vendredi 22 octobre 2010

Le risque de la paix au Proche-Orient, c’est que personne n’y croit

publié le jeudi 21 octobre 2010
Laurent Zecchini

 
M. Obama peut .. continuer à faire figurer dans son bilan l’illusion que les Etats-Unis ont remis le processus de paix sur les rails.
Barack Obama a remporté un petit succès au Proche-Orient, dont il espère un coup de pouce pour la seule échéance qui vaille : le 2 novembre, date des élections américaines de mi-mandat. Les Etats arabes les plus à l’écoute des voeux de Washington ont convaincu la Ligue arabe, le 8 octobre, d’accorder un mois de plus à l’administration américaine pour tenter de renouer le fil des négociations directes entre le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, et Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne.
M. Obama peut ainsi continuer à faire figurer dans son bilan l’illusion que les Etats-Unis ont remis le processus de paix sur les rails. C’est pour cela que George Mitchell, émissaire américain pour le Proche-Orient, n’a cessé ces dernières semaines de souligner les "progrès" enregistrés dans le cadre de sa médiation. La vérité, attestée par des négociateurs palestiniens et israéliens, est qu’il n’y en a eu aucun.
Depuis que les négociations directes ont été lancées, le 2 septembre, puis interrompues, le processus de paix a repris le registre d’une comédie diplomatique tissée de "dates butoirs", de "discours historiques", de "concessions sans précédent", au bout du compte de faux-semblants. M. Obama a trouvé en M. Nétanyahou un allié providentiel mais masqué : "Bibi" table sur le fait que, flanqué d’une majorité républicaine au Congrès, M. Obama sera obligé de lui laisser la bride sur le cou pour la colonisation de la Cisjordanie.
Pour tenter de faire perdurer le processus de paix, Washington a multiplié les largesses politiques et les garanties de sécurité envers Israël, mais M. Nétanyahou, poursuivant son avantage, en redemande. Il mène un jeu qui semble affranchi de toute vision historique : gagner du temps, durer, garder intacte sa coalition gouvernementale, gérer ses contraintes politiques.
Sa posture politique, utilisée par nombre de ses prédécesseurs, tient en peu de mots : négocier (avec les Palestiniens) toujours, ne conclure (la paix) jamais, et surtout préparer le terrain pour que le blâme d’une rupture des négociations retombe sur la partie palestinienne.
Le risque, c’est qu’un jour il n’y ait plus personne pour faire la paix. Les Palestiniens éprouvent une lassitude croissante, 66 % d’entre eux, selon les sondages, ne voulant plus entendre parler de négociations directes. Dans la jeune génération, la perspective d’un Etat palestinien indépendant relève aujourd’hui du mirage, dont la matérialisation n’est d’ailleurs plus forcément souhaitée. M. Abbas, à force d’avaler les couleuvres que lui servent Américains et Israéliens, de fixer des "lignes rouges" toujours franchies, offre un spectacle qui serait pathétique s’il disposait d’un "plan B" cohérent.
Mais l’Intifada a été un désastre pour la cause palestinienne. L’autre option, c’est le premier ministre, Salam Fayyad, qui la prépare, en bâtissant les fondations sur lesquelles, espère-t-il, la communauté internationale acceptera de reconnaître, aux Nations unies, un Etat palestinien indépendant.
Les Israéliens, de leur côté, ont-ils envie de paix ? Il y a quelques mois, seuls 8 % d’entre eux estimaient qu’un règlement de paix était le défi le plus urgent pour Israël. Il y a, dans la mentalité collective, une impression trompeuse de quiétude, presque d’invincibilité, fondée sur la puissance militaire, la prospérité économique et la certitude que le soutien de l’Amérique pour l’Etat juif est indéfectible.
Le credo d’Avigdor Lieberman, l’ultranationaliste ministre des affaires étrangères, selon lequel "au Proche-Orient, seuls les forts survivent", est à l’unisson des certitudes d’une part croissante de la société israélienne. Sous l’influence de cet allié qu’il juge incontournable, la politique de M. Nétanyahou tend irrésistiblement vers l’extrême droite : 69 % des Israéliens, indifférents au risque de dérive théocratique, sont d’accord pour obliger les candidats à la naturalisation à prononcer un serment de loyauté envers l’"Etat juif et démocratique".
Une majorité d’entre eux ne voit pas d’obstacle à limiter la liberté d’expression lorsque celle-ci est contraire aux intérêts de l’Etat. Plus d’un tiers des Israéliens et 68 % des ultraorthodoxes veulent interdire aux non-juifs le droit d’élire les membres de la Knesset. Yitzhak Herzog, ministre (travailliste) des affaires sociales, exagère-t-il en voyant dans cette évolution des "relents de fascisme", et les commentateurs qui voient se développer en Israël un "fascisme religieux" ne sont-ils que les gauchistes d’un "camp de la paix" en voie d’épuisement ?
Moshe Yaalon, vice-premier ministre, l’a dit sans ambages il y a quelques jours : aucun des sept ministres les plus influents du gouvernement Nétanyahou ne croit possible de conclure un accord avec les Palestiniens dans les années à venir. Israël, constate le ministre de la défense Ehoud Barak, est de plus en plus isolé dans le monde. A ce phénomène d’enfermement international s’ajoutent l’autisme grandissant d’une société israélienne indifférente à l’"autre", et une évolution politique de plus en plus ultranationaliste.
De quoi donner raison aux Cassandre, pour qui les chances de parvenir à une coexistence de deux peuples et de deux Etats dans la Palestine historique sont désormais infimes.