lundi 6 juin 2011

Paul Larudee : « Israël se rend compte que le monde est en train de changer »

publié le lundi 6 juin 2011
Maude Girard

 
Il y a un an presque jour pour jour, la Flottille pour la Liberté, initiée notamment par Free Gaza, avait tenté de rompre le blocus imposé sur Gaza par Israël depuis 2007.
Les navires en provenance de Turquie se faisaient violemment intercepter dans les eaux internationales par l’armée israélienne. Bilan : 9 morts côté turc. A quelques semaines du départ d’une nouvelle flottille de presque 1500 passagers, Paul Larudee, cofondateur de Free Gaza et représentant de l’association de défense des droits de l’homme Free Palestine, a accepté de commenter pour nous la récente et soudaine réconciliation entre le Fatah et le Hamas, les dernières déclarations du président américain Barack Obama, mais aussi de revenir sur le processus de paix au proche orient.
iloubnan.info : Quelle a été votre réaction à l’annonce de la réconciliation entre le Fatah et le Hamas ?
Paul Larudee : "Au nom du groupe (Free Palestine), je tiens à rappeler que nous n’avons rien à voir avec la politique intérieure palestinienne. Nous sommes solidaires de tous les Palestiniens, quelle que soit leur « couleur » politique. Nous n’avons pas d’alliés auprès des partis politiques, et nous n’avons aucun commentaire à faire sur cette réconciliation.
D’un point de vue personnel en revanche, c’est malheureux de voir l’existence d’une autorité palestinienne unifiée ou divisée qui n’a aucune autorité. Cela dissimule l’impression qu’ils ont une responsabilité. Ce n’est pas la réalité. Tout le pouvoir est aux mains d’Israël. L’existence de l’autorité est quelque chose qui prolonge et augmente l’oppression du peuple palestinien, même si elle est de bonne volonté. Le rôle de l’autorité est de distraire le monde du fait qu’Israël fait le nettoyage ethnique de la Palestine et du Golan. Je pense comme beaucoup de personnes, qu’il faudrait dissoudre l’autorité palestinienne et revenir à la situation de 1993, avant les accords d’Oslo où le régime de l’armée israélienne dirigeait. Avec ça, il n’y avait pas d’illusion sur le fait que les Palestiniens avaient un quelconque pouvoir sur eux-mêmes."
Cette réconciliation aura-t-elle des conséquences sur le processus de paix dans la région impulsée par la communauté internationale ?
"Le processus de paix est nul depuis le début, nous savons que c’est une façon détournée d’éviter la paix et la justice. Il est profondément enfoncé là où il est, je ne prévois pas d’avancée particulière de ce côté là."
Faut-il céder au pessimisme ?
Non au contraire, mais pas du point de vue des organisations gouvernementales. Je suis très optimiste quant au fait de voir le peuple prendre en charge l’avenir comme en Egypte ou en Tunisie. Les mouvements civils qui ont eu lieu depuis le premier voyage Free Gaza en 2008, les convois terrestres et voyages maritimes, (même s’ils ne sont pas tous couronnés de succès), en sont la preuve. S’ajoute à cela, le 15 mai 2011(anniversaire de la Nakba, « catastrophe » en arabe, qui désigne la création d’Israël et l’exode massif des Palestiniens qui a suivi) avec ce qui s’est passé aux frontières. A cet occasion des gens ont pu rentrer en Israël, en étant non armées et en rendant ainsi plus difficile, mais pas impossible, de massacrer des Palestiniens. Le monde entier participera à ces mouvements civils.
Je participe à l’organisation de la marche du 29 novembre des frontières jusqu’à Jérusalem. Nous prévoyons le rassemblement d’1 million de personnes. On sait que c’est possible après avoir vu ce qui s’est passé de façon spontanée. Quelque chose d’organisé peut faire bien plus.
Comment avez-vous jugé la couverture médiatique de la Nakba ?
