vendredi 27 mai 2011

Une ville israélienne unie contre les réfugiés africains

jeudi 26 mai 2011 - 05h:55
Mya Guarnieri
Il semble que les sentiments xénophobes qui ont pris racine ici, sous les encouragements du gouvernement national et de la municipalité, se multiplient.
(JPG)
Des enfants soudanais, interdits d’écoles israéliennes,
étudient l’anglais avec un bénévole européen.
Photo : Mya Guarnieri
James Anei était un garçon de 16 ans lorsqu’il a été témoin d’un massacre, perpétré par les milices fidèles au gouvernement de Khartoum. Terrifié, il a fui son village du Sud Soudan.
« Tu vois quelqu’un mourir devant toi, et tu connais ce gars-là, et tu connais ses parents, alors tu te mets à courir... parce que tu as peur d’être tué à ton tour », dit Anei.
« Je me suis retrouvé dans un autre endroit, » ajoute-t-il, expliquant qu’il avait été si effrayé qu’il ne savait même pas qu’il courrait, jusqu’à ce qu’il s’arrête.
Une fois qu’il a eu compris qu’il avait échappé au massacre, Aned a pris la direction du nord. C’est cette année-là, 1999, qu’il est arrivé à Khartoum. Là, il a pu se faire une vie et aller à l’école. Ne sachant pas si ses parents avaient survécu au massacre ou non, Anei pleurait parfois en voyant ses camarades de classe avec leurs mamans et leurs papas.
Finalement, Anei est parti pour l’Égypte. Mais, parce que qu’il ne s’y sentait pas en sécurité, il est passé en Israël en 2007.
Avec un sourire, Anei rappelle la différence qu’il a ressenti entre l’Égypte et Israël au moment où il est entré dans le pays. « Nous avons reçu de l’eau et des couvertures » dit-il. « Ils nous ont mis à l’aise comme si on était chez nous ».
Mais Anei était l’un des premiers à arriver en Israël. Et les choses ont radicalement changé depuis.
C’est à Eilat, sans doute, que le changement est le plus évident, cette petite ville dans le sud où vivent Anei et plusieurs milliers de demandeurs d’asile africains. Ici, les enfants des réfugiés sont exclus des écoles municipales.
Et, dans une initiative qui a alarmé tant les organisations de défense des droits de l’homme que la section locale du l’UNHCR (Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés), la municipalité a accroché des drapeaux rouges dans toute la ville, dans le cadre d’une campagne municipale lancée contre les migrants africains, à l’initiative des employés de l’État d’Israël et financée par des fonds publics.
Je me suis rendue à Eilat à la suite de plusieurs articles parus dans la presse qui disaient que les 1500 drapeaux rouges avaient été ôtés. Mais au lieu de cela, j’ai constaté qu’ils n’avaient pas été retirés mais seulement baissés. Certains avaient été remplacés par des drapeaux israéliens et municipaux.
Et les sentiments qui avaient donné lieu à la campagne étaient toujours très forts.
Shimon Hajiani, le fils de 19 ans d’un immigrant juif venu en Israël depuis le Maroc et la France, fait remarquer que l’État devait jeter dehors les réfugiés africains.
« Ils posent problème », dit-il.
Quand on lui demande quels sont ces problèmes, Hajiani répond :
« Le viol et le vol. Et aussi, ils travaillent dans les hôtels en prenant la place des Israéliens ».
L’économie d’Eilat dépend du tourisme. Même si de nombreux demandeurs d’asile africains sont employés dans les hôtels de la région, l’idée communément répandue qu’ils ont « volé » le travail est fausse. Ce sont des emplois dont les Israéliens ne veulent pas - c’est d’ailleurs pour cette raison que les initiatives du gouvernement pour inciter les Israéliens à venir à Eilat et travailler dans ce secteur ont échoué.
D’autres personnes interrogées m’ont répété les mêmes allégations qu’Hajiani, que les réfugiés africains volaient les Israéliens et violaient les femmes juives. Mais, d’après les statistiques rassemblées par la Knesset, le taux de criminalité chez les demandeurs d’asile y est plus faible que chez les Israéliens. Et, en réalité, alors que la communauté des demandeurs d’asile grandit, leur taux de criminalité baisse.
J’ai eu des dizaines d’entretiens avec des Israéliens qui vivent à Eilat et pas un seul n’a cité des faits concrets ; tous les Israéliens sans exception avec lesquels j’ai parlé sont victimes d’une désinformation.
Ester Ederi, 72 ans, qui a immigré du Maroc me dit que ce serait bien si Israël prenait « 100 000 » demandeurs d’asile et fermait ensuite ses portes.
En réalité, Israël héberge quelque 30 000 demandeurs d’asile.
Un homme de 29 ans, qui préfère rester anonyme, me dit que les demandeurs d’asile devraient être renvoyés en Afrique, car « les Philippins » ont pris le travail de sa mère qui était personnel soignant. Il ne savait pas que l’immense majorité des Philippins arrivent de façon tout à fait légale, avec des visas remis par Israël.
Il ajoute que si les Africains étaient ici « à l’intérieur d’un cadre juridique », lui n’aurait pas de problème avec eux.
« Mais il y a un cadre juridique. Il y a une disposition qui donne aux migrants africains le statut de réfugiés, » lui dis-je. «  C’est juste que le gouvernement ignore ces dispositions ».
Il est visiblement mal à l’aise.
