mercredi 27 avril 2011

Thierry Meyssan dans Rivarol : « J’ai choisi mon camp, je me situe résolument du côté des valeurs spirituelles »

25 avril, 2011
Issu de la gauche laïcarde et naguère très agressif contre la droite nationale, Thierry Meyssan est devenu un maudit depuis qu’il a mis en doute publiquement dans ses ouvrages la version officielle des attentats du 11 septembre 2001. Il a même été contraint de s’exiler. En exclusivité pour Rivarol, il s’exprime sur la situation politique française et internationale.
RIVAROL : Vous êtes devenu un personnage mondialement connu en contestant la version officielle des attentats du 11 septembre 2001. Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous a conduit à vous engager sur cette voie ?
Thierry MEYSSAN : Je n’ai pas du tout mesuré les conséquences de ce que je faisais quand je l’ai fait. Je cherchais simplement à comprendre ce qui se passait, comment et pourquoi le monde a soudain basculé dans l’hystérie anti-terroriste, la « guerre des civilisations », etc. Je croyais naïvement que mon
travail susciterait des réactions droite/gauche comme tout ce que j’avais fait jusque-là. J’ai été surpris de me trouver face à un clivage bien plus profond et plus signifiant, opposant nationalistes et atlantistes. Dans le désert intellectuel ambiant, mon analyse politique est apparue comme la seule alternative
au discours dominant. De fait, aujourd’hui, dans le monde entier, il y a les responsables politiques qui voient le monde au travers de l’explication bushienne des attentats du 11-Septembre et ceux qui le voient au travers de mes écrits. Cette situation particulière m’a fermé beaucoup de portes et m’en a ouvertes d’autres. C’est ce qui explique mon influence que l’on peut juger disproportionnée sur la scène internationale. Quoi qu’il en soit, le temps passe et je ne suis
pas sûr que tout le monde ait bien compris le sens de mes recherches. C’est pourquoi je viens de réaliser un documentaire vidéo d’une heure pour résumer mes conclusions. Il sera prochainement diffusé en plusieurs langues par des télévisions du Tiers-Monde et disponible sur le web pour les internautes des pays — comme le nôtre— où la censure et l’auto-censure ne permettent pas d’envisager une diffusion normale.
R. : 10 ans après, où en êtes-vous, où vivezvous et que devenez-vous ?
T. M. : S’opposer à la pensée dominante, c’est s’exposer à l’exclusion politique. S’opposer à l’Empire dominant, c’est se condamner à la mort ou à l’exil. J’ai réussi à échapper à la première option et j’ai choisi la seconde. Je n’aime pas évoquer les opérations qui ont été conduites par la CIA et la DGSE pour m’éliminer parce que je ne peux pas en apporter la preuve. Je m’étonne quand même que, malgré le bruit que cela a pu faire ici ou là, aucune association française de défense des droits de l’homme, aucun syndicat de journalistes, ni aucun parti politique n’ait cherché à en savoir plus. Je ne demande l’aide de personne et ne veut pas être récupéré politiquement. Mais je suis surpris que l’on puisse évoquer le fait que l’Elysée m’a menacé en France et a essayé de
me faire enlever au Liban sans qu’aucun Français ne se sente concerné. C’est comme une démission généralisée. Lorsque les Etats-Unis ont demandé à la France de me “neutraliser”, je me suis enfui. J’ai d’abord trouvé asile en Syrie, puis j’ai erré du Venezuela à la Russie, pour finalement me fixer au Liban.
R. : Au Liban vous vous êtes rapproché du Hezbollah, que pensez-vous de ce mouvement et de la coalition patriotique au pouvoir ?
