mercredi 9 novembre 2011

« Onze ans plus tard la blessure saigne encore »

lundi 7 novembre 2011 - 11h:27
Budour Youssef Hassan - The Electronic Intifada
Le 1er octobre, des milliers de Palestiniens ont manifesté à Sakhnin pour commémorer le onzième anniversaire du soulèvement du 20 octobre durant lequel les forces policières israéliennes ont massacré 13 Palestiniens, citoyens d’Israël, désarmés pendant 8 jours.
(JPG)
Manifestant chaque annéet à Sakhnin, les familles continuent à demander des comptes aux forces israéliennes pour la mort de 13 Palestiniens en octobre 2000 - Photo : Oren Ziv/ActiveStills
Aucun des manifestants ne constituait une menace pour la vie des policiers ou d’autres personnes et la plupart d’entre eux ont été abattus à bout portant dans la poitrine. Les massacres ont eu lieu à Ummal-Fahm, Jatt, Arrabeh, Sakhnin, Nazareth, Kufr Kanna et Kud Manda entre les 1-8 octobre.
« Onze ans plus tard la blessure saigne encore, » raconte à l’Intifada électronique Ibrahim Siyam, père du martyr Ahmad Siyam et porte-parole des familles des martyrs. « Ahmed fut le premier martyr des manifestations d’octobre 2000. » Il avait juste 18 ans et se préparait à aller à l’université prochainement » a ajouté Siyam.
Les 13 martyrs étaient tous de jeunes hommes débordant d’espoir et de vie. Parmi les tentatives de la propagande israélienne pour déshumaniser les Palestiniens, les familles des martyrs insistent pour rappeler à chacun les rêves et aspirations de leurs proches.
L’une des images les plus poignantes de la manifestation d’octobre 2000 est celle d’Aseel Assieh d’Arrabeh, âgé de 17 ans, portant un T-shirt avec le logo de Semences de Paix - un groupe pacifique palestino-israélien - sa tête enterrée dans une oliveraie après avoir été abattu à bout portant dans la nuque. Aseel était un étudiant remarquablement intelligent qui croyait en la résistance non violente et dont la conscience politique dépassait son âge de loin.
Dans une interview téléphonique, le père d’Aseel, Hassan Assleh raconte « Aseel débordait d’énergie...même en se rendant à la manifestation d’Arrabeh le 2 octobre, il chantait. Ses yeux brillaient d’espoir et de joie de vivre. »
Contester le mythe de « l’amour de la mort »
Hassan Assleh est particulièrement préoccupé, dans les grands médias israéliens et occidentaux, par la stigmatisation des Palestiniens présentés comme un peuple « amoureux de la mort » et obsédés par la recherche du martyre. « Ceci est un stéréotype simpliste et faux » dit-il. Aseel était brûlant de passion et s’est agrippé à la vie jusqu’à son dernier souffle. Tous les Palestiniens sont comme cela. Ne pensez pas que n’importe quel martyre choisit de mourir ou a le martyre comme but. Néanmoins nous sommes conscients que la liberté exige des sacrifices et c’est le besoin constant de liberté et de justice qui pousse ces jeunes femmes et hommes à se sacrifier. Le martyre n’est pas notre but, mais c’est le coût à payer pour libérer notre pays et regagner notre dignité. »
Quand je lui ai demandé s’il regrettait d’avoir autorisé son fils à participer à la manifestation, son long soupir résumait ses sentiments de manière aussi expressive que ses mots éloquents. « Non, même si j’avais connu les conséquences je ne l’aurais jamais empêché de participer à la protestation. J’ai toujours enseigné à mes enfants à ne pas se taire et à lutter contre l’injustice, et empêcher Aseel de participer à la manifestation irait à l’encontre des valeurs que Jamila et moi défendons » répondit-il.
« Cependant, il y a des moments difficiles où je me sens trahi par nos dirigeants politiques qui n’ont pas fait grand chose pour demander des comptes. » Néanmoins sa mémoire et le courage de mon épouse me donnent de la force.
