dimanche 26 décembre 2010

Noël à Jérusalem : récit de Leila Shahshahani

Publié le 25-12-2010

Les 70 militants français partis en Palestine à l’occasion de Noël pour manifester leur solidarité face aux habitants de Jérusalem expulsés, face à l’annexion galopante par Israël de milliers d’hectares de terres palestiniennes en Cisjordanie, conduisent à bien leur mission, à l’initiative d’EuroPalestine qui a répondu à l’appel lancé par 14 organisations palestiniennes. Celles-ci demandaient aux Internationaux d’être à leurs côtés dans cette période de réjouissances pour de nombreuses personnes dans le monde, tandis que les Palestiniens affrontent les expulsions, les arrestations, la construction de murs qui les privent de leurs terres, et un enfermement dans des ghettos toujours plus restreints. Leila Shahshahani, l’une des participantes, relate les deux premières journées passées à Jérusalem. Photos et vidéos suivront dans de prochains articles sur ce site, montrant notamment comment ces militants ont participé à la résistance populaire non violente de Al Walaja, près de Béthléem le jour de Noël, après l’arrestation de 7 Palestiniens, qui ont finalement été relâché par l’armée israélienne.
"Noël en Palestine : la colonisation de Jérusalem
21 décembre
Ce matin, nous avons retrouvé les personnes de notre groupe dans un couvent à l’extérieur de la vieille ville. C’est là que nous logerons pour les trois prochaines nuits. Beaucoup de participants sont épuisés après une ou plusieurs nuits dans les aéroports à cause des retards dus aux récentes chutes de neige. A cause surtout du stress du passage de la "sécurité", que certains ont durement éprouvé moyennant 7h d’interrogatoire (profil arabe oblige). Olivia Zemor, Présidente d’Europalestine et coordinatrice du voyage au niveau français, a été arrêtée à l’aéroport Ben Gourion, et expulsée en France après de longues heures en détention. Ce soir, plusieurs autres ne sont pas encore arrivés, et nous croisons les doigts pour qu’ils n’aient pas été refoulés. Une autre amie de Grenoble nous a rejoint, après avoir elle aussi subi un bon interrogatoire et l’obligation de signer une déclaration certifiant qu’elle ne se rendrait pas dans les Territoires occupés.
Pour nous tous, mentir est difficile et renverse les rôles. Nous devenons des personnes qui ont quelque chose a cacher, alors que le droit est de notre côté, l’occupation des territoires étant illégale au regard du droit international.
Aujourd’hui, nous avons visité différents quartiers de Jérusalem en compagnie de Jeff Halper, directeur et fondateur de l’ICAHD (Israeli committee against house demolitions), une organisation israélienne créée en 1997 pour résister à l’expulsion des Palestiniens et à la destruction de leurs maisons.
Avec l’aide de nombreux volontaires israéliens, palestiniens et internationaux venus des quatre coins du monde, ICAHD aide à rebâtir des maisons détruites par les bulldozers israéliens. « Il ne s’agit pas de notre part de faire une action humanitaire mais un acte politique », insiste Jeff Halper.
Dans le quartier d’Anata, situé à quelques kilomètres de Jérusalem et encerclé par le mur, nous visitons la maison de la famille Shawamreh, détruite à quatre reprises entre 1998 et 2003. Baptisée « Centre de paix », elle est aujourd’hui devenue un lieu d’accueil pour les visiteurs étrangers. Salim, le père de famille, nous raconte son parcours kafkaïen pour tenter d’obtenir un permis de construire, systématiquement refusé aux Palestiniens pour des raisons toutes aussi absurdes les unes que les autres.
Au final, les Palestiniens doivent se résoudre à quitter leur terre, ou à construire en enfreignant la loi israélienne. Aujourd’hui, plus de 15000 maisons à Jérusalem ont reçu un ordre de démolition, faisant peser une véritable épée de Damoclès sur des milliers de familles palestiniennes. Les enfants et la femme de Salim ont été traumatisés par les démolitions successives de leur maison, accomplies dans la violence.
