord de se rassembler sur le pont. En certains cas, il semblerait qu’ils recherchent quelque chose ou quelqu’un en particulier, sur des renseignements précis. Mais dans la plupart des cas, la fouille est arbitraire et d’ordre général. Nous avons connaissance de onze cas de bateaux saisis, un cas de bateau coulé, les passagers et l’équipage obligés de quitter le bateau et emmenés de force en Israël.
Lieux des captures et des enlèvements
Les autorités israéliennes prétendent que toutes les arrestations ont eu lieu en haute mer, et jamais dans les eaux territoriales d’un autre pays. Mais les équipages ont réfuté cette allégation dans plusieurs cas. Certains disent avoir été arrêtés dans les eaux territoriales libanaises et, dans un cas, celles de Chypre (le Maria R). L’arraisonnement d’un bateau dans les eaux territoriales d’un pays étranger est une nette violation de la souveraineté de ce pays, et l’arrestation de personnes en mer est un acte de piraterie (voir Annexe 1).
A l’exception de l’Ataveros, aucun de ces bateaux ne se dirigeait vers Israël. Les Israéliens ne peuvent donc pas prétendre que les arrestations étaient nécessaires pour prévenir des attaques militaires contre leur territoire.
Les pavillons
Dans la plupart des cas, les embarcations étaient de petites dimensions ou de simples bateaux de pêche et n’arboraient aucun pavillon. Dans trois cas, les bateaux battaient pavillon étranger : l’Ataveros (pavillon panaméen) ; le Casselardit (pavillon australien) ; le Maria R (pavillon du Honduras).
L’arraisonnement en haute mer d’un bateau battant pavillon d’un État est une violation de la souveraineté de l’État concerné.
Les arrestations
Les passagers et/ou l’équipage arrêtés par la marine israélienne furent transférés sur les avisos israéliens, battus, on leur passa les menottes et on leur banda les yeux. Dans le cas du Maria R, les personnes arrêtées furent contraintes d’enlever leurs vêtements, de se jeter à l’eau en sous-vêtements et de nager jusqu’à l’aviso israélien. Elles furent alors placées en détention administrative et transférées vers différents centres militaires pour interrogatoire, mises au secret, sans communication avec quiconque, pas même un avocat.
Les personnes disparues
Il est impossible de déterminer combien de personnes ont été arrêtées, ni si les chiffres israéliens quant aux personnes officiellement détenues recoupent le nombre des personnes arrêtées. Nous avons connaissance d’au moins deux cas où le sort des personnes arrêtées reste à ce jour inconnu : un homme fut pris en septembre 1986 et, depuis lors, personne n’a plus entendu parler de lui ; sur les vingt-huit personnes arrêtées à bord de l’Ataveros, huit furent jugées et condamnées, les autorités israéliennes ont finalement reconnu être en possession de quatre corps, mais la disparition de seize personnes reste inexpliquée. L’un des passagers de l’Ataveros a été aperçu blessé mais vivant, lors de son transfert sur l’aviso israélien, mais on ne l’a plus revu depuis.
Vols d’argent
De nombreux détenus se plaignent que d’importantes sommes d’argent leur ont été confisquées ou volées au moment de leur arrestation. Dans la plupart des cas, cet argent provenait de collectes en faveur des familles de réfugiés au Liban. Muhammad Darwîsh était en possession de 50 000 dollars américains et Hâbis Daglas, de 12 000 dollars. C’est une somme totale de 34 000 dollars, plus I 180 livres sterling et 200 deutsch marks qui fut confisquée aux dix-neuf passagers du Maria R. Les autorités israéliennes prétendent ne rien savoir de cet argent.
Meurtres
Dans le cas de l’Ataveros, les Israéliens attaquèrent le bateau sans provocation, tirèrent deux missiles et le coulèrent. Non seulement la marine israélienne refusa pendant trois heures de recueillir les passagers qui s’accrochaient aux épaves, dans les eaux glacées, mais, selon le témoignage des survivants, les soldats tirèrent sur l’unique canot de sauvetage et le firent exploser.
Sur les vingt-huit personnes qui se trouvaient à bord de l’Ataveros, Israël reconnaît n’en avoir que huit dans ses prisons, et avoir repêché quatre corps (voir Annexe II).
III. CONDITIONS DE DETENTION DES PALESTINIENS ARRETES HORS DU TERRITOIRE D’ISRAEL
Au cours des deux dernières années seulement, on peut évaluer à plus de cent le nombre de Palestiniens arrêtés en mer hors du territoire israélien, amenés de force en Israël, puis accusés de violation de la loi locale, et condamnés à de longues années de prison. Que se passe-t-il pour ces Palestiniens entre le moment où ils sont amenés en Israël et le moment où ils comparaissent devant un tribunal et où une accusation est officiellement formulée contre eux ? C’est un laps de temps qui peut aller d’un mois à un an et demi ou plus.
