jeudi 25 novembre 2010

Une « stratégie » de renoncement

publié le mercredi 24 novembre 2010
Jean-Paul Chagnollaud

 
Encore quelques années et cela fera près d’un siècle que les Palestiniens sont en quête d’un État…
Dans les années 1920, au début du mandat britannique, leur lutte se focalise sur une revendication : un État sur toute la Palestine. Malgré la prégnance du panarabisme alors dominant, cette lutte s’affirme d’autant plus qu’elle se nourrit de la confrontation avec le mouvement sioniste qui, lui aussi, veut un État sur cette terre. Mais cela ne dure pas. Au lendemain de la grande révolte de 1936, à la fois apogée et crépuscule de cette phase nationaliste, la Palestine devient une question arabe. Cette période de violentes confrontations se termine en 1938-1939 par une terrible répression qui déstructure pour longtemps le mouvement. Lorsque survient la guerre de 1948, il n’y a plus personne pour parler au nom des Palestiniens. Leur territoire disparaît sous Israël, tandis que la Cisjordanie est annexée par la Jordanie et que Gaza passe sous administration égyptienne.
En 1964, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) est créée par le président égyptien Gamal Abdel Nasser, qui entend tout contrôler. La charte de cette nouvelle organisation ne fait aucune référence à un État palestinien. C’est dans ce contexte difficile que le Fatah de Yasser Arafat défend une approche différente, fondée sur l’affirmation de l’identité palestinienne. Celle-ci s’impose au lendemain de la défaite historique des armées arabes en 1967. Dès 1968-1969, le Fatah prend le pouvoir au sein de l’OLP et fait adopter une nouvelle charte dans laquelle le peuple palestinien « affirme son droit à l’autodétermination et à la souveraineté sur son pays » . Le choix stratégique devient la revendication d’un État démocratique sur toute la Palestine, au sein duquel « juifs, chrétiens et musulmans vivraient en paix et jouiraient des mêmes droits » .
En 1974, après une série de lourdes épreuves, l’OLP infléchit sa stratégie pour proclamer sa volonté « d’édifier un pouvoir national indépendant (…) sur toute partie de la terre palestinienne libérée ». C’est un tournant majeur. L’OLP, dès lors, est prête à négocier. Un tournant consacré par la proclamation en 1988 de l’État palestinien qui fait référence aux résolutions des Nations unies et notamment à la 242. C’est sur la base de cette stratégie des deux États que, quelques années plus tard, s’engagent à Oslo des négociations avec Israël. Après avoir suscité bien des espoirs, ce processus se délite et se perd dans la seconde Intifada et la brutale répression qui s’ensuit.
Au début des années 2000, le premier ministre israélien Ariel Sharon et le président américain George W. Bush récusent Yasser Arafat comme interlocuteur pour ne laisser place qu’à un pur rapport de force permettant à Israël de s’imposer davantage. Quand des esquisses de négociations resurgissent, chacun sait qu’elles n’ont aucune chance d’aboutir.
Dans une telle situation, la stratégie des deux États apparaît à beaucoup de Palestiniens comme obsolète. Car, sur le terrain, l’emprise israélienne se renforce chaque jour. L’armée contrôle tout. Les colons, de plus en plus nombreux (500 000, Jérusalem-Est inclus), s’installent presque partout. Les colonies sont sans cesse en expansion. Le mur déchire le territoire palestinien en de multiples coupures infranchissables et préfigure de nouvelles annexions. Il ne reste plus aux Palestiniens que quelques morceaux de territoires, séparés les uns des autres, rendant de plus en plus improbable la création d’un État viable.
Alors, comme pour s’échapper de cette réalité oppressante, certains en reviennent à l’idée d’un seul État sur toute la Palestine, même s’ils savent qu’elle est inacceptable pour les Israéliens. Un État démocratique où les Palestiniens auraient toute leur place, d’autant plus que, d’ici un an ou deux, ils pourraient être majoritaires sur le territoire de la Palestine mandataire, du Jourdain à la Méditerranée. Déjà en 2009, l’équilibre démographique était pratiquement atteint : la population juive compte 5 634 000 personnes, tandis que les Palestiniens sont environ 5 463 000, dont 1 513 000 en Israël, 1 500 000 à Gaza, 250 000 à Jérusalem-Est et 2 200 000 en Cisjordanie.
Dans les années 1960, cette thèse avait toute la force d’une utopie mobilisatrice. Aujourd’hui, dans une configuration désespérante, elle n’est plus que l’habillage théorique d’un renoncement. Pour que ce constat ne se transforme pas en destin, il est essentiel de continuer à défendre la stratégie d’un État palestinien à côté d’Israël. "Sur le terrain, l’emprise israélienne se renforce chaque jour. L’armée contrôle tout. Les colonies sont sans cesse en expansion."
Jean-Paul Chagnollaud, professeur des universités, directeur de la revue « Confluences Méditerranée »
publié par la Croix
ajout de note : CL, Afps