T. M. : Je connaissais le Hezbollah depuis longtemps et j’avais eu des entretiens avec ses dirigeants dès 2003. Mais c’est dans la vie quotidienne que je me suis rendu compte de la haute valeur morale de ses combattants : cette aspiration qu’ils ont non seulement à libérer leur pays et leur région du joug sioniste, mais aussi à se transcender eux-mêmes au besoin par le sacrifice suprême. J’avais une inquiétude par rapport au fait que les deux principales figures du Hezbollah sont des clercs. Mais j’ai constaté qu’ils font une parfaite distinction entre leur rôle de leaders religieux au sein de la communauté chiite et leur rôle de leaders laïques de la Résistance nationale. Certes, Hassan Nasrallah porte un turban sur la tête, mais lorsqu’il s’adresse à la nation libanaise, il s’abstient de toute référence religieuse et défend le seul Bien commun. La nouvelle majorité parlementaire a une forte assise populaire. Plus de 70 % des suffrages exprimés lors des dernières législatives, contre seulement 44 % pour l’ancienne majorité lorsqu’elle s’était formée. Il aura fallu beaucoup de temps pour que les Libanais puissent tirer les conséquences politiques de la guerre de 2006 malgré un découpage électoral inique. Malheureusement cette nouvelle majorité n’a toujours pas formé de gouvernement et répète aujourd’hui les erreurs qu’elle a déjà commises.
R. : On vous a également vu récemment en Iran, que pensez-vous du régime iranien ?
T. M. : Lorsque je vais en Iran, je vois la source de tout ce que j’admire chez le Hezbollah. Depuis quatre décennies, ce pays a été dénigré et caricaturé. La première chose qui frappe quand on arrive là-bas, c’est que cela n’a aucun rapport avec l’image que les media occidentaux nous en donnent. Il faut distinguer trois choses :
- Premièrement, les Iraniens se sont libérés de la tyrannie cruelle du Shah Reza Pahlevi, lequel n’était qu’un empereur d’opérette au service des sionistes et des Anglo-Saxons. Ils ont édifié un régime républicain, au sens étymologique du terme, c’est-à-dire tourné vers le service de l’Intérêt général. Cependant ce régime est alourdi par une bureaucratie envahissante et inefficace, ainsi que par un système de commissions de conciliation. Il vise à toujours consulter les formations d’opposition, mais aboutit souvent à une paralysie institutionnelle.
- Deuxièmement, les Iraniens ont été marqués par le projet révolutionnaire de Rouhollah Khomeiny. Celui-ci affirmait qu’on ne peut être vraiment libre tant que d’autres hommes sont dans la servitude. Il ne se contentait donc pas du renversement du Shah, mais s’est donné pour objectif de vaincre le système de domination mondiale incarné par Washington et Tel- Aviv. Aujourd’hui, environ les deux tiers des Iraniens se retrouvent dans cet idéal et soutiennent les efforts de leur gouvernement pour la défense du Liban et la libération de la Palestine. Ils acceptent les sanctions internationales comme le prix à payer pour leur honneur. A l’inverse, environ un tiers des Iraniens se reconnaissent dans la République, mais pas dans le projet khomeinyste. Certains d’entre eux, par exemple ceux qui vivent du commerce international, souffrent durement du blocus économique. D’autres sont exaspérés par la rigidité en matière de moeurs et rêvent de l’American Way of Life. De tout cela, il s’ensuit une profonde cassure de la société entre révolutionnaires et pro-occidentaux.
- Troisièmement, pour coordonner la Révolution et pour placer la République au service de cette révolution, la Constitution a reconnu la nécessité d’une autorité morale, celle du Guide suprême. C’était le rôle de Khomeiny qui est aujourd’hui tenu par son élève Khamenei. Cela n’a rien à voir avec un gouvernement clérical comme on le prétend. Le Guide intervient rarement et uniquement sur des sujets essentiels à la Révolution. Par exemple, il est intervenu lors des soulèvements en Tunisie et en Egypte pour saluer ces peuples et appeler toutes les instances de la République iranienne à les soutenir dans leur combat. Le gouvernement de Mahmoud Ahmadinejad est un gouvernement révolutionnaire élu dans ce cadre républicain. Il se heurte à l’opposition de la majorité du haut clergé, qui exploite de nombreuses propriétés foncières et manufactures, et attend avec impatience la levée des sanctions pour reprendre des transactions commerciales internationales fructueuses. Je n’évoquerai pas ici en détail la question des moeurs, parce qu’elle nécessite de très longues explications. La société iranienne défend comme elle peut sa culture face à l’impérialisme culturel occidental qui l’attaque via de multiples chaînes de télévision satellitaires spécialement créées en persan. Les règles culturelles de la société traditionnelle iranienne sont très différentes des nôtres. Elles répriment l’indécence dans l’espace public et protègent la vie privée dans l’espace privé. La répression que décrivent les media occidentaux est un pur fantasme. Il subsiste par contre un vrai problème de développement économique et de tolérance sociale dans certaines régions habitées par des ethnies marginalisées, les Kurdes, les Balouchtes etc.
