dimanche 26 décembre 2010

Requête auprès de la Haute Cour de Justice

publié le samedi 25 décembre 2010
Raji Sourani

 
Le PCHR représente plus de 1 000 victimes de l’Opération Plomb Durci. Ces personnes, qui ont réellement souffert de l’ensemble du spectre des violations de leurs droits – des meurtres ou blessures sauvages aux destructions de leurs maisons ou lieux de travail –ont le droit à la justice.
Sans justice, qu’avons nous pour empêcher que ce qui s’est passé à Gaza ne survienne de nouveau ?
Toute la réalité de la vie dans la Bande de Gaza est difficile à transmettre. Partout dans le monde, chacun a vu les photos, les images : combats et mutilation, attaques aériennes et bombardements au sol, et l’horrible spectacle, ineffaçable dans nos mémoires, du phosphore blanc pleuvant sur la ville de Gaza. Cependant, derrière ces images, se trouve une réalité complexe. Les habitants de Gaza vivent sous occupation depuis plus de 40 ans. Ils subissent une punition collective depuis le 15 juin 2007, coupés du monde extérieur depuis 1 285 jours consécutifs (15 juin – 20 décembre). La violation constante de la législation internationale des droits de l’Homme a installé une pauvreté abjecte, et a transformé environ 1,7 million de personnes en « bénéficiaires » de l’aide internationale, contraints à la dépendance dans une crise humanitaire crée par l’Homme, et parfaitement évitable.
La législation internationale pour les droits de l’Homme, et le droit humanitaire international permettent d’assurer à chaque individu les protections essentielles sur la base de leur humanité commune. Cependant, pour qu’elles aient un sens, ces lois doivent être contraignantes.
C’est une composante de base : dans le cadre d’une infraction, l’établissement d’un rapport et le recours judiciaire sont des suites primordiales. Le droit international coutumier, liant tous les Etats, reconnaît que ces rapports doivent être instruits en responsabilité pénale, grâce à des enquêtes et des poursuites, et en responsabilité civile, par le versement d’indemnités.
C’est pour ce droit à compensation financière que le PCHR se bat aujourd’hui. Dans le climat actuel, étant donné la partialité au sein du système judiciaire israélien , l’indemnisation est un des seuls espoirs pour arriver à une forme de justice. D’une grande importance, cette indemnisation, bien qu’insignifiante en comparaison des pertes endurées, est essentielle pour les victimes qui tentent de reconstruire leurs vies et leurs maisons.
Ce droit est complètement nié par les autorités israéliennes.
Israël impose un délai de prescription de 2 ans pour le dépôt de plaintes civiles. Vu le nombre de violations commises dans le seul cadre de l’offensive sur la Bande de Gaza entre le 27 décembre 2008 et le 18 janvier 2009 (opération plomb durci), ceci devient une charge insurmontable pour les représentants juridiques des victimes. Jusqu’à la deuxième intifada, le délai de prescription était de 7 ans.
Ensuite, et comme une exigence qui enfonce le dernier clou dans le cercueil du respect du droit à réparation, le tribunal impose une taxe (ou caution) à chaque requérant, avant qu’un dossier puisse passer. Il n’y a pas de montant fixe pour cette taxe, elle est laissée à l’appréciation de la cour. Néanmoins, elle représente un obstacle financier significatif, généralement supérieur à 10 000 shekels, et souvent beaucoup plus. Dans un dossier présenté par le PCHR, les requérants se sont vus demander de payer 20 000 shekels pour chacune des cinq personnes décédées mentionnées dans le dossier. Ce qui produit ce scénario bizarre, mais trop réel, selon lequel plus l’infraction est grave, plus l’obstacle financier est élevé. Les victimes palestiniennes sont tout simplement dans l’impossibilité de réunir de telles sommes d’argent, et on leur balance le dossier ainsi clos à la figure. Cette taxe est complètement discrétionnaire. Elle n’est pas obligatoire. Dans la pratique, elle est toujours demandée aux plaignants palestiniens.
En plus de tout ça, il y a la réalité du bouclage. Nos avocats au PCHR ne peuvent se rendre en Israël pour représenter nos clients, nous sommes donc contraints de traiter avec des avocats en Israël. Pourtant, ces avocats ne peuvent non plus venir à Gaza pour rencontrer les clients, et les clients ne peuvent aller en Israël pour les rencontrer. De plus, depuis juin 2007, l’administration militaire israélienne a refusé le droit aux Palestiniens concernés par une affaire civile de se présenter au tribunal, malgré la délivrance d’un mandat du tribunal. Cela a pour conséquence la révocation effective des dossiers, et le complet déni de justice .
PCHR représente plus de 1 000 victimes de l’Opération Plomb Durci. Les quelques 500 dossiers rédigés en leur nom constituent l’écrasante majorité des dossiers établis suite à l’Opération Plomb Durci. Ces personnes, qui ont réellement souffert de l’ensemble du spectre des violations de leurs droits – des meurtres ou blessures sauvages aux destructions de leurs maisons ou lieux de travail –ont le droit à la justice. Ils méritent d’être entendus par un tribunal.
Depuis mars 2009, date à laquelle la dernière notification a été soumise au Ministère de la Défense, nous avons été systématiquement ignorés. Malgré la réitération de nos demandes, le PCHR n’a reçu que des réponses interlocutoires –sans aucune information- en ce qui concerne 23 dossiers.
Le 20 décembre, Le PCHR et l’avocat Michael Sfard, ont déposé une requête auprès de la Haute Cour de Justice Israélienne, demandant que les droits de ces victimes à un recours juridictionnel soit confirmé. Notre requête est simple : que le délai de prescription soit différé, que les victimes de l’Opération Plomb Durci bénéficient au moins de la possibilité de présenter leur dossier devant un tribunal [1].
Si la cour rejette ce postulat, cela fermera la porte de la justice pour toutes les victimes de l’Opération Plomb Durci.
La primauté du droit est une chose que nous respectons et qui nous est chère. Mais c’est une vérité qui va de soi qu’afin d’être pertinente, la loi doit être contraignante. L’absence de justice a pour résultat la désastreuse situation à laquelle nous faisons face aujourd’hui, par la violation systématique des droits humains fondamentaux, et par l’enfermement de la Bande de Gaza. Sans justice, qu’avons nous pour empêcher que ce qui s’est passé à Gaza ne survienne de nouveau ?
Derrière les portes fermées de la Bande de Gaza, c’est notre humanité partagée qui nous garde reliés au monde extérieur. Nous demandons que nos droits humains soient respectés et protégés. Nous demandons que la communauté internationale ne reste plus silencieuse, qu’elle exerce son influence au nom des libertés fondamentales et de la justice.
Raji Sourani est le directeur du Centre Palestinien pour les Droits de l’Homme. Il a reçu le prix Robert F. Kennedy pour les Drots de l’Homme, et il a été deux fois déclaré « Prisonnier de conscience » par Amnesty International ». Il est actuellement Vice-Président de la Fédération Internationale des Droits de l’homme (FIDH) Paris, et participe au comité exécutif de la Commission Internationale des Juristes (ICJ) Genève.
traduction : Marie-Josée Simon
Intro et ajout de note : CL, Afps