vendredi 27 mai 2011

Gaza : des difficultés et un désespoir sans fin

publié le jeudi 26 mai 2011
Comité international de la Croix-Rouge

 
Mathilde De Riedmatten, chef adjointe de la sous-délégation du CICR à Gaza, décrit la situation qui prévaut dans l’enclave côtière et comment les Gazaouis continuent de lutter au quotidien.
Comment décririez-vous la situation humanitaire dans la bande de Gaza aujourd’hui ?
Le CICR est préoccupé par le fait qu’un million et demi de Gazaouis ne peuvent pas mener une existence normale et digne. Pratiquement personne ne peut quitter la bande de Gaza, même pas pour aller en Cisjordanie où bon nombre ont de la famille ou y ont déjà travaillé. Les établissements de santé souffrent des restrictions imposées par Israël sur le transfert du matériel médical, des matériaux de construction et de nombreux articles de base nécessaires à l’entretien. Les installations eau et assainissement sont mises à rude épreuve depuis de nombreuses décennies. Le fait qu’elles soient en état de fonctionner, même de manière rudimentaire, est redevable aux efforts de certaines organisations humanitaires. Les bâtiments qui ont besoin d’être réparés depuis des années et les nombreux bâtiments détruits durant l’opération militaire israélienne à Gaza en 2008-2009 ne peuvent pas être réparés ou reconstruits car il n’est pas autorisé d’introduire de grandes quantités de matériaux de construction de base comme le béton dans la bande de Gaza.
La violence fait régulièrement des victimes civiles dans la bande. Ces derniers mois, bon nombre de personnes ont été tuées ou blessées lors d’une escalade de la violence et quelquefois même au cours d’hostilités ouvertes. Les incidents de sécurité dans la zone située entre Gaza et Israël entraînent souvent la perte de vies humaines ou la destruction de biens ou de moyens de subsistance. Nous déplorons les victimes civiles et continuons de rappeler à toutes les parties qu’il faut épargner aux civils les effets des hostilités. Toutes les précautions possibles doivent être prises pour éviter des victimes civiles.
Le personnel du CICR suit constamment de près la situation des civils, tels que les agriculteurs et les ramasseurs de décombres, qui n’ont d’autre alternative que de vivre et de travailler dans des zones proches d’Israël. La zone située le long de la clôture, qui s’étend sur 300 mètres dans la bande de Gaza, a été déclarée zone d’exclusion par les Forces de défense israéliennes. Une zone beaucoup plus vaste, qui s’étend sur presque un kilomètre dans la bande de Gaza, est considérée comme dangereuse en raison des incursions de l’armée israélienne et de l’utilisation de balles réelles. Chaque fois que les civils subissent un préjudice direct dans de tels incidents, nous documentons les cas et faisons part de nos préoccupations de manière bilatérale et confidentielle aux parties concernées.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la situation économique ?
Gaza est plus tributaire que jamais de l’aide extérieure. Les jeunes – jusqu’à 50 pour cent du million et demi d’habitants de la bande de Gaza ont moins de 18 ans – souffrent de l’absence terrible de perspectives et mènent un combat permanent pour garder espoir en l’avenir.
Les limites strictes sur les importations et l’interdiction quasi absolue sur les exportations imposées par Israël rendent impossible la reprise économique. Le taux de chômage est actuellement de près de 40 pour cent et restera très élevé tant que l’économie ne pourra pas reprendre. Cette situation difficile exacerbe les difficultés déjà considérables liées à l’effondrement des secteurs jadis prospères de l’économie.
Au fil des années, l’accès aux terres propres à l’agriculture a été réduit par les restrictions imposées dans les zones proches d’Israël, le nivellement des terres et la destruction des arbres par les Forces de défense israéliennes. Pour aggraver encore la situation, le prix élevé voire la pénurie totale de certains intrants agricoles comme notamment les engrais et les pesticides, et le manque de possibilités d’exportation ont pesé lourdement sur le secteur primaire. En outre, de nombreux pêcheurs ont perdu leurs moyens de subsistance après qu’Israël ait réduit la zone de pêche à trois milles marins de la ligne côtière de Gaza.
Comme Israël conserve un contrôle effectif sur la bande de Gaza, en particulier en maintenant l’autorité sur le mouvement des personnes et biens, il doit s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu des règles du droit applicable en cas d’occupation et permettre à la population civile de mener une vie aussi normale que possible.
Israël a assoupli le régime de bouclage en juin 2010. Est-ce que cela a eu un effet positif sur la vie des habitants ordinaires de la bande de Gaza ?
La restriction sur le mouvement des personnes hors de la bande de Gaza reste inchangée. Le système des permis instauré par Israël, associé à des contrôles rigoureux, signifie que seules les personnes ayant besoin de soins médicaux qui répondent à des critères stricts de sécurité sont autorisées à sortir en empruntant soit le passage de Rafah vers l’Égypte soit celui d’Erez vers Israël. Très peu d’autres personnes sont autorisées à sortir de Gaza.
L’entrée de biens dans la bande de Gaza demeure encore très limitée, non seulement en termes de quantité mais aussi en termes de produits autorisés. Des retards importants sont fréquents. Certains biens autorisés sont si chers que leur disponibilité n’a que peu d’importance pour la grande majorité de la population qui n’aurait jamais eu les moyens de les acheter. Même si l’exportation de certaines cultures de rapport comme les œillets et les fraises a fait l’objet d’une couverture médiatique, le niveau réel des exportations hors de la bande de Gaza demeure pratiquement nul. Les importations de matériaux de construction et de matières premières sont encore pour la plupart interdites bien qu’elles soient vitales pour l’infrastructure du territoire et la reprise économique.
À moins d’un changement politique qui s’accompagnerait de la liberté de mouvement des Gazaouis et de l’accroissement des importations de divers biens et d’importantes exportations, il n’y aura pas d’amélioration.
Comment le CICR peut-il contribuer à atténuer les effets du bouclage ?
Pour aider les familles à joindre les deux bouts, nous avons mis en place des programmes « argent contre travail » et lancé des projets qui équipent les agriculteurs en outils et semences afin d’améliorer le rendement des récoltes.
Nous faisons aussi tout notre possible pour nous assurer que les personnes blessées et malades bénéficient de soins médicaux en apportant un soutien aux services d’urgence du ministère de la Santé et du Croissant-Rouge palestinien. La Société nationale dispense des soins d’urgence pré-hospitaliers et assure des consultations en plus des nombreuses autres tâches humanitaires qu’elle effectue dans la bande de Gaza. Le CICR soutient aussi le Centre des membres artificiels et de poliomyélite, unique installation de ce genre dans la bande de Gaza, qui a traité plus d’un millier de patients en 2010.
Nos ingénieurs eau et assainissement concentrent leurs efforts sur le traitement des eaux usées. Dans une usine récemment achevée à Rafah, une partie des eaux usées traitées peuvent en toute sécurité s’écouler dans les nappes phréatiques et les remplir, constituant la seule source d’eau propre dans la bande de Gaza. Grâce aux derniers travaux de rénovation de l’usine, les eaux usées une fois traitées pourraient bientôt servir à des fins agricoles par exemple pour l’irrigation des arbres.