Nous rencontrons les Palestiniens du « Bustan Committee » dans le quartier arabe de Silwan, dans la partie est de Jérusalem. Ils nous reçoivent sous une tente, menacée de destruction. Eux aussi résistent au quotidien contre la réquisition de leurs maisons. Une soixantaine est déjà passée aux mains des colons, et 88 sont sous le coup d’un ordre de démolition. A l’oeil, une implantation de colons se reconnaît à son drapeau israélien planté au-dessus de l’habitat, et aux boîtes aux lettres devant la maison. Le prétexte religieux (il y a 2000 ans, cette terre appartenait aux juifs et leur revient) est utilisé à des fins politiques : l’expansion du territoire de l’Etat hébreux. Les Palestiniens de Silwan, dont certains sont là depuis de multiples générations, ont proposé à la municipalité de Jérusalem de créer un jardin autour de leurs maisons, dans lequel les Juifs pourraient venir se promener sur ce lieu chargé de sens. « La municipalité a refusé toutes nos offres », raconte l’un d’eux. « Ce qu’elle veut, c’est que nous quittions les lieux ». Régulièrement, des enfants et adolescents palestiniens sont enfermés, parfois plusieurs mois, pour avoir jeté des cailloux. « Nous avons préparé des chaînes pour nous attacher à nos maisons s’il le faut, et même nos linceuls », conclut l’un d’eux.
Monseigneur Jacques Gaillot, en compagnie des membres du Comité de Bustan, dans le quartier de Silwan. Avec les bombes lacrymogènes de l’armée israélienne à ses pieds.
Manif avec les habitants de Silwan, pour protester contre les expulsions de Palestiniens
Le refus de tout permis de construire aux Palestiniens entraîne une baisse du nombre de logement disponibles, beaucoup craignant de voir leur maison démolie avant même d’avoir pu y vivre. La pression foncière fait donc monter les prix et oblige de nombreux Palestiniens à quitter Jérusalem pour aller se loger plus loin en périphérie. « Lorsqu’un Palestinien quitte la ville, il perd automatiquement son statut de résident israélien et ne peut plus revenir y vivre ni même y travailler », explique Jeff Halper. C’est une technique de plus pour éloigner les Palestiniens de Jérusalem.
Nous faisons une halte au pied du mur dans le quartier arabe de Jérusalem est. Ici, le mur montre son absurdité dans toute sa splendeur. Il ne sépare pas les Israéliens des Palestiniens mais séparent les Palestiniens entre eux, contribuant à leur isolement. « Les raisons sécuritaires pour la construction de ce mur sont un prétexte », explique Jeff Halper. « Sa véritable raison d’être est l’annexion continue de terres palestiniennes ». Nous découvrons aussi un nouveau type de mur qui sépare une route en deux dans sa longueur. Les Israéliens roulent d’un côté de ce mur, les Arabes de l’autre. « Même les Sud-africains n’avaient pas pensé à séparer les conducteurs », ironise Jeff Halper. Ce mur n’existait pas lors de mon voyage en août 2009, il vient de sortir de terre.
Nous faisons un petit tour dans la vaste colonie de Maale Adumin, située en Cisjordanie non loin de Jérusalem. Son extension en direction de Jérusalem va sectionner encore davantage ce qu’il reste des Territoires palestiniens. Tout alentour est désertique, mais ici, tout est vert et fleuri ; il y a quatre piscines de taille olympique et un parc aquatique est en construction. Il sera baptisé « Parc de France », en remerciement à ses financeurs français. A quelques kilomètres de là, les Palestiniens sont rationnés en eau, sur leur propre territoire. « La plupart des Israéliens vivant ici n’ont pas conscience d’être des colons », explique Jeff Helper. Le gouvernement les a encouragés à s’y installer à coup de fortes aides financières. A la différence des colons extrémistes d’Hébron, motivés par des considérations idéologiques et religieuses, ceux-là recherchent juste un meilleur cadre de vie ». Ainsi progresse la colonisation. Jeff nous explique que les mots « colons », « colonies » ou « occupation » ne font pas partie du vocabulaire hébreux. On parle de « résidents des communautés de Judée et Samarie ». On mentionne aussi des voisins « arabes », perçus comme une menace, mais en aucun cas des « Palestiniens ». Les nommer, c’est reconnaître leur existence...