Mise au secret
Les Palestiniens enlevés en mer ne sont pas arrêtés pour des délits précis, mais sur décision administrative. Ils restent sous ce statut jusqu’à la fin de la période d’instruction, leur statut change lorsque des faits précis sont retenus contre eux et soumis au tribunal, peu de temps après. Sous le régime de détention administrative, les autorités israéliennes peuvent maintenir un prisonnier, sans inculpation, dans l’un des centres d’enquête militaires, comme par exemple Meggido, ’Atlît, Jalami ou Sarafand, au lieu de le transférer dans une prison civile où les prisonniers jouissent d’un minimum de droits. Dans ces centres militaires, les personnes sont au secret, isolées le plus souvent et souvent aussi victimes de brutalités.
Outre qu’ils sont privés de visites de leur famille ou d’avocats, ces prisonniers ont souvent subi de très longues périodes d’isolement (quatre-vingt-cinq jours dans le cas des huit prisonniers de l’Ataveros), des périodes de détention administrative (vingt et un mois pour Faysal Abû Sharakh) parfois suivies de déportation sans jugement, de transferts fréquents d’une prison militaire à une autre, ce qui limite leurs contacts avec d’autres prisonniers et avec des avocats et rend leur isolement d’autant plus sûr.
Une personne incarcérée sur décision administrative doit être présentée au juge dans les quatre jours consécutifs, puis de nouveau dans un délai de trois mois. Selon l’avocat Walîd Fâhûm, presque tous les Palestiniens capturés en mer passèrent aux aveux dans la première semaine de leur interrogatoire, mais furent cependant maintenus en détention préventive avant d’être officiellement inculpés.
Salîd al-Damaj subit une année de détention avant d’être déporté, sans inculpation et sans jugement. Deux pêcheurs palestiniens restèrent en prison pendant six mois ; ils furent finalement relâchés, sans inculpation, sans jugement. Pour certains passagers du Maria R, la période de détention fut égale à la peine d’emprisonnement prononcée contre eux plus tard.
Dans le cas de Muhammad Mahmûd Darwîsh (Abû Nûr), garde du corps du président de l’OLP Yasser Arafat, sa détention administrative servit probablement à des négociations secrètes. Darwîsh fut arrêté avec cinq autres personnes le 29 mars 1985, sur le Khalîl I, parti de Chypre et se dirigeant vers le Liban. Son arrestation fut gardée secrète pendant un an et demi. Les autorités militaires israéliennes choisirent alors de faire connaître sa détention, de façon très ostentatoire, par une interview à la télévision israélienne. Il semble que les autorités aient alors renoncé à l’espoir de l’échanger contre des prisonniers israéliens. On ne voit aucune autre explication à cette longue mise au secret, puisque Darwîsh fut en fin de compte l’objet de la même inculpation (appartenance au Fath et formation militaire) et de la même condamnation (deux ans et demi d’emprisonnement) que ses compagnons du Khalîl I.
La détention administrative permet aussi aux autorités israéliennes de refuser au détenu le choix de son avocat. En effet, seuls les avocats du « numerus clausus », liste agréée par les militaires israéliens, sont admis à représenter, et même à rendre visite à un détenu relevant d’une décision administrative discrétionnaire.
Ahmad Shihâdi ’Awda al-Najjâr est un autre détenu dont l’arrestation ne fut rendue publique que par une brève apparition à la télévision. Sa famille, qui réside en Cisjordanie, l’identifia d’après le film projeté à la télévision quelques semaines après son arrestation, le 21 avril 1985, et demanda à Me Lea Tsemel de le défendre. Le 6 août, M" Tsemel, qui n’avait pas réussi à savoir dans quelle prison al-Najjâr était détenu, s’adressa au procureur général militaire pour obtenir des détails sur son arrestation. Bien que des milliers de personnes aient pu voir al-Najjâr à la télévision, les autorités israéliennes déclarèrent tout ignorer de son existence. Ce n’est qu’après que la Haute Cour de justice eut rendue une décision de habeas corpus que les autorités reconnurent détenir al-Najjâr, sous décision administrative.
Me Tsemel ne figure pas sur la liste des avocats agréés par les autorités militaires israéliennes. Elle recommanda à la famille un avocat qui y figure, Me Matti Atzmon. Celui-ci lui rendit visite à al-Najjâr et rapporta à la famille un message enregistré, dans lequel le détenu saluait ses proches et remerciait pour l’envoi de sous-vêtements ; le reste du message avait été effacé par l’avocat ou par les autorités, on ne sait.
Dans le cas de Faysal Abû Sharakh, arrêté le 10 septembre 1985, même son nom fut tenu secret jusqu’à son inculpation officielle, en juin 1987. Il a peut-être été tenu au secret dans un centre d’interrogatoire militaire pendant une grande partie de ce temps. Abû Sharakh s’est plaint à son avocat d’avoir été l’objet de sévices qui auraient entraîné peut être son impuissance définitive.