Ca dépend des médias. Al Jazeera, c’était pas mal. Ici aux USA, ça a duré quelques secondes, peut-être 2 minutes. Seulement parce qu’il y avait des dizaines de milliers de personnes et des morts. Une journée de nouvelles, pas d’images filmées. Je crois qu’il faut qu’il y ait des occidentaux qui participent, qui meurent pour que ça intéresse l’Occident. Si des vedettes, des chefs de syndicats, des représentants religieux, des organisations juives… si tous participent, ça intéressera les médias d’où l’importance d’un mouvement organisé.
Que pensez-vous de la stratégie d’Obama de revenir aux frontières de 1967 ?
On aurait pensé qu’il était beaucoup plus vieux qu’il ne l’est. C’est tellement arriéré, je ne dis pas qu’il n’a pas raison du point de vue de l’ONU. Je ne vois pas comment on pourrait appliquer ces décisions alors que ça n’a pas été fait lorsque les conditions étaient meilleures. Pourquoi revenir à des solutions épuisées ? J’ai 65 ans, j’entends les mêmes mots que quand j’en avais 25. Les Etats Unis et l’Occident se retirent de la solution en poursuivant de tels principes.
Israël a récemment annoncé la construction de 620 logements à Jérusalem Est et de 900 autres à Har Homa à côté de Bethléem, comment envisagez-vous la suite des évènements ?
Je ne doute pas que la situation des Palestiniens va empirer avant qu’il y ait une reconnaissance de leurs droits. Les constructions peuvent même accélérer ça. Israël va essayer d’expulser un maximum de Palestiniens le plus vite possible. Israël se rend compte que le monde est entrain de changer et qu’il ne change pas en sa faveur. Il y a un certain nombre d’Israéliens qui partent. Ici en Californie, il y a 300 000 Israélo-américains, j’ai même entendu parler d’un demi-million. Qui voudrait vivre en Israël ? Même certains juifs qui étaient prêts à partir s’y installer n’iront pas, ils sont épuisés. L’économie n’y est pas meilleure qu’ailleurs, et la proportion juifs/arabes n’est pas en leur faveur. C’est pour ça qu’ils font pression. S’ils ne peuvent pas faire venir des juifs d’ailleurs, ils doivent expulser les Palestiniens. Israël est de plus en plus agressif ce qui endommage son image. Seul les Etats-Unis ont une image meilleure, mais ça va changer. L’Etat hébreu cherche à créer une forteresse aussi vite que possible.
Est-ce qu’une solution à deux Etats serait envisageable ?
Le fait que ce soit un seul état, ou intégré à un autre pays, ou dix ou douze, n’est pas important pourvu que les droits humanitaires y soient respectés.
Quand partira la prochaine flottille ?
Officiellement, elle devrait partir la troisième semaine de juin, mais ce n’est pas comme les lignes aériennes… Mais nous sommes à peu près sûr qu’avant fin juin nous nous trouverons à Gaza ou un peu au nord.
Des médias ont mentionné qu’il y a eu tellement de demandes de la part de participants juifs que l’organisation a dû refuser du monde, est-ce vrai ?
Je ne peux pas parler des détails, ce que je sais c’est qu’au total près de 100 000 personnes veulent participer et monter à bord. Nous avons 1500 places, nous sommes obligés de refuser beaucoup de gens. On a fait beaucoup d’efforts pour inviter des représentants juifs à venir avec nous, et ici aux USA, ça n’a pas été si facile que ça. Dans l’US boat to Gaza, il y aura des Juifs, pour les autres pays, je ne sais pas. C’est souhaitable de notre point de vue. En 2008 il y avait des israéliens, ils ont été très bien accueillis à Gaza.
Qui est à l’initiative de cette nouvelle flottille ?
C’est un comité de 22 initiateurs, comprenant l’IHH (Turquie), Free Gaza (USA), l’Irlande, la France, l’Angleterre, l’Italie mais il y a aussi des pays qui travaillent ensemble pour un des bateaux comme le trio Canada Belgique Allemagne.
publié par iloubnan le 31 mai