“LE CSA M’A INTERDIT DE PAROLE DANS LES MEDIA AUDIOVISUELS EN FRANCE”
R. : Le Président iranien est l’un des rares à s’en prendre ouvertement à la « religion de la Shoah ». Qu’en pensez-vous, en prenant garde à la loi Gayssot car vous savez que nous n’avons pas ici votre liberté…
T. M. : Mahmoud Ahmadinejad n’a pas contesté les persécutions des juifs d’Europe. Il a critiqué l’usage qui en est fait pour justifier la colonisation de la Palestine. Je partage ce point de vue. Concernant la liberté d’expression, c’était avec la laïcité le combat de Voltaire dont je me réclame. En consacrant cette idée, la loi de 1881 a fondé la République moderne. Elle posait deux principes qui ont tous deux été successivement abrogés. Premièrement, seuls des jurys populaires peuvent limiter la liberté d’expression, jamais une autorité administrative, ni un tribunal correctionnel. Or aujourd’hui le ministre de l’Intérieur dispose d’un pouvoir discrétionnaire, tandis que les affaires de presse sont jugées en correctionnelle par des chambres spécialisées dont les magistrats sont nommés selon des critères éminemment politiques. Deuxièmement, personne ne peut être emprisonné pour ses idées. C’est là qu’intervient la loi Gayssot. Elle a rétabli l’embastillement pour les citoyens qui contestent certaines vérités officielles. Elle ressort de la dictature et ouvre la voie au totalitarisme.
Pour moi, la liberté d’expression est un préalable à la démocratie. Il est urgent, non seulement d’abolir la loi Gayssot, mais de prendre beaucoup d’autres mesures pour rétablir cette liberté. Il faudrait par exemple interdire la concentration des media et supprimer les aides publiques à la presse, ce qui provoquerait la faillite des media de propagande et permettrait l’émergence d’une presse d’information. La liberté d’expression n’existe que si l’on
en jouit. En m’interrogeant, vous me permettez de m’exprimer devant un public français, alors que la plupart des media français ont peur de me donner cette occasion et que le CSA a interdit par écrit aux media audiovisuels de me donner la parole. Réciproquement, lorsque je réponds à vos questions, je vous permets de faire votre travail de journaliste et d’informer vos lecteurs alors que divers groupes et institutions vous boycottent pour vous exclure avec vos lecteurs du débat public.
R. : Pour beaucoup de gens « de droite », entendez de droite nationale, vous êtes au départ un franc-maçon et un adversaire des patriotes mais aussi de la religion. Votre immersion dans un monde religieux a-t-elle modifié votre regard de ce point de vue ?