Témoignage de prisonniers sur leurs conditions de détention
Nous possédons quelques détails sur les conditions de détention des prisonniers soumis à des interrogatoires ; ils nous parviennent grâce aux récits de plusieurs prisonniers et de leurs avocats.
Ahmad ’Awda al-Najjâr a décrit sa détention dans un centre qui pourrait être Maggido (spécialisé, semble-t-il, dans l’interrogatoire des Sud-Libanais) ou bien Jalâmi ou Sarafan, tous centres militaires.
« On me mena à un centre d’interrogatoire militaire, dont je ne connais ni le nom ni lu localisation, et je fus placé là au secret pendant quatre-vingt-cinq jours. Au bout de cent jours, je fus transféré dans une prison militaire à ’Atlît, j’appris que, sur les huit personnes qui s’accrochaient au même morceau de bois que moi (après le naufrage de l’Ataveros, seulement étaient encore en vie. Celui qui était malade, mais encore vivant au montent où nous fûmes recueillis par le navire israélien, était mort par la suite, mais je ne sais pas comment. »
« Pendant mon incarcération au centre, j’eus à répondre à de nombreux enquêteurs. Je fus battu à plusieurs reprises, frappé sur les parties génitales, mis à nu et interrogé, une lampe puissante braquée sur le visage. A mon arrivée au centre, on me signifia un ’règlement spécial’ ; chaque fois que j’entendais des pas dans le couloir s’approcher de ma cellule (de 1,80 m sur 1,80), je devais placer un sac sur ma tête, et me tenir debout face au mur, les bras levés. Sinon, un soldat entrait dans la cellule et me frappait. Cela arriva plusieurs fois. »
Les prisonniers du Khalîl I, de l’Ataveros et du Maria R, aussi bien les condamnés que les détenus administratifs, furent regroupés à la prison de Ramli et, tout à fait par hasard, interviewés par Faysal Husaynî, directeur de la Société pour les études arabes de Jérusalem, lui-même détenu administratif à Ramli en juin et juillet. Selon Husaynî, tous les hommes portaient les marques de sévices corporels :
« En arrivant en Israël, les hommes étaient séparés les uns des autres et emmenés soit dans des camps militaires soit dans des centres d’interrogatoire et placés dans des cachots ou des cellules. Il n’y avait pas de toilettes, mais seulement un grand seau à ordures en plastique, couvert, qui n’était pas vidé pendant des mois entiers. A certains moments, on y versait des produits chimiques qui ne pouvaient pas grand-chose contre l’odeur. »
« Il y avait un ou deux détenus par cellule. Ils n’étaient nourris qu’une fois par jour, en quantité insuffisante, et continuellement frappés. Certains subirent ces conditions pendant cinquante jours. Certains passèrent tout ou partie de ce temps la tête enveloppée dans un sac. »
Husaynî dit aussi que les prisonniers lui ont décrit une forme de torture appelée le ghosting (littéralement : transformation en fantôme). « On leur couvrait la tête d’un sac, parfois de deux sacs à la fois, d’une saleté répugnante et puants. Ils avaient les mains attachées derrière le dos à une barre de fer verticale, d’une hauteur calculée pour qu’ils puissent s’accroupir mais non pas s’asseoir. Cette barre de fer s’incrustait dans leur dos. Cette torture était appliquée aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, dans une cour, et aussi longtemps qu’il fallait pour les épuiser. »
« Pendant le temps du ’ghosting’ ils n’avaient pas le droit d’aller aux toilettes, de dormir, de lire ou de faire le moindre bruit. En cas d’infraction, ils étaient battus, frappés sur les parties génitales s’ils urinaient, ou même sans prétexte. Parfois, les soldats poussaient des gémissements, pour que les fantômes (les encapuchonnés) croyant que quelqu’un souffrait réagissent. Ceux qui réagissaient étaient battus. »
« Pendant les interrogatoires, les prisonniers avaient les bras attachés derrière le dossier de leur chaise. Ceux qui les interrogeaient les battaient de telle sorte que les chaises tombaient, ou bien jouaient eux-mêmes avec les chaises, les balançaient du pied jusqu’à ce qu’elles tombent. Il était extrêmement difficile pour les prisonniers de se redresser, eux et leur chaise, et ils étaient battus (parce qu’ils n’y parvenaient pas). »
Dans au moins trois cas (le Khalîl I, l’Ataveros et le Maria R,), les détenus se sont plaints à leurs avocats d’avoir subi des tortures. Hâbis Daglas et Riâd ’Abdû, arrêtés sur le Khalîl I, dirent à leur avocat Walîd Fâhûm (qui s’occupe de la plupart des affaires d’arrestation en mer), qu’ils durent dormir par terre pendant les six jours où ils furent gardés au secret. Riâd dit qu’on lui enfonça un bâton dans l’anus et qu’on lui projeta du gaz lacrymogène directement dans les yeux. Il dit qu’on le frappa sur la plante des pieds avec une barre de métal.