-   Vraiment ?, demande-t-il.
-   Oui, vous ne saviez pas cela ? »
-   Non. »
Comme les autres interviewés, il les appelle des « infiltrés ». C’est un mot qu’il reprend du gouvernement et des médias israéliens, ignorant que lorsque Israël évoque la question aux Nations-Unies, il reconnait que 90 % de ces « infiltrés » sont, en effet, des réfugiés.
Tous ceux que j’ai interrogés répètent comme des perroquets les mots du gouvernement, notamment ceux du Premier ministre, Benjamin Netanyahu, qui qualifie « le flot » de migrants africains de « menace » pour l’État. Certains reprennent aussi ceux du ministre de l’Intérieur, Eli Yishai, qui prétend que les étrangers apportent des maladies dans le pays.
Le maire d’Eilat, Meir Yitzhak Halevi, a déclaré lors d’une récente conférence de presse, que le « taux de criminalité avait brutalement augmenté » - ce qui est un mensonge flagrant, une incitation évidente.
Anei est maintenant un homme de 28 ans. Nous sommes assis à une table de pique-nique à moitié cassée, à l’extérieur d’une petite salle de classe où des enfants soudanais travaillent leur anglais avec un bénévole européen. Dans quelques minutes, la classe d’Anei où il enseigne, lui aussi en bénévole, va commencer.
Le traitement de la municipalité pour les enfants, la plupart sont exclus des écoles locales, est parfois mal vu par certains résidents d’Eilat.
Itzik Moshe, 43 ans, propriétaire d’un stand à falafels et fils d’immigrants marocains, fait remarquer qu’Israël doit respecter la convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant.
« Nous avons signé cet accord international et nous devons l’honorer, » dit Moshe, ajoutant que si le gouvernement ne veut pas prendre la responsabilité des demandeurs d’asile, il doit renforcer les frontières poreuses du sud.
Certains juifs critiquent le traitement par Israël des demandeurs d’asile africains, disant que notre histoire, en tant que réfugiés - bibliques et historiques, anciens et modernes - signifie que le peuple juif a une responsabilité particulière pour aider ceux qui sont confrontés aux discriminations et au génocide.
Mais bien des résidents d’Eilat disent qu’il ne faut pas aider les autres. Et certains, comme Simon Ben David - qui préside une petite organisation populaire appelée « La guerre contre les infiltrés d’Afrique » - conteste tout simplement que ces demandeurs d’asile africains soient effectivement des réfugiés.
Et Ben David d’ajouter, « Je crois, comme je le lis dans le journal, que certains d’entre eux sont d’al-Qaïda et du Hamas et du Jihad islamique, », en référence à plusieurs articles, non corroborés, parus dans la presse israélienne.
Et quand on lui demande s’il considère que la campagne menée par la ville contre les Africains est raciste, Ben David répond simplement, « Les juifs ne peuvent pas être racistes ».
Si des réfugiés africains et leurs enfants ont été pris à partie dans des incidents violents isolés dans le pays, Eilat reste relativement calme.
Mais, alors que je me tiens sur le trottoir en interrogeant Deng Wol, un réfugié de 37 ans qui vient du Sud Soudan, un juif israélien nous contourne. Et il cogne la jambe de Wol avec un sac d’épicerie si durement que mon appareil enregistreur en attrape le bruit.
Wol parait choqué. Il appelle l’homme.
« Aïïïe !! » dit Wol, en se prenant le mollet.
L’homme se retourne. Il ne s’excuse pas. Au contraire, il dit qu’il n’y a pas la place pour nous tous sur le trottoir.
Wol accepte l’explication, même si ce n’est pas vrai.
« D’accord, très bien, » dit-il, en saluant l’homme.
Wol a un rire nerveux et se retourne vers moi.
« Ce n’est pas mon pays, » dit-il, haussant les épaules.
De nombreux Israéliens considèrent Eilat - ville lointaine à la pointe sud du pays - comme un problème isolé. Mais il semble que les sentiments xénophobes qui ont pris racine ici, sous les encouragements du gouvernement national et de la municipalité, se multiplient.
J’ai vu plusieurs drapeaux rouges flottant à des balcons dans le sud de Tel Aviv, un secteur où vivent des Israéliens à faible revenu, des réfugiés africains et des travailleurs immigrés. Les Israéliens juifs y ont organisé des manifestations contre la présence des étrangers.
Le défilé le plus récent a eu lieu début avril, quelques semaines avant la fête juive qui célèbre l’exode biblique des Hébreux pour échapper à l’esclavage et à la persécution en Égypte. Les manifestants, qui criaient aux Africains, « Go home ! », brandissaient des pancartes qui disaient : « Renvoyez (expulsez) les 200 000 infiltrés et illégaux, maintenant ! ».
Devinez quelle était la couleur des pancartes.
Rouge.
(JPG) Mya Guarnari est journaliste indépendante, basée à Tel Aviv. Elle écrit régulièrement pour The Huffington Post et The Jerusalem Post. Ses articles sont publiés en anglais notamment sur Al Jazeera, The National (Abu Dhabi), Ha’aretz, Electronic Intifada, The Jewish Daily Forward, Maan News Agency, Mondoweiss... Elle possède une maîtrise des Beaux-Arts de l’université d’État de Floride.
Elle peut être contactée par courriel : myaguarnieri@gmail.com
Son site : Mya Guarnieri
13 avril 2011 - Mya Guarnieri - traduction : JPP
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