T. M. : J’apprécie que malgré cet a priori vous m’ayez proposé cet entretien. Observez que je l’ai accepté bien que j’aie autant de préventions à votre égard. En réalité, nous savons tous que nous avons d’autant plus besoin de nous parler et de nous comprendre que nous avons besoin d’unité pour libérer ensemble notre pays de la vassalité, voire de la servitude dans laquelle il est plongé Je ne suis pas un adversaire de la religion. Parmi les rumeurs qui circulent à mon sujet, il en est une qui est vraie : j’ai fait ma scolarité chez les pères jésuites et après mon mariage j’ai suivi des études de théologie. Ce que
j’abhorre, c’est le cléricalisme. Je n’ai jamais combattu ceux qui s’investissent en politique mus par leur foi, mais ceux qui prétendent que leur foi leur donne le droit d’imposer leur conception du Bien public. Je vous disais tout à l’heure mon admiration pour les résistants libanais et les révolutionnaires iraniens qui trouvent dans la foi la force de leur combat. Je pourrais en dire autant, en France, d’Honoré d’Estienne d’Orves par exemple, un héros de la Résistance au nazisme. Je ne prétends pas avoir fait un parcours sans faute, mais je revendique les objectifs que j’ai poursuivis. Par exemple, je suis fier d’avoir conduit cette bataille contre le financement public de la partie privée des voyages de Jean Paul II en France. Il se peut que j’ai été parfois outrancier, dans ce cas vous auriez dû m’aider à être plus adroit, car une gestion laïque des fonds publics était aussi dans votre intérêt à long terme, bien qu’elle ne facilite pas les choses à court terme. En définitive, vous avez raison de me poser cette question. Pas seulement pour clarifier des événements anciens, mais parce qu’elle touche au fond du sujet. Depuis un siècle et demi, les sociétés européennes sont subverties par ce que Charles Baudelaire appelat l’américanisme. Cette expression créée par l’auteur des Fleurs du Mal a été reprise notamment par le pape Léon XIII pour stigmatiser la substitution de valeurs spirituelles par des valeurs exclusivement matérielles. Il y a donc, depuis le début, un consensus entre des gens très différents pour établir le diagnostic. Michel Foucault, qui s’est passionné pour la Révolution iranienne et a soutenu l’ayatollah Khomeiny, disait que la Révolution islamique était la réponse des sociétés spirituelles à l’envahissement de la société de consommation, « l’esprit d’un monde sans esprit ». Comme lui, je pense que le clivage principal du monde contemporain est là. J’ai choisi mon camp, je me situe résolument du côté des valeurs spirituelles.
● R. : Vous avez, dans votre précédente vie, beaucoup combattu le FN. Le regrettezvous ? Que pensez-vous aujourd’hui de ses leaders de l’époque, comme Gollnisch ou Le Pen par exemple ?
T. M. : J’ai notamment été coordinateur suppléant du Comité national de vigilance contre l’extrême droite. A l’époque, nous réunissions chaque semaine les dirigeants des 40 principaux partis politiques, associations, syndicats et loges maçonniques de gauche pour coordonner nos positions et notre action. Malheureusement, la plupart de ces responsables combattaient le FN pour des raisons purement électorales. Certains allaient jusqu’à demander son interdiction, dans l’espoir de le faire mousser et de diviser la droite. Pour ma part, je n’ai pas combattu le FN en tant que parti, mais certaines de ses idées, particulièrement le principe du bouc émissaire qu’il promouvait. Au cours de ce combat, j’ai étudié très en détail les textes des uns et des autres. Je suis arrivé à la conclusion que le FN de l’époque s’adressait prioritairement aux victimes de la décolonisation que la République avait oubliées. Je pense que son discours sur l’immigration était une manière de parler de la décolonisation ratée et que s’il avait été écouté, nous aurions pu supprimer bien des tensions
dans la société française. Au lieu d’ouvrir le dialogue, certains ont fait le choix anti-démocratique de le diaboliser et de le rejeter dans l’extrémisme.
J’ai essayé de faire entendre raison à gauche pour que nous opposions des réponses politiques aux questions politiques posées par le Front national. J’ai concentré mes tirs sur le recyclage de mercenaires par le DPS. Là encore, on me reproche des outrances, mais je n’avais aucun autre moyen de me faire entendre à gauche et de casser la campagne anti-démocratique pour la dissolution du FN. Par la suite, des dirigeants du FN m’ont dit avoir été surpris par
ce que j’avais mis à jour et avoir été heureux de pouvoir faire le ménage avant que cela ne dégénère.
