mercredi 27 octobre 2010

A Silwan, colons et Palestiniens à couteaux tirés

publié le mardi 26 octobre 2010
Serge Dumont

 
Les services secrets israéliens estiment qu’une troisième intifada pourrait éclater dans ce quartier de Jérusalem-Est, situé entre le mont des Oliviers et les murailles de la vieille ville. Reportage
« J’ai cru qu’ils allaient me tuer. » Agé de 10 ans, Muslem Oudah est désormais connu dans toute la Cisjordanie. Parce que ce jeune habitant de Silwan, un quartier arabe de Jérusalem-Est, a été filmé alors qu’il lançait des pierres sur la voiture d’un colon juif. Et parce qu’une unité spéciale de la police israélienne a déboulé à son domicile en pleine nuit, arme au poing, pour l’arrêter comme s’il était un dangereux terroriste.
Relâché après avoir passé trois jours dans une cellule sans confort, le gamin est assigné à résidence en attendant son procès. Mais il n’est pas le seul dans ce cas puisqu’une vingtaine d’autres enfants de Silwan sont eux aussi cités à comparaître devant un juge.
Connu sous le nom de Siloé dans la Bible, le quartier de Silwan (60 000 habitants palestiniens et 500 colons juifs) est l’un des plus vieux de Jérusalem. Il se situe entre le mont des Oliviers et les murailles de la vieille ville. Depuis que la municipalité a annoncé son intention de raser 88 immeubles palestiniens pour créer un parc touristique, les jeunes Palestiniens caillassent les véhicules portant une plaque israélienne. Y compris ceux des journalistes et des gardes-frontière, l’équivalent local de la gendarmerie.
Mais leurs cibles de prédilection sont les colons de Beit Yonatan, un immeuble transformé en casemate, et ceux peuplant un bloc de maisons acquises à prix d’or grâce à l’organisation d’extrême droite Elad. Le 8 octobre, David Beeri, le président de ce mouvement, a été filmé alors qu’il fonçait en voiture sur un lanceur de pierres âgé de 12 ans. Ce dernier a volé au-dessus du toit de la Mazda mais il s’en est sorti indemne.
« C’était un traquenard car de nombreux photographes étaient sur place pour saisir l’incident sur le vif, plaide le colon. Par cette mise en scène, les Palestiniens veulent nous présenter comme des monstres et vous faire oublier que le palais du roi David se trouvait ici bien avant eux. »
« Avant 1990, il n’y avait aucun juif à Silwan mais ils ont décidé de nous en expulser et ils nous traitent comme des chiens, riposte Amaran Abou Nasser, un Palestinien résidant près de Beit Yonatan. Souvent leurs gardes privés tirent sur nous. Sans sommation ni discernement. » De fait, le 22 septembre, un Palestinien jugé « menaçant » a été abattu en pleine rue par un vigile. La police de Jérusalem a refermé le dossier le lendemain au prétexte que la victime se promenait avec un tournevis en poche et que le garde qui l’a tué « a agi en état de légitime défense ».
Contrairement aux « nouveaux quartiers » de Jérusalem où les projets immobiliers se multiplient, personne ne construit à Silwan. Les colons s’installent dans des maisons palestiniennes existantes et souvent acquises par des moyens douteux. Résultat ? L’ambiance est devenue électrique et les analystes des services de renseignement de l’Etat hébreu estiment d’ailleurs que c’est à Silwan que pourrait éclater la troisième intifada si les négociations de paix entre Israël et l’Autorité palestinienne devaient rester dans l’impasse.
Situées en plein milieu du quartier, les implantations de Beit Yonatan (huit familles) et d’Elad (près de 50) sont protégées 24 heures sur 24 heures par des caméras et par des hommes armés. Lorsque ces colons vont faire leurs courses dans la partie juive de Jérusalem, ils sont accompagnés de vigiles armées circulant en jeep et déboulant en trombe dans les ruelles de Silwan.
C’est également à Silwan que se trouve la plus petite colonie des territoires occupés. Créée en 2005, Beit Dvach (la « maison du miel ») ne compte qu’une seule famille protégée par une dizaine de vigiles armés. Les membres de cette milice sont principalement des étudiants ayant effectué leur service militaire dans les unités spéciales de Tsahal. « C’est un job bien payé », affirme l’un d’eux. « Personnellement, cela ne me dérange pas que les Arabes veuillent me cracher au visage tant qu’ils ne s’approchent pas de trop près. Autrement, ils savent ce qui les attend. »
Selon la presse israélienne, les organisations privées d’origine américaine soutenant la colonisation des quartiers arabes de Jérusalem (Sheik Jerrah, Silwan, Abou Tor) dépensent 39 166 francs suisses par an et par colon pour assurer la sécurité de ces micro-implantations. « Le jeu en vaut la chandelle car selon la religion juive, la vie n’a pas de prix », assène David Beeri qui encourage ses amis philanthropes « à investir davantage dans le retour d’Israël sur ses terres ancestrales ».