Walîd Fâhûm rapporte que lorsqu’il rendit visite aux prisonniers du Maria R, le 7 juillet 1987, trois des prisonniers présentaient des brûlures du troisième degré à la tête, aux yeux, aux bras. Les brûlures remontaient au 30 juin, jour où les gardiens projetèrent du gaz dans deux cellules contenant respectivement dix et quatorze prisonniers. Les prisonniers étaient habillés lorsque le gaz fut projeté dans les cellules et, pourtant, l’un d’eux avait encore des plaques de peau carbonisée dans le dos une semaine plus tard. Les brûlures étaient si graves que le médecin de la prison de Ramli, dont on sait qu’habituellement il ne dispense que de l’aspirine, se décida cette fois à la traiter aux antibiotiques.
Dans une conférence de presse donnée à Jérusalem en juillet 1987, Me Lea Tsemel résuma ainsi le statut des Palestiniens arrêtés en mer :
« Un Palestinien n’est jamais considéré comme un prisonnier de guerre. Ceux qui sont arrêtés en mer le sont sur décision administrative. Aucun avocat palestinien n’est agréé sur la liste des défenseurs. Il n’existe pas de liste de prisonniers. Ils sont rapidement traduits devant un tribunal (sur décision administrative). Ils ne peuvent voir personne pendant au moins trois mois. La Croix-Rouge n’est pas informée. Ils sont détenus en prison militaire et n’ont absolument aucun droit, en tout cas, aucun droit ne leur est notifié. »
IV. LES PROCES ET LEURS SUITES
Après les interrogatoires, une fois les aveux obtenus et signés, on dresse un acte d’accusation, et le prisonnier est présenté au tribunal. Toutes ces affaires ont été jugées par le tribunal militaire de Lydda. Dans quelques cas, il y eut appel de condamnations particulièrement lourdes auprès des cours d’appel militaires de Ludd. Tous les appels furent rejetés. Sur les cent deux personnes enlevées et transférées en Israël, quarante et une ont déjà été condamnées et huit déportées après avoir purgé des peines allant de six mois à deux ans, et quarante-huit sont en cours de jugement ou attendent leur procès (les personnes enlevées à bord du Maria R, et Faysal Abû Sharakh). Quatre ont déjà été déportées sans jugement, après un séjour en prison allant de trois mois à un an. Au sujet d’une personne, réputée arrêtée mais qui n’apparaît nulle part, nous n’avons aucun renseignement.
Le procès
Jusqu’ici, tous les procès sont menés sur la base des aveux des prisonniers. Ces aveux ont souvent été obtenus sous la torture ou après de longues périodes d’emprisonnement au secret. Au début, les avocats fondaient leur défense sur les moyens illégaux par lesquels le » prisonniers avaient été amenés devant le tribunal. L’argument étant régulièrement rejeté. Depuis ils plaident généralement coupable, après négociation sur les détails.
Se fondant sur le précédent établi par le procès d’Eichmann (confirmé par la Haute Cour de justice), le tribunal a décidé que peu importe la façon dont une personne est amenée devant lui, ce qui couvre donc les cas d’enlèvement ; dès qu’une personne se trouve devant le tribunal, elle doit être jugée comme n’importe qui. L’État a utilisé cette règle pour légitimer le kidnapping dans n’importe quelle partie du monde. L’enlèvement du militant antinucléaire Mordechai Vanunu montre bien que la règle ne s’applique pas aux seuls criminels de guerre nazis ou aux Palestiniens, que ce soit en haute mer ou au Sud-Liban occupé.
Accusations et peines
A l’exception des huit personnes de l’Ataveros et de Hâbis Daglas, du Khaltl I, Aucun des hommes enlevés par les Israéliens ne fut accusé de préparer un acte hostile contre l’Etat d’Israël. Ils sont accusés d’être membres, ou membres militants d’une organisation déclarée illégale en Israël, par l’Etat israélien. La plupart d’entre eux sont en outre accusés d’avoir reçu une formation militaire, généralement au Liban, où les Palestiniens ont l’obligation légale de recevoir cette formation, dans l’Armée de libération palestinienne.
La conséquence de cet argument est que quiconque se livre à l’étranger à une activité quelconque réputée illégale en Israël peut être enlevé, accusé, traduit en justice, condamné à des peines de prison, par les Israéliens. Par exemple, un juif américain progressiste qui aurait brandi un drapeau palestinien en signe de solidarité, au cours d’une manifestation à Los Angeles, pourrait, s’il n’avait pas été enlevé auparavant, se rendre en Israël, en visite, et se retrouver en prison, accusé, condamné en vertu de la loi pour la prévention des actes de terrorisme.
