lundi 31 janvier 2011

Mémos Palestine : l’histoire est en marche

dimanche 30 janvier 2011 - 21h:09
Mazin Qumsiyeh
Il est difficile d’ignorer le battage sur les mémos Palestine. J’ai passé beaucoup de temps à lire page après page les documents montrant les minutes de rencontre et d’autres échanges concernant les « négociations » (les guillemets sont justifiés) israélo-palestiniennes.
(JPG)
Mitchell et Erekat... Rigolades et capitulations...
Le journal The Guardian a résumé le va-et-vient des arguments sur ces mémos comme suit :
« On peut s’attendre à ce que les leaders de l’AP et de l’OLP comme Saeb Erekat fassent remarquer qu’un des principes de base des négociations et que ‘rien n’est accepté jusqu’à ce que tout soit accepté’. En tant que tels, ils ne sont pas nécessairement liés à des propositions provisoires qui, au cours du temps, ne sont pas parvenus à garantir un règlement — quoique Erekat ait indiqué clairement en janvier 2010 aux responsables US que ces offres restaient sur la table.
Les critiques argumenteront probablement que les concessions — comme accepter l’annexion des colonies israéliennes dans Jérusalem Est occupée — sont simplement empochées par la partie israélienne, et qu’elles risquent d’être traitées comme des points de départ dans tout pourparler futur ».
http://www.guardian.co.uk/world/201...
Pour moi, deux choses ressortent clairement de ces pénibles documents (certains sont corroborés par les câbles de l’ambassade US sur Wikileaks). D’abord, ce n’est pas que les responsables Palestiniens soient des traîtres, mais simplement (et c’est suffisamment mauvais) qu’ils aillent de l’avant passionnément et dans l’erreur, espérant contre toute probabilité qu’en discutant et en faisant plus de compromis ils pourront parvenir à une minuscule fraction de ce à quoi nous avons droit. La seconde observation est qu’Israël ne signera pas d’accord de paix quel que soit le degré de bassesse et de ridicule des concessions du côté palestinien : chasser les résistants (abandonner les droits internationalement reconnus à la résistance à l’occupation même désarmée), laisser tomber sur la plupart des colonies construites illégalement sur les terres palestiniennes, donner la souveraineté israélienne sur près d’un tiers de la vieille ville occupée de Jérusalem, abandonner les droits des réfugiés, permettre à Israël de continuer le pillage des ressources naturelles en Cisjordanie, donner à Israël le droit de contrôler notre espace aérien, et même assurer un État croupion sans souveraineté.
Même les revenus du tourisme ne seraient pas autorisés dans cet État émasculé. Certains critiques ont demandé : si, comme le montrent les documents, les négociateurs Palestiniens étaient prêts à accepter tout ça, alors POURQUOI les politiciens Israéliens n’ont-ils pas tendu la main ?
La réponse est évidente pour quiconque a fait face au sionisme. Ils croient (à tort ou à raison) qu’ils peuvent obtenir 100 %, alors pourquoi devraient-il s’arrêter à 91 % ou même 99 %, particulièrement quand le plancher des demandes palestiniennes n’a cessé de s’abaisser au cours des 22 dernières années (depuis qu’ils ont accepté en 1988 de laisser Israël garder l’essentiel des régions pillées de Palestine 1948).
Aujourd’hui, les trois principales sources de revenus d’Israël dépendent d’un conflit continuel et de l’occupation : les 6,5 milliards d’exportations militaires et sécuritaires, les 6 milliards d’aides directes occidentales, et les 3 milliards des marchés captifs de Cisjordanie et de Gaza. Toutes les trois seraient menacées par la fin du conflit, même si Israël parvenait à garder le plus gros de son butin volé.
Les responsables israéliens souhaitent le maintien de négociations pour éviter un scénario antiapartheid, pour les relations publiques et la normalisation afin de pomper plus d’argent et plus de colons dans la petite Palestine racornie restante, parce que c’est profitable économiquement.
Les entretiens rapportés ne montrent aucun intérêt ni même émotion ou quelque sens d’urgence de la part des Israéliens ou de leurs bienfaiteurs Américains. À la base, Saeb Erekat plaide et parfois mendie et à d’autres moments il utilise la présence de Hamas, du Hezbollah et de l’Iran pour tenter de convaincre ses interlocuteurs. Jim Jones, David, Hale, le lobbyiste pro israélien Dennis Ross, Tzipi Livni, Mofaz etc. ne font qu’émettre à répétition quelques mots sélectionnés et trainent simplement les pieds pour que « le processus continue ».
Quelle serait la nature des conversations s’il n’y avait pas le Hamas à agiter comme un croque-mitaine devant les responsables US et sans déclaration de succès à avoir contenu Hamas et d’autres mouvements extrémistes (en Égypte, Hosni Moubarak utilise la même idée de l’endiguement du Jihad islamique, mais pour l’objectif sinistre de justifier sa dictature) ? Les responsables US font très confiance en leurs forces et en celles des Israéliens et dans le fait qu’ils ont seulement besoin que les Palestiniens empêchent toute tentative d’isoler Israël internationalement.
Ils obtiennent ceci simplement par des insinuations ou des allusions de menaces sur l’Autorité palestinienne. Ils ont étudié soigneusement la situation et pensent qu’Abbâs et compagnie n’ont pas d’autres choix que de continuer simplement à négocier et à faire des compromis, même si ça dure encore 20 ans.
