Monde Arabe -                               30-01-2011                                                                                                         
Le monde arabe est en plein tremblement de terre  politique et le sol n'a pas encore fini de trembler. Faire des  prédictions lorsque les événements sont si volatiles est risqué, mais il  ne fait aucun doute que le soulèvement en Egypte – même s'il se termine  - aura un impact spectaculaire dans la région et en Palestine. Si le  régime Moubarak tombe, et s'il est remplacé par un gouvernement aux  liens moins étroits avec Israël et les Etats-Unis, Israël sera le grand perdant. Comme l'a commenté Aluf Benn dans le quotidien israélien Ha'aretz, "le  déclin du pouvoir du gouvernement du président égyptien Hosni Moubarak  laisse Israël dans un état de détresse stratégique. Sans Moubarak,  Israël n'a pratiquement plus d'amis au Moyen-Orient ; l'an dernier,  Israël a vu s'effondrer son alliance avec la Turquie." (1) En effet, observe Benn, "Il reste à Israël deux alliés stratégiques dans la région : la Jordanie et l'Autorité palestinienne". Mais ce que Benn ne dit pas, c'est que ces deux "alliés" ne seront pas épargnés eux non plus.                        
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Manifestations au Caire, Egypte, 29 janvier 2011
J'étais à Doha ces dernières semaines pour examiner les Documents Palestine divulgués par 
Al-Jazeera.  Ils soulignent jusqu'à quel point la division entre l'Autorité  Palestinienne de Ramallah, soutenue par les Etats-Unis, et sa faction 
Fatah, d'un côté, et le Hamas  dans la Bande de Gaza, de l'autre, fut une décision politique des  puissances régionales : les Etats-Unis, l'Egypte et Israël (2). Une  politique qui comportait la mise en œuvre stricte du siège de Gaza par  l'Egypte.
Si le régime Moubarak tombe, les Etats-Unis perdront un levier énorme sur la situation en Palestine, et l'Autorité Palestinienne d'Abbas perdra un de ses principaux alliés contre le 
Hamas.
Déjà discréditée par l'ampleur de sa collaboration et de sa capitulation exhibées dans les Documents Palestine,  l'AP sera affaiblie encore davantage. Sans aucun "processus de paix"  crédible pour justifier sa "coordination sécuritaire" ininterrompue avec  Israël, ou même son existence même, le compte à rebours de l'implosion  de l'AP pourrait bien commencer. Même le soutien des Etats-Unis et de  l'Union européenne pour la police de l'Etat-en-gestation de l'AP  pourrait ne plus être politiquement tenable. Le Hamas pourrait être le  bénéficiaire immédiat, mais pas nécessairement à long terme. Pour la  première fois depuis de nombreuses années, nous voyons d'importants  mouvements de masse qui, s'ils incluent des Islamistes, ne sont pas  nécessairement dominés ou contrôlés par eux.
Il y a aussi un effet miroir pour les Palestiniens : la permanence des  régimes tunisiens et égyptiens a été fondée sur la perception qu'ils  étaient forts, ainsi que sur leur capacité à terroriser des pans de  leurs populations et à coopter les autres. La facilité relative avec  laquelle les Tunisiens ont jeté leur dictateur, et la rapidité avec  laquelle l'Egypte, et peut-être le Yémen, semblent suivre le même  chemin, pourrait bien envoyer aux Palestiniens le message que les forces  sécuritaires d'Israël ou de l'AP ne sont pas aussi invincibles qu'elles  paraissent. 
 Manifestation à Sanaa, Yémen, le 27 janvier 2011
Manifestation à Sanaa, Yémen, le 27 janvier 2011
En effet, la "dissuasion" d'Israël a déjà subi un sérieux coup à la  suite de son échec à vaincre le Hezbollah au Liban en 2006 et le Hamas à Gaza pendant 
les attaques de l'hiver 2008-2009.
Quant à l'AP d'Abbas, jamais l'argent des donateurs internationaux n'a  été dépensé pour la force sécuritaire avec des résultats aussi mauvais. Le secret  de Polichinelle, c'est que sans l'occupation de la Cisjordanie et de  Gaza assiégée par l'armée israélienne (avec l'aide du régime Moubarak),  Abbas et sa garde prétorienne seraient tombés depuis longtemps. Bâtie  sur une escroquerie de processus de paix, les Etats-Unis, l'Union  européenne et Israël, avec le soutien de régimes arabes en décrépitude  qui sont maintenant menacés par leurs propres peuples, ont construit un  château de carte palestinien qui ne devrait pas rester debout encore  longtemps.
Cette fois, le message est peut-être que la réponse n'est plus une  résistance militaire, mais plutôt davantage de pouvoir au peuple et un  accent plus fort mis sur les protestations populaires. 
Aujourd'hui, les Palestiniens forment au moins la moitié de la population en 
Palestine  historique – Israël, la Cisjordanie et la Bande de Gaza. S'ils se  soulèvent collectivement pour demander des droits égaux, que pourra  faire Israël pour les arrêter ? La violence brutale et la force létale  d'Israël n'ont pas mis fin aux manifestations régulières dans les  villages de Cisjordanie, dont Bil'in et Beit Ommar.
Israël doit craindre que s'il répond brutalement à tout soulèvement  d'ampleur, ses soutiens internationaux déjà précaires pourraient  commencer à s'évaporer aussi vite que ceux de Moubarak, dont le régime,  semble-t-il, subit une rapide "déligitimation". Les dirigeants  israéliens ont clairement indiqué  qu'une telle implosion du soutien  international les effrayait davantage que toute menace militaire  extérieure. Avec un pouvoir repris à leurs régimes par les populations,  les gouvernements arabes pourraient ne plus rester aussi silencieux et  complices qu'ils l'ont été pendant des années d'oppression israélienne  des Palestiniens.
 Manifestation à Amman, Jordanie, le 28 janvier 2011
Manifestation à Amman, Jordanie, le 28 janvier 2011(Reuters/Muhammad Hamed) 
Quant à la Jordanie, le changement est déjà en cours. J'ai été témoin  d'une manifestation de milliers de gens au centre ville d'Amman hier.  Ces protestations bien organisées et pacifiques, appelées par une  coalition de partis d'opposition islamiques et de gauche, ont lieu  maintenant depuis des semaines dans toutes les villes du pays. Les  manifestants demandent la démission du Premier ministre Salir al-Rifai,  la dissolution du parlement élu lors d'élections largement considérées  comme truquées en novembre, de nouvelles élections basées sur des lois  démocratiques, la justice économique, la fin de la corruption et  l'annulation du traité de paix avec Israël. Et il y a eu des  manifestations fortes en solidarité avec la population égyptienne.
Aucun des partis organisateurs de la manifestation n'a appelé à ce que  le même type de révolutions que celles qui ont lieu en Tunisie et Egypte  n'arrive en Jordanie, et il n'y a pas de raison de croire que de tels  développements soient imminents. Mais les slogans entendus pendant les  protestations sont sans précédent dans leur audace et leur défi direct  de l'autorité. Tout gouvernement réactif aux vœux de son peuple devra  revoir ses relations avec Israël et les Etats-Unis.
Une seule chose est sûre aujourd'hui : quoiqu'il arrive dans la région, la voix des peuples ne peut plus être ignorée.
(
1) "
Without Egypt, Israel will be left with no friends in Mideast," 
Ha'aretz, 29 janvier 2011 (en anglais)
(
2) "
The Palestine Papers and the "Gaza coup"," par Ali Abunimah, 
The Electronic Intifada, 27 janvier 2011 (en anglais)