Sur cette base, vingt-neuf prisonniers furent convaincus d’appartenance à une organisation illégale (en général le Fath) et de formation militaire ; cinquante et un autres attendant d’être jugés pour les mêmes laits. Les personnes déjà jugées ont été condamnées à des peines de prison allant de six mois à huit ans (la condamnation moyenne est de trois ans). La durée de la peine prononcée dépend de l’importance supposée du rôle attribué à cette personnes au sein de 1’« organisation illégale », et du fait qu’elle ait été ou non en possession d’armes au moment de son enlèvement.
Ceux qui furent accusés de préparer ou d’avoir exécuté des actions militaires contre Israël furent condamnés comme suit : vingt ans pour avoir préparé une attaque contre l’état-major de l’armée israélienne (ceux de l’Ataveros) ; quatorze ans pour avoir tenté de s’introduire en Israël en 1981 (Hâbis Daglas), et de huit à douze ans pour ceux qui sont accusés d’avoir des liens avec l’action projetée par ceux de l’Ataveros. Comme nous l’avons dit, tous les appels auprès de la Haute Cour de justice ont été rejetés.
Détention et déportation
Après les procès, les personnes enlevées ont été transférées dans des prisons israéliennes (Ramli surtout) où elles ont subi les mêmes traitements et conditions que tous les prisonniers politiques palestiniens : entassement, gaz lacrymogènes, mauvaise nourriture, traitement médical insuffisant, etc. Ayant purgé leur peine, ils sont déportés au Liban, où souvent ils avaient d’ailleurs l’intention de se rendre...
Annexe I : aspects juridiques des arrestations opérées en mer par Israël hors de son territoire
Dans cette note, nous traiterons brièvement de deux problèmes juridiques soulevés par les arrestations opérées en mer par Israël, dont la liste figure ci-après : la légalité des arrestations elles-mêmes, et la compétence des tribunaux israéliens concernant les prisonniers amenés en Israël. Nous ne prétendons pas procéder à un examen exhaustif de ces problèmes, nous nous contenterons de les esquisser. Nous ne voulons pas non plus traiter des cas individuels, car pour chaque bateau, pour chaque prisonnier concerné, les circonstances sont très différentes. Mais nous voulons souligner d’abord quelques points généraux.
Dans tous les cas signalés, les prisonniers ont été enlevés en mer, hors des eaux territoriales israéliennes, et aucun d’entre eux n’était citoyen israélien. Par conséquent, ils ne relevaient de la juridiction israélienne ni du point de vue du territoire ni du point de vue du statut des personnes. Cependant, dans plusieurs cas, un doute subsiste : l’enlèvement a- t-il eu lieu dans les eaux territoriales d’un autre État ou en haute mer, dans les eaux internationales. Dans un certain nombre de cas, Israël soutient que les arrestations ont eu lieu dans les eaux internationales ; au contraire, les personnes arrêtées assurent qu’elles se trouvaient dans les eaux territoriales, ou qu’elles ont été emmenées de force dans des eaux internationales avant d’être arrêtées.
Les divergences de témoignages s’expliquent par le fait que, lorsqu’un bateau navigue en haute mer et n’arbore aucun pavillon, il n’a droit à aucune des garanties normalement assurées par la loi internationale, et tout bateau de guerre, de n’importe pays, est en droit de l’aborder. En outre, Israël a tout intérêt à affirmer qu’il n’a procédé à aucune arrestation dans les eaux territoriales d’un autre Etat, car cela constituerait une grave violation de la souveraineté de cet Etat.
Il est aussi important de noter que, parmi les bateaux interceptés, seul l’Ataveros aurait l’ait route vers Israël. Cela apparaît dans les actes d’accusation ; il n’y a presque aucune affaire où il soit fait état d’un attentat perpétré ou projeté contre Israël. Les chefs d’accusation sont en général l’appartenance à une organisation illégale en Israël, l’activité dans une telle organisation, et, dans certains cas, le fait d’avoir reçu un entraînement militaire. En outre, selon les autorités israéliennes, beaucoup de ceux qui furent arrêtés en mer ont été par la suite remis en liberté sur un non-lieu. La nature des accusations permet d’apprécier les allégations d’Israël quand à la nécessité de ces opérations pour la défense de sa sécurité.
Les interceptions et les arrestations
Aucun être humain ne doit être arrêté arbitrairement ; c’est un droit fondamental garanti par l’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et par l’article 9 de la Convention internationale sur les droits civiques et politiques de 1966. Le transfert d’une personne, par la force, d’un État à un autre, opéré par des agents de l’État qui commandite l’enlèvement, a été déclaré par le Comité des droits de l’homme des Nations unies « une arrestation et une détention arbitraires », au sens de l’article 9 de la Convention. Ce fut le cas dans les affaires Burgos contre Uruguay (R. 12/52) HRC 36 et Casariego contre Uruguay (R. 13/56) HRC 36, 185. A l’évidence, le même article s’applique aux enlèvements dans les eaux territoriales d’un autre État, puisque celles-ci font partie de son territoire souverain. Par extension, cela devrait s’appliquer à l’arrestation d’une personne en haute mer, donc hors de la juridiction de l’État qui ordonne l’arrestation.