« La trahison des dirigeants politiques » est un sentiment fréquemment exprimé par les familles des martyrs. Même si c’est le Haut Comité de Suivi pour les Citoyens Arabes en Israël qui a appelé a des manifestations de masse et à des grèves publiques le 1er octobre 2000, en réaction à la visite provocatrice d’Ariel Sharon à la mosquée Al Aqsa à Jérusalem et le meurtre de Mohammad Al Durra, âgé de 12 ans, un jour plus tard à Gaza, les parents des martyres pensent que le Haut Comité de Suivi et les partis palestiniens de la Knesset (parlement israélien) les ont laissés tomber depuis lors.
« Je pense que depuis l’établissement de la Commission Or (la commission mise sur pied par le gouvernement pour enquêter sur les meurtres suite à la pression de la minorité palestinienne), le Haut Comité de Suivi et tous les partis palestiniens n’ont exercé aucune pression » dit Ibrahim Siyam. « La Commission a désespérément essayé d’absoudre le gouvernement de toute responsabilité et, en de nombreuses occasions, elle a refusé un procès équitable aux Palestiniens et n’a pas respecté les normes légales, mais ceci aurait pu être évité si une pression constante avait été exercée. »
Siyam est d’accord avec Assleh : « Chaque année qui passe marginalise plus le soulèvement d’octobre 2000. Cette année le Haut Comité de Suivi n’a pas appelé à une grève publique mais s’est contenté d’organiser une marche centrale qui, au cours des années, se transforme en festival. »
Protection contre l’amnésie
« Il est important d’internationaliser le massacre d’octobre 2000, » dit Assleh, « Mais ce qui est plus important est d’empêcher son oubli en Palestine. Comme le massacre de Qassem et la Journée de la Terre, octobre 2000 est un jalon dans la lutte de la minorité palestinienne en Israël contre l’entité sioniste et chaque citoyen palestinien en Israël devrait être conscient de sa signification et de ses implications. »
Cependant garder octobre 2000 présent dans le discours local est un défi énorme. Et tandis que les représentants politiques palestiniens sont en partie responsables, l’Etat d’Israël essaye également de contrôler la mémoire collective des Palestiniens en interdisant aux écoles de commémorer les massacres d’octobre 2000 et en persécutant et terrorisant ceux qui le font. Par exemple, le directeur de l’école secondaire à Arrabeh a été convoqué pour une audience au Ministère israélien de l’Education car il avait organisé un débat sur les massacres d’octobre 2000. De telles mesures ainsi que la loi Nakbar et la censure imposée sur l’enseignement de l’histoire palestinienne ridiculisent la revendication d’Israël d’être « l’unique démocratie au Moyen Orient. »
Une autre accusation accablante à l’encontre d’Israël est le fait que les massacres d’octobre 2000 n’ont donné lieu à aucune enquête et qu’aucun des policiers impliqués dans les massacres n’a été tenu responsable. Dans son rapport final, publié en septembre 2003, la Commission Or, dirigée par le juge Théodore Or, a conclu que des balles en caoutchouc et des balles réelles avaient été utilisées contre des manifestants désarmés et a ordonné au Département d’enquêtes criminelles Mahash de recommencer l’enquête des cas. Deux ans plus tard, Mahash, en contradiction avec les constatations de la Commission Or, concluait qu’il n’y avait pas assez de preuves pour justifier une investigation criminelle des cas. En examinant le rapport Mahash, le Ministre de la Justice de l’époque, Menachem Mazuz, décida de soutenir Mahash et de clôturer les 13 cas en février 2008.
« Nous n’avons jamais fait confiance à l’état raciste d’Israël pour nous rendre justice » dit Assleh. Et il a raison. Dans ce pays qui se proclame fièrement la seule démocratie au Moyen-Orient, les crimes d’état contre les Palestiniens sont toujours restés impunis.
Ibrahim Siyam se demande : « Si un citoyen juif avait été tué par la police, pensez-vous qu’on aurait autorisé le tueur à échapper à ses responsabilités ? En Israël, il semble que les vies Palestiniennes ne valent pas grand chose. »
* Budour Youssef Hassan, originaire de Nazareth, est militant socialiste palestinien et étudiant en troisième année de droit à l’université hébraïque à Jérusalem. A suivre sur son twitter : twitter.com/budouraddick
19 octobre 2011 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/conte...
Traduction de l’anglais : Lisette Cammaerts
Lien