mercredi 9 novembre 2011

Peut-on faire de l'humour avec la cause palestinienne ?

Cisjordanie - 5 novembre 2011
Par William
Oui. Plus un système est absurde plus l'humour est vivace. Plus une répression est forte contre des individus ou une population, plus l'humour devient un système de soupape indispensable pour résister aux pressions quotidiennes. Les Palestiniens, comme d'autres peuples opprimés certainement, utilisent la déconnade soit pour atténuer leur souffrances soit pour résister politiquement - et pacifiquement - à l'agresseur israélien. Petit état des lieux :
Peut-on faire de l'humour avec la cause palestinienne ?
Image du documentaire "Blague à part, un voyage en Palestine", de Vanessa Rousselot
L'autodérision : il est préférable de rire de soi-même avant qu'un autre ne le fasse à votre place. On choisit un archétype qui nous est proche et il prend pour tout le monde. En France nous avons les Belges, les Palestiniens ont les Hébronites (les habitants de la ville d'Hébron à l'accent long et lent). Exemple : un Hébronite est allé apprendre à fabriquer des roquettes aux États-Unis avant de revenir dans sa ville natale avec l'envie de frapper Tel Aviv. Quand cet ingénieur en herbe envoie sa roquette, elle s'effondre 300 mètres plus loin. Il s'exclame alors : « Waou, si c'est comme ça ici, qu'est-ce que ce doit être à Tel Aviv ! »
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Khaled al-Masri, Manal Awad et Imad Farajin, les vedettes de l'émission Watan ala Watar censurée par l'Autorité palestinienne après 16 épisodes, en août 2011.
Se moquer des élites et de l'actualité : la série télévisée satirique Watan ala-Watar (''un pays sur la corde raide'') a rassemblé pendant deux ans des milliers de téléspectateurs. Parodiant un journal télévisé d'une dizaine de minutes, Imad Farjin, scénariste et acteur principal, et ses deux comparses passaient à la moulinette les acteurs de la vie politique palestinienne, critiquant ouvertement la corruption, le népotisme et traitant de front des sujets comme les divisions entre Palestiniens, les relations avec Israël et le port du voile. « Pour moi, le plus important est de tourner la politique en dérision. Nous sommes sous occupation, le Fatah et le Hamas sont divisés alors qu'ils devraient n'être qu'un. Pour régler nos problèmes, il faut commencer par en rire, » explique Imad Farajin. Qu'une telle émission passe sur les ondes palestiniennes était un signe de bonne santé démocratique de la société. Hélas, l'émission a été suspendue en août 2011 suite à des plaintes des syndicats de médecins et de policiers (accusés de corruption par l'émission).
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Image d'Intervention Divine, d'Elia Suleiman.
Rire par le cinéma : on peut se souvenir d'Intervention Divine du réalisateur et acteur palestinien Elia Suleiman, prix du jury à Cannes en 2002, et souvent comparé à Jacques Tati ou Buster Keaton. Plus récemment est sorti sur les écrans Le Cochon de Gaza. Si le réalisateur est français, de nombreux acteurs et actrices sont palestiniens et israéliens. Dans les deux films, la situation du Proche-Orient est traitée de façon burlesque pour mieux en dénoncer l'aspect kafkaïen. A chaque fois c'est drôle et ça fonctionne.
Lutter par l'humour contre l'occupation : en Palestine aussi on sait désobéir par le rire. Ainsi Mohammed Faqih est un comédien et imitateur. Il s'est rendu compte que son talent d'humoriste permettait souvent de désamorcer des situations tendues. Il intervient auprès des checkpoints et il n'est pas rare que les soldats israéliens, se tenant les côtes de rire, le laissent passer lui et ses compagnons malgré l'absence de visas... à condition qu'il promette de revenir par le même chemin.
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Dans le village de Bil'in, coupé en deux par le mur d'apartheid, des activistes palestiniens se sont déguisés en Na'vis, les extraterrestres bleus du film de James Cameron Avatar pour montrer que c'étaient bien eux les indigènes résistant à l'impérialisme. On a jamais autant parlé de ce village palestinien que lors de cette action en février 2010.
Toujours auprès de Bil'in (6000 habitants) s'étend une colonie israélienne de 48 000 personnes qui squatte des terres agricoles du village. D'autres facétieux activistes se sont introduits dans la colonie, ont construit une mini-maison durant la nuit et ont donc colonisé la colonie. Comme les terres étaient encore légalement aux Palestiniens, ce fut tout un bordel juridique pour les expulser.
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Image du documentaire "Blague à part, un voyage en Palestine", de Vanessa Rousselot
Enfin pour terminer, je vous conseille le documentaire de la française Vanessa Rousselot Blague à part, un voyage en Palestine, sorti en 2010. Je n'en connais que des extraits mais il a l'air particulièrement intéressant. Vanessa Rousselot n'a trouvé qu'un sujet qui n'est pas l'objet de plaisanterie, les colons. ''Les colons, ça ce n'est pas drôle,'' confiaient les interviewés.
Ainsi, les Palestiniens, malgré ou à cause d'un quotidien difficilement supportable et d'un horizon incertain, n'ont pas perdu le sens de l'humour. Il leur sert d'outil catharsis permettant d'évacuer pendant quelques instants savoureux colère, souffrance et frustration. C'est un moyen de résistance non-violente face aux agressions sionistes. C'est enfin un moyen de communiquer avec le reste du monde. C'est un message qui nous est adressé à nous tous : tant que les Palestiniens gardent le sourire moqueur, c'est qu'ils gardent confiance dans la vie et dans la lutte.
Bande-annonce du documentaire :