Israël n’a pas ratifié la Convention internationale sur les droits civiques et politiques, mais les plus importants de ces droits fondamentaux décrits dans la Convention font probablement partie désormais de la loi coutumière. Voir sur ce point l’affaire Filartiga contre Pena-Irala, 630 F. 2d 876 (1980), à propos de laquelle la cour d’appel des États-Unis considéra que l’interdiction de la torture faisait partie de la loi coutumière. A la lumière des récentes condamnations par les Nations unies de disparitions et d’enlèvements, l’assurance de ne pas être arrêté arbitrairement pourrait être considérée comme faisant partie de ces droits fondamentaux.
Outre cette garantie des droits fondamentaux de l’individu, la loi internationale, coutumière ou garantie par une convention, limite de façon très stricte toute entrave à la navigation en haute mer ou dans les eaux territoriales d’un autre État.
Tout exercice de l’autorité gouvernementale d’un État sur le territoire souverain d’un autre État, sans le consentement de cet État, constitue une violation de la souveraineté de ce dernier, donc une violation de la loi internationale. Cas particulier où s’applique cette législation générale : un navire battant pavillon d’un État donné et naviguant dans les eaux internationales est justiciable de l’État dont il porte le pavillon, et considéré comme partie du territoire de cet État. Une arrestation opérée sans le consentement de l’État concerné constitue une violation de sa souveraineté, comme l’a confirmé le Conseil de sécurité des Nations unies dans sa résolution condamnant Israël pour l’enlèvement d’Eichmann en Argentine (résolution UNSC s/4349 du 23 juin 1960).
Lorsque la violation de la sécurité d’un État s’accompagne de l’emploi de la force, ou de la menace de l’employer, cela peut constituer un manquement à l’article 2 (4) de la Charte des Nations unies : les États membres s’engagent à « s’abstenir... de menacer ou d’employer la force pour porter atteinte à l’intégrité territoriale ou à l’indépendance politique de tout Etat, ou de toute manière qui ne soit pas conforme à l’esprit des Nations unies ». L’article 51 autorise de tels actes, mais uniquement lorsqu’il s’agit pour un État de se défendre contre une attaque armée. Dans aucune des affaires qui nous occupent, il ne semble qu’une attaque armée ait justifié l’action entreprise. Une telle action est-elle admissible même en cas de danger imminent d’attaque armée ? La question reste ouverte. Mais si elle était licite en ce cas, il faudrait bien entendu que le danger soit immédiat et ne laisse aucun autre choix, et que la riposte soit proportionnée au danger.
Quant aux bateaux en haute mer, la loi internationale qui s’applique aux actes de piraterie est la Convention de Genève sur la haute mer de 1958, et la Convention des Nations unies sur la loi de la mer de 1982. Israël a signé la première convention mais non la seconde. L’article 22 de la Convention sur la haute mer stipule que, en l’absence d’un accord entre les États, un navire de guerre d’un État donné peut aborder une navire marchand d’un autre État seulement dans le cas où ce deuxième navire se livre à la piraterie ou au trafic d’esclaves, ou encore si, malgré les apparences, il est en fait de même nationalité que le navire de guerre.
La Commission internationale des lois, dans un commentaire fait au cours de l’élabora lion de cet article 22, envisagea un moment une exception permettant de détenir des bateaux dans le cadre d’une opération défensive ou de sécurité, mais rejeta l’idée, même en cas de danger imminent pour la sécurité de l’État, surtout parce que les termes « danger imminent » et « actes hostiles » sont extrêmement vagues et ouvrent la voie à des abus (International Law Commission Yearbook (1956), ii. 284
L,’article 23 de la Convention sur la haute mer prévoit également un « droit de suite » coutumier, en vertu duquel un bateau peut être saisi dans certaines circonstances après une poursuite commencée dans les eaux territoriales de l’État responsable de l’arraisonnement. Mais rien ne prouve que les bateaux dont le cas nous occupe ici aient navigué dans les eaux territoriales israéliennes avant d’être abordés. Cette clause ne s’applique donc pas en ces cas.
Il reste le droit d’action défensive, mais pour justifier un acte d’agression, il faut que la nécessité soit très prégnante, telle qu’elle est décrite dans les principes établis après la destruction du Caroline en 1837. « ... urgente, impossible à parer, ne laissant aucun choix des moyens ni aucun délai de réflexion ». Il est bien évident que cela n’autorise pas une action visant à déjouer la menace vague, dans un avenir incertain, d’actes que pourraient commettre ceux qui jouissent d’un droit de libre navigation en mer.