Par Leïla Shahshahani
22 décembre
Pour rencontrer nos hôtes palestiniens, organisateurs du programme de la semaine, nous avons dû passer de l’autre côté du mur, en Cisjordanie, beaucoup d’entre eux étant interdits d’entrer à Jérusalem. Dans une salle de l’auberge de jeunesse (YMCA) de Beit Sahour, un petit village proche de Bethléem, ils nous ont présenté les grandes lignes du programme des jours à venir. Les militants de l’organisation Chrétiens bâtisseurs de paix (Christian peacemaker teams), de diverses nationalités, étaient là aussi, pour nous parler de leur travail sur place. Leur objectif est de soutenir les Palestiniens dans leur combat pacifique et de faire connaître ce combat dans leur pays d’origine respectifs. Ils présentent les consignes du « manuel du militant non-violent », que beaucoup d’entre nous commencent à connaître un peu. L’essentiel est de garder en tête que nous sommes là pour les Palestiniens, et que nous devons agir en fonction de ce qu’ils estiment utile. Se rappeler aussi que le seul risque que nous courrons, en tant qu’étrangers, c’est l’expulsion avec interdiction de retour sur le territoire (au pire une brève arrestation). Eux (et leurs familles) risquent un emprisonnement à durée indéterminée, et un harcèlement quotidien de la part de la police, que la plupart, déjà connus des services de « sécurité » israéliens, subissent déjà au quotidien. Pour autant, nous sommes là pour manifester notre mécontentement et condamner la politique d’Israël, c’est aussi ce qu’attendant de nous les Palestiniens. Difficile de trouver le juste équilibre.
Le retour à Jérusalem fut plus compliqué que la sortie matinale. Sur les deux bus, l’un d’entre eux, dans lequel nous nous trouvions, a été arrêté au checkpoint. Le règne de l’arbitraire. Nous avons dû en descendre et traverser le poste à pied, en franchissant ces sordides tourniquets avec d’autres Palestiniens, dont c’est le sort quotidien. Le tout a duré environ une heure. Et toujours cette même sensation d’être une vulgaire pièce de bétail...
En début d’après-midi, nous avons été accueillis dans la cour extérieure du siège de la Croix Rouge de Jérusalem. Là, nous avons rencontré des parlementaires palestiniens élus lors des élections législatives de 2006, reconnues transparentes et démocratiques par tous les observateurs internationaux. Ils sont réfugiés ici, sous l’égide de la Croix Rouge, depuis 175 jours, menacés d’expulsion par Israël pour avoir manqué de loyauté envers l’Etat hébreux.
Ces hommes-là, bien qu’élus dans leur municipalité de Jérusalem est, ont été emprisonnés à la suite des élections, pendant trois ans et demie. Le même sort à été réservé à 45 députés et 20 membres du gouvernement palestinien. Raison réelle de leur mise au ban : leur appartenance au parti « changement et réforme », rattaché au Hamas, pourtant entré dans le jeu politique institutionnel depuis 2006. Pour la Croix Rouge, qui leur fournit des chambres, la situation est inédite, d’autant plus que la neutralité fait partie des principes fondamentaux de cette institution. Les trois hommes se sont réfugiés ici un mois après l’assaut meurtrier d’Israël sur la flottille humanitaire en route pour Gaza. « L’armée israélienne pourrait venir nous arrêter ici, mais après le drame de la flottille, elle se passerait sans doujte volontiers d’un autre scandale », explique Muhammad M. Abu Tier, l’un des parlementaires. « Notre seul ennemi est l’occupation, en aucun cas les autres religions, avec lesquelles nous pouvons cohabiter », ajoute-t-il. « le Président de l’autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a dit qu’il ferait son possible pour éviter notre déportation, mais pour le moment, les choses n’ont guère évolué », conclut-il.
Nous nous rendons ensuite dans le quartier arabe de Sheikh Jarrah où, comme à Silwan, les expulsions de maisons vont bon train, au profit des colons juifs. Nous rencontrons une famille forcée de vivre dans un bâtiment inachevé, totalement délabré, dans des conditions déplorables. 33 familles vivent ici dans les mêmes conditions. Leurs maisons d’origine, autrefois située à l’intérieur des frontières de Jérusalem, a été classée en dehors de la zone de la municipalité. En y restant, les membres de ces familles auraient perdu leur carte de résident de Jérusalem (la fameuse « blue card ») et donc, le droit de pouvoir y travailler.
Ce soir, nous apprenons l’arrestation de Mazin Qumsiyeh, responsable du YMCA où nous nous étions réunis le matin même à Beit Sahour. Nous apprendrons par la suite que sept autres Palestiniens ont été arrêtés avec lui, tous leaders du mouvement de la résistance populaire non-violente, notamment dans le village de Al Walaja.
Photos de Jean-Christophe Peres
CAPJPO-EuroPalestine