En ce qui concerne Jean-Marie Le Pen et Bruno Gollnish, il serait bien arrogant de ma part de juger leur parcours politique. Toutefois, il est une question que je me pose. J’ai milité au sein du Parti radical de gauche, celui de Jean Moulin. Ce héros a su unir au sein de la Résistance française des personnalités de tous bords, de l’extrême droite à l’extrême gauche. Il avait fixé une seule limite : ne pouvaient pas militer avec lui les gens qui avaient participé aux agressions fascistes et, par exemple, trempé leurs mains dans le sang des républicains espagnols. Si je suis cet illustre exemple, je ne dois pas avoir de difficultés à lutter aux côtés de personnalités qui ont dénoncé les guerres impérialistes au Kossovo, en Afghanistan, en Irak et aujourd’hui en Libye. Je ne peux par contre pas accorder de confiance aux Lellouche et aux Kouchner, aux Longuet et aux Cohn-Bendit.
R. : Le FN a lui aussi beaucoup évolué. Quel regard portez-vous sur son nouveau leader et le processus de “normalisation” en cours ?
T. M. : Il est bien légitime que des citoyens qui ont été ostracisés durant de longues années souhaitent réintégrer le débat public. Mais je crains qu’ils ne le fassent de la pire des manières. Au lieu d’en finir avec le discours du bouc émissaire, ce poison qui ronge notre pays depuis si longtemps, ils ont choisi de se rallier au lobby pro-israélien. Nous voyons très bien que le gouvernement israélien a lancé une OPA sur les partis d’extrême droite européens. Un à un, ils basculent dans le sionisme et manifestent leur allégeance en s’inclinant à Yad Vashem. C’est semble-t-il maintenant le tour du FN.
2012 : UN NON CHOIX ENTRE TROIS SIONISTES, DSK, SARKOZY, MARINE LE PEN
R. : Certains dissidents en France, dont Alain Soral que vous connaissez, proposent aux antisionistes de soutenir Marine Le Pen pour barrer la route à DSK. Qu’en pensezvous ?
T. M. : A lire certains hebdomadaires, on présente la prochaine élection présidentielle comme un choix entre Nicolas Sarkozy, Dominique Strauss-Kahn et Marine Le Pen, c’est-à dire comme un non-choix entre trois sionistes. Ceci ne doit pas donner lieu à des combines politiciennes. La République souffre aujourd’hui de la domination des Etats-Unis et d’Israël. Ceux qui prétendent à la fois être antiimpérialiste et sionistes sont de dangereux menteurs. Et ceux qui veulent arbitrer entre les loups se trompent de combat.
R. : Comment analysez-vous l’explosion du discours anti-islamique en France ?
T. M. : C’est un discours de guerre civile. En principe, la laïcité devait nous en prémunir, au lieu de cela, elle est invoquée pour le nourrir. Il y a donc urgence à redéfinir ce concept. Le président Obama a abandonné le discours de la guerre des civilisations, seule la frange dure du sionisme continue à le développer. Chacun comprend que le dévoiement actuel de la laïcité et le flot de haine qui se répand servent ces intérêts et affaiblissent notre pays. La laïcité est initialement la réponse humaniste aux guerres de religion. Depuis Montaigne, de nombreux penseurs nous ont appris que la solution n’était ni dans la persécution de la foi d’autrui, ni dans l’indifférence aux convictions des autres, mais dans une volonté mutuelle de comprendre.
A cette attitude philosophique, s’est ajoutée la séparation des Eglises et de l’Etat qui est une réponse institutionnelle à une longue rivalité de pouvoir.
Selon moi, la laïcité doit être un comportement citoyen avant d’être un système juridique. Nous assistons à l’inverse aujourd’hui. Par exemple, Jean-François Copé et Claude Guéant manifestent leur inconfort face à certains de nos concitoyens en raison de leur religion — les musulmans en l’occurrence —, tout en proposant de rédiger un Code de la laïcité qui ne sera jamais que la mise en forme de principes consensuels. Cette méthode laisse entendre que la loi sera appliquée contre une catégorie de citoyens et non dans l’intérêt de tous. On dit qu’il s’agit là d’une stratégie électorale pour rabattre des électeurs du FN. Je pense pour ma part que les discours de MM. Copé, Guéant ou de Mme Le Pen — qui est sur ce point aux antipodes de son père— participent, volontairement ou non, de la stratégie sioniste de « guerre des civilisations ».