En de très rares occasions, les négociateurs semblent retrouver leur humanité et semblent vraiment désolés pour le sort de ces négociateurs Palestiniens. Mais alors, vous pouvez sentir comment ils jugulent leurs propres sentiments (comme hors sujet) et en reviennent aux positions orchestrées de leur gouvernement, simplement opposées à tout ce qui n’est pas un soutien du sionisme à 100 %.
Les menaces occasionnelles d’Ekerat d’un État unique semblent vides et pas sérieuses. Mon livre (Sharing the Land of Canaan) a montré avec beaucoup de données que l’approche « deux Etats pour deux peuples » ne peut jamais mener à une paix réelle (si l’apartheid était le problème en Afrique du Sud, pourquoi serait-il une solution ici ?).
J’ai fait une suggestion à l’Autorité palestinienne : essayez de traiter des questions et publiez vos propres documents au lieu d’essayer de tirer sur le messager. Pour la citronnade, prenez des citrons. Aidez à introduire une résolution encore plus forte au Conseil de sécurité de l’ONU (par exemple en soutien au rapport Goldstone ou pour reconnaître un État palestinien sur les frontières de 1967), ou une résolution à l’Assemblée générale de l’ONU appelant à expulser Israël de l’ONU car il n’a jamais honoré ses engagements quand il a été admis en 1949.
Peut-être, annoncez publiquement que le processus d’Oslo fut une erreur ou au moins qu’il est maintenant mort (maintenant n’importe quel idiot le sait et la plupart de ceux qui détiennent leurs salaires de l’Autorité savent au fond de leur coeur qu’il était contraire aux droits humains et internationaux élémentaires). Cette suggestion est essentiellement pour manifester courage et de stature. Elle pourrait aussi faire la différence : faire des erreurs est humain, continuer comme dans le passé ne fait que justifier ceux qui accusent de trahison les dirigeants de l’Autorité. Abbâs dit qu’il nous surprendra en septembre mais je crois que lui et ceux qui sont autour de lui n’ont pas ce genre de délai.
Comme Edward Saïd et des millions de Palestiniens, je désapprouve grandement les choix faits par ce groupe d’Oslo de construire l’Administration autonome palestinienne (entrepôts ou camps de concentration du peuple palestinien) qui ont débarrassé Israël des soucis d’avoir à nous gérer et de son isolement international fondé sur des promesses non tenues de liberté ou du retour des droits. Mais je ne peux m’empêcher de me sentir désolé pour ceux qui ont suivi ce chemin.
Ça doit être très douloureux pour un être humain de s’enfoncer dans un tunnel où il n’y a pas de lumière possible au bout, et pendant ce voyage dans les profondeurs obscures, de sentir les sangsues sucer son sang en lui grimpant sur le dos tandis derrière, des voix l’appellent à revenir (certains, ses ennemis politiques, d’autres, des ex-camarades du Fatah). Les négociateurs Palestiniens ont peur de revenir parce qu’ils pensent que ceci pourrait donner à leurs opposants politiques un outil médiatique. Ils ont surtout peur de perdre la face ; je suis toujours reconnaissant envers un sage conseiller qui m’a convaincu il y a 30 ans de laisser tomber cette peur d’admettre des erreurs (une peur habituelle particulièrement parmi les hommes).
Ils ont peut-être aussi peur de perdre un emploi. Les Palestiniens sont très en colère quoique beaucoup ont peur de s’exprimer par peur de perdre leur source de revenu, par peur que l’alternative au Fatah puisse être aussi mauvaise, par peur d’Israël, par peur des États-Unis ou simplement peur de leur propre pouvoir. Mais au final la peur est un manque de confiance en soi pour prendre une autre direction. Et leur peur devrait être équilibrée par le fait que le peuple agonit littéralement pour la justice et veut des leaders s’occupant de lui et non d’eux-mêmes. [Ici, il faut nous souvenir des milliers de martyrs qui ont donné leur vie et des centaines de milliers qui ont été blessés ou ont perdu leur maison et leur gagne-pain et qui aspirent toujours à la liberté].
Pour beaucoup d’humains, le statu quo a le confort du connu et du prévisible. Prendre un autre cours fait peur parce que les humains ont peur de l’inconnu. Je crois que la peur est la plus paralysante et la plus destructrice des émotions humaines. Dans le monde, les gens ordinaires commencent seulement à rompre la barrière de la peur et à parler pour eux-mêmes. De Tunisie en Égypte et au Liban, les murs de la peur craquent. Nous, les gens ordinaires, et même certains leaders, devons réaliser que beaucoup de ces murs sont bien plus minces que nous le pensons. Je peux en fait les entendre craquer.
Le monde arabe se révolte. Le feu se répand. Les personnes responsables doivent aller de l’avant avec courage et conviction. Sur cette voie il pourrait y avoir des surprises, même venant du comité central du Fatah. Déjà, Nabil Shaath a pris une position différente de celle de Mahmoud Abbâs. Ce n’est que le début. La Palestine survivra. Les Palestiniens ne sont pas des moutons.
Ils sont assez mûrs pour connaître la vérité et pour reconstruire notre mouvement de libération nationale. L’histoire est en marche et je suis sûr à 100 % que le sionisme échouera et que la Palestine sera libre.
* Mazin Qumsiyeh est un Palestinien qui vit et enseigne aux USA quand il n’est pas en Palestine occupée. Il a publié plusieurs livres dont Sharing the Land of Canaan (2004) et Popular Resistance in Palestine : A History of Hope and Empowerment (2011).
Il peut être joint à mazin@qumsiyeh.org
Consultez son site personnel : http://qumsiyeh.org/home/
Diffusé par l’auteur - Traduction de l’anglais : Jean-Pierre Bouché
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