Mis à part les exceptions mentionnées ci-dessus, la liberté de navigation en haute mer est absolue, et l’arraisonnement de bateaux en toute autre circonstance est une violation de la loi internationale.
La juridiction des tribunaux israéliens
La loi pénale israélienne autorise les tribunaux israéliens à juger selon les termes de la loi israélienne une personne ayant commis à l’étranger un acte qui aurait été un délit s’il avait été commis en Israël, et qui portait atteinte, prise dans un sens très large, ou qui lésait tout citoyen israélien ou toute personne résidant en Israël.
Cependant, le fait qu’Israël juge délictueux un acte aux termes de sa loi propre, ne lui confère pas le droit d’appliquer sa loi sur le territoire d’un autre pays, par exemple en arrêtant une personne, sans le consentement de l’État concerné, ni, de toute façon, hors lu territoire israélien, en violation de la loi internationale. Si Israël procède à une telle arrestation, celle-ci est illégale.
Si les arrestations extra-territoriales effectuées par Israël dans les cas qui nous occupent sont illégales, les tribunaux israéliens sont-ils en droit d’exercer leur juridiction sur les prisonniers ? Dans l’affaire procureur général du gouvernement israélien contre Eichmann, 36 IL Rep 5 (1962), Israël s’est inspiré du procès américain Ker contre l’État de l’Illinois, 119 US 136 (1886) et de précédents britanniques. Israël a décidé que la compétence de ses tribunaux n’est en rien affectée par le fait qu’un détenu ait été enlevé sur le territoire d’un autre État, illégalement, car ce dernier fait relève des relations entre États, tandis que sa compétence propre est nationale.
On peut cependant établir une distinction entre l’affaire Eichmann et les affaires qui nous occupent par deux points au moins. D’abord, bien que l’enlèvement ait eu lieu illégalement en Argentine, ce pays a en quelque sorte gommé le caractère illégal en acceptant les excuses l’Israël et en s’abstenant de porter l’affaire devant un tribunal international. Pour autant que nous sachions, aucun Etat n’a déclaré accepter les agissements d’Israël et l’enlèvement des personnes arrêtées. En second lieu, Eichmann était accusé de crimes contre l’Humanité, que l’on peut considérer comme relevant d’une juridiction universelle. Les prisonniers d’aujourd’hui ne sont accusés de rien d’autre que de menacer la sécurité d’Israël. Enfin, on peut arguer que, lorsque les arrestations constituent une grave violation des droits de l’homme de la part de l’État, le tribunal a pour devoir, face à l’intérêt public, de ne pas accepter une telle procédure.
La cour d’appel a admis ce principe dans l’affaire US contre Toscanino, 500 F. 2d. 267 (1974), distinguant cette affaire de celle de Ker contre l’Illinois, car dans le cas de Toscanino, l’accusé avait subi de graves sévices et des tortures psychiques de la part de ses ravisseurs américains. Des affaires ultérieures ont limité l’effet Toscanino à des cas où l’accusé a été traité de manière violente, inhumaine, brutale, mais d’après les témoignages de certaines personnes enlevées en mer, et tout particulièrement les prisonniers du Maria ? Il semble que cette jurisprudence doive s’appliquer au moins dans certains de ces cas.
Il peut donc être de l’intérêt public que le tribunal use de son pouvoir discrétionnaire et se déclare incompétent, arguant du fait que l’attitude des autorités constitue un outrage aux tribunaux dans l’exercice de leurs fonctions.