R. : Pensez-vous, pour reprendre le titre du dernier ouvrage de Chevènement, que la France soit finie ?
T. M. : Je ne pense pas que notre patrie soit morte ; elle ne mourra pas tant que nous serons là — vous, moi, nos concitoyens— pour la défendre, quelles que soient les trahisons de ses élites. Jean-Pierre Chevènement dénonce le doute de ces élites et leur croyance dans une utopie européenne. Pour ma part, je ne sacralise pas la France, dont les contours n’ont cessé d’évoluer avec le temps, et ne sont pas fixés dans le marbre. Quoi qu’il en soit, rien ne justifie
d’être embarqués dans cette galère bruxelloise. Initialement la zone de libre-échange européenne était un projet des Etats-Unis auquel nous avons été contraints de souscrire pour pouvoir bénéficier des crédits du Plan Marshall. Il n’a donc jamais été discuté démocratiquement. Avec le temps, le Marché commun est devenu un outil de stabilisation de l’Europe occidentale, c’est-à-dire de la zone occupée par les Etats-Unis, face à l’URSS. Depuis la chute du Mur de Berlin, cette machine est à la dérive. Elle n’a plus d’autre projet que de croître en dévorant les nations qui la composent. On en est au point que la Commission a tenté de s’arroger le contrôle des budgets de ses Etats membres au détriment des Parlements nationaux. Or, dans ce système, c’est la Commission qui est la courroie de transmission des instructions de Washington et des multinationales. Voyez les propositions qu’elle présente au Parlement
et au Conseil : les normes économiques qu’elle rédige sont copiées sur celles de l’OTAN (par exemple, lorsque la Commission propose une norme du chocolat, elle duplique la norme figurant dans les appels d’offre de l’OTAN pour la ration du soldat) ; tandis que les règlements qu’elle propose reprennent les propositions des grandes associations patronales transnationales, ERT, TABD etc.
Le Conseil européen ne vaut guère mieux. Javier Solana hier, Catherine Ahston aujourd’hui, sont des agents états-uniens qui ont noyauté le mouvement anti-nucléaire et pacifiste avant de devenir les VRP de l’impérialisme humanitaire. Solana s’est même offert le luxe de passer directement du secrétariat général de l’OTAN à celui de l’Union, comme on change de bureau au sein d’une même administration. Le Traité de Lisbonne, imposé par Nicolas Sarkozy après le rejet démocratique du Traité constitutionnel, consacre la répartition des rôles entre l’Union européenne et l’OTAN. Les Etats membres ont renoncé à se défendre collectivement et se sont placés sous la protection de l’Alliance atlantique, c’est-à-dire de facto du Pentagone.
L’Union sert désormais de faux nez de Washington partout où les Etats-Unis ne peuvent aller. C’est très frappant lorsque l’on voyage : les délégations extérieures de l’UE agissent comme des bureaux du département d’Etat US tenus par des fonctionnaires européens. Toutes les structures sont des décalques, jusqu’à l’Instrument européen pour la démocratie (EIDHR) qui est chargé d’organiser les pseudos “révolutions” colorées là où la National Endowment for Democracy a été démasquée. Pour redevenir une nation souveraine, nous devons quitter Bruxelles au plus vite, c’est-à dire sortir à la fois de l’Alliance atlantique et de l’Union européenne.
R. : Les révoltes arabes peuvent-elles selon vous aboutir à une véritable révolution ?
T. M. : Une vraie révolution, ce n’est pas un événement ponctuel pour une émission spéciale sur une chaîne d’information en continu. Ce n’est pas comme les pseudo-révolutions colorées qui ambitionnent de placer un leader pro-US à la place d’un leader anti-US. C’est un processus de longue haleine, qui dure des années et ambitionne de changer les structures sociales. Ce processus a débuté. Dès à présent, il se heurte à une contre-révolution. Particulièrement à Bahreïn où l’Arabie Saoudite écrase les manifestations pacifiques dans le sang et pourchasse les blessés jusque dans les hôpitaux. Je suis choqué du rôle joué par le gouvernement Sarkozy dans cette vaste contre-révolution. Nous avons vu l’Elysée préparer un chargement de matériel de répression pour la Tunisie le jour de la fuite de Ben Ali. Nous avons vu un conseiller de l’Elysée réorganiser la police bahreïni avant qu’elle ne donne l’assaut. Nous voyons maintenant des agents français soutenir les “bons” insurgés libyens— c’està- dire les monarchistes pro-occidentaux — contre les “mauvais”— c’est-à-dire les nassériens et les khomeinistes. Nous continuons en imposant militairement un président à la Côte d’Ivoire, ce qui ne réglera pas le problème de fond de ce pays. Tout cela est fait en notre nom et, contrairement aux slogans d’Alain Juppé, nous déshonore.
R. : Vous êtes également très connu et apprécié en Russie. Pensez-vous que celle-ci puisse prochainement s’émanciper à nouveau de la tutelle occidentale ?
T. M. : J’observe un conflit au sommet de l’Etat entre Vladimir Poutine et son ami de trente ans Dmitry Medvedev. L’un développant une approche nationaliste, l’autre se rapprochant des Etats-Unis et d’Israël. Je sais que cette analyse est contestée et que d’autres experts ne voient dans cet affrontement qu’une mise en scène. Cependant, les deux têtes de l’Etat se sont opposées en public à propos de l’Iran, de Khodorkovsky et de la Libye. Sur ce dernier point, la décision du président Medvedev a immédiatement mis fin à des contrats en cours de près de 10 milliards de dollars. Si c’est une mise en scène, elle devient très coûteuse. Je pense donc que plus nous approcherons de l’élection présidentielle russe, plus ce conflit se durcira. Je n’exclus pas un coup de force de l’un ou de l’autre. Au demeurant, Vladimir Poutine a su remettre le pays en ordre après les terribles années Eltsine. Dmitry Medvedev n’a pas apporté grand-chose. Mais ni l’un, ni l’autre ne sont les hommes de la situation actuelle. La Russie peine à se trouver un leader capable de diriger son développement économique dans l’intérêt national.
R. : Vous êtes un militant antisioniste. Comment voyez-vous évoluer Israël dans les 10 ans à venir ?
T. M. : L’Etat d’Israël, dans sa forme actuelle, est un anachronisme. Le principe d’une colonie juive en Palestine maintenant les non-juifs en situation d’apartheid est révolu. Je ne pense pas que cela durera une décennie encore. Soit les Israéliens produisent un « De Klerk » qui discute avec un “Mandela” palestinien pour établir un Etat démocratique unique dans lequel chaque personne —y compris les Palestiniens apatrides parqués dans des camps de réfugiés à l’étranger— aura une voix égale, soit les colons seront chassés comme les Français le furent d’Algérie. Dmitry Medvedev a évoqué le rapatriement du million d’Israéliens d’origine soviétique dans l’Oblat juif du Birobidjan, tandis que la CIA a évoqué le rapatriement du million d’Israéliens ayant la double nationalité aux Etats-Unis. Que deviendraient les autres ? Cette option serait tragique. Non seulement pour les expulsés, mais aussi parce qu’elle ne mettrait pas fin à cet anachronisme. L’Etat d’Israël serait alors reconstitué ailleurs, en Afrique ou en Amérique latine et le problème se reproduirait.
R. Et pour finir, aura-t-on le plaisir de vous voir prochainement en France, ou, à défaut, de pouvoir vous y lire ?
T. M. : C’est d’abord pour moi que serait le plaisir de revenir d’exil. Mais je ne pense pas que les conditions de sécurité soient réunies pour le moment. Rien n’empêche pour autant d’organiser des visio-conférences ou de me lire sur Internet. Quoi qu’il en soit, l’important n’est pas là, c’est de libérer notre patrie du parti de l’étranger qui la gouverne et de reconstruire une culture humaniste dont l’américanisme a fait table rase.
Propos recueillis par Marc George