Annexe II : l’affaire de « l’Ataveros »
Comment l’Ataveros fut coulé et les suites
Dans la nuit du 20 au 21 avril 1985, l’Ataveros fut torpillé par un aviso israélien. Dans un rapport publié en octobre 1986 par Alternative Information Centre (Centre d’information parallèle), on peut lire :
« Selon des sources libanaises, l’Ataveros, naviguant sous pavillon panaméen, fut attaqué par un torpilleur israélien, le 10 avril 1985, à midi. Malgré le message radio lancé par le capitaine, déclarant qu’il s’agissait d’un bateau civil, un missile lancé par le torpilleur frappa l’Ataveros par le travers et le coula. Vingt personnes se trouvant à bord avaient été arrêtées, mais refuse d’en préciser le nombre, et s’opposa à toute visite de la Croix-Rouge internationale. »
« La famille de l’un des prisonniers, Ahmad Shihâdi ’Awda, l’identifia d’après un film projeté à la télévision israélienne, et demanda à Me Lea Tsemel de le défendre. Le 6 août 1985, Mc Tsemel n’ayant pas réussi à savoir dans quelle prison ’Awda était détenu, s’adressa au procureur général militaire afin d’obtenir des détails sur l’arrestation de son client. Les autorités israéliennes nièrent le détenir. Après l’obtention d’un habeas corpus auprès de la Haute Cour de justice, les autorité finirent par admettre qu’elles détenaient ’Awda, sur décision administrative. Dans le cas d’une détention administrative, le ministre de la défense peut refuser tout avocat ne figurant pas sur la liste des avocats agréés. »
« Me Tsemel n’abandonna pas l’affaire et recommanda à la famille un avocat qui figurait sur la liste des avocats agréés : Mc Matti Atzmon, de Jérusalem. M. Atzmon se rendit auprès de ’Awda et rapporta à la famille un message enregistré. ’Awda saluait sa famille et remerciait pour l’envoi de sous-vêtements. Le reste du message avait été effacé, soit par l’avocat, soit par les autorités. En même temps, Me Walîd Fâhûm parvint à se procurer les noms de sept autres prisonniers, et se fit mandaté par leurs familles. Cependant, il n’obtint pas l’autorisation de rencontrer ses clients, car il ne figurait pas sur la liste agréée. Après un long échange de lettres entre Fâhûm et le procureur général militaire, les autorités israéliennes reconnurent que huit personnes enlevées sur l’Ataveros étaient emprisonnées en Israël, en détention administrative. »
Un mois après la publication de ce rapport, un acte d’accusation fut présenté contre Ahmad Shihâdin 4Awda (son nom exact est Ahmad ’Awda al-Najjâr) et les sept autres. M. Tsemel fut alors autorisée A rendre visite A son client, à la prison de Ramli, et écrivit un nouveau rapport sur ce qui s’était passé la nuit de l’attaque contre l’Ataveros, et dans la période qui suivit. Selon le témoignage de Ahmad ’Awda, l’Ataveros avait quitté l’Algérie avec vingt-huit personnes à bord, pour la plupart palestiniennes. Le bateau devait débarquer sur la côte israélienne un commando qui projetait d’attaquer l’état-major de l’IDF à Tel-Aviv.
Un navire de guerre israélien fit alors son apparition en haute mer, hors des eaux territoriales israéliennes. Sans décliner son identité le navire ordonna à l’Ataveros de s’arrêter. Le capitaine de l’Ataveros fit faire demi-tour à son bateau et battit en retraite vers la côte égyptienne. Le navire de guerre israélien lança alors un missile en direction de la salle des machines de l’Ataveros. Le bateau, stoppé net, commença à couler. Le navire de guerre israélien mit en action ses mitrailleuses, visant le bateau et les personnes qui se trouvaient à bord. Le feu dura un quart d’heure. Puis un autre missile toucha le flanc de l’Ataveros. En cinq minutes, le bateau avait coulé. Certains des passagers réussirent à enfiler des gilets de sauvetage, mais plusieurs avaient été blessés pendant la fusillade. Ahmad Shihâzdi ’Awda dit à Me Tsemel ce qui lui était personnellement arrivé.
« Je ne sais pas nager, mais je parvins à enfiler un gilet de sauvetage. La mer était très mauvaise, et mes amis m’aidèrent. A partir du moment où le bateau coula, nous restâmes dans l’eau pendant deux ou trois heures. Je suis sûr de cette durée, car l’un de mes amis avait une montre. Avec huit autres personnes, j’étais accroché à un morceau de bois assez léger qui flottait sur l’eau. Deux naufragés qui étaient blessés et qui n’avaient pas de gilet de sauvetage sombrèrent immédiatement. L’un d’entre nous, Nâsir Shadîd, qui est très maigre, souffrit beaucoup de l’eau froide et agitée. Pendant deux heures, nous le maintînmes à flot. Tout autour de nous, nous entendions des amis appeler à l’aide. »
« Après une heure, nous vîmes l’un des canots de sauvetage de notre bateau, non loin de nous. C’était un canot auto-gonflable. Nous le vîmes dans l’obscurité, parce qu’il avait une lumière de secours. L’un de nos compagnons, Husâm Ahmad Hijjû, nagea vers ce canot, pour l’amener vers nous. Apparemment, le navire de guerre le vit et les soldats commencèrent à tirer sur le canot en caoutchouc et le firent exploser. Il coula. Hijjû ne fut pas tué parce qu’il n’était pas dans le bateau. On n’ose pas penser à ce qui serait arrivé si, comme c’est normal, il y avait eu des gens à bord du canot. »
« Après plus de deux heures, nous vîmes le navire de guerre israélien s’approcher et éclairer une vaste surface. Puis nous entendîmes tirer. Je ne peux pas dire avec certitude qu’ils tiraient sur les survivants, mais j’entendis tirer et j’entendis des cris dans cette zone éclairée. »
« Enfin, le navire israélien s’approcha et projeta ses phares sur nous et nous entendîmes l’ordre de monter à bord, un à un. Dès que nous fûmes à bord, on m’encapuchonna d’un sac, on me passa les menottes et on me frappa. »
Revue d’études Palestiniennes - n°26 Hiver 1988
Lien