samedi 7 août 2010

Tony Blair doit être poursuivi

John Pilger, 5 août 2010

      Dans sa dernière colonne pour New Statesman, John Pilger parle du « crime de guerre suprême, » défini en 1946 par les juges de Nuremberg, et de sa pertinence dans le cas de Tony Blair, qui partage la responsabilité de l'invasion de l'Irak à l’origine de la mort de plus d’un million de gens. De nouvelles évolutions dans l’attitude politique internationale et nationale envers les crimes de guerre signifient que Blair est désormais le « Kissinger de Grande-Bretagne. »
      Tony Blair doit être poursuivi, pas traité avec indulgence comme Peter Mandelson, son mentor. Les deux ont produit des mémoires intéressés pour lesquels ils ont touché des fortunes. Ceux de Blair sortiront le mois prochain et il gagnera 4,6 millions de livres. Considérons maintenant la loi de Grande-Bretagne sur la poursuite des crimes. Blair a envisagé et mis en œuvre une guerre d'agression gratuite contre un pays sans défense, que les juges de Nuremberg ont décrite en 1946 comme un « crime de guerre suprême. » Selon des études scientifiques, elle a provoqué la mort de plus d'un million de gens, un chiffre au-delà de l’estimation de l'université Fordham sur le nombre de morts du génocide rwandais.
      De surcroît, quatre millions d'Irakiens ont été contraints de fuir leur foyer et la majorité des enfants sont tombés dans la malnutrition et la maladie. Le taux de cancer près des villes de Fallujah, Najaf et Bassora (le tout dernier « libéré » par les Britanniques), se révèle aujourd’hui plus élevé qu’à Hiroshima. Selon le ministre de la Défense Liam Fox, au parlement le 22 juillet, « Les forces britanniques ont utilisé environ 1,9 tonnes de munitions à l'uranium appauvri en 2003, dans la guerre en Irak. » Toute une gamme d’armes « antipersonnelles » toxiques, comme les bombes à fragmentation, ont été employées par les forces britanniques et zuniennes.
      Ce carnage a été légitimé par des mensonges qui ont été dénoncés à maintes reprises. Le 29 janvier 2003, Blair a déclaré au parlement, « Nous connaissons le liens entre Al-Qaïda et l'Irak... » Le mois dernier Eliza Manningham-Buller, l’ancienne chef du service de renseignement MI5, a déclaré à l'enquête dirigée par Sir John Chilcot, « Il n'y a aucun renseignement crédible suggérant ce lien... [c’est l’invasion] qui a donné à Oussama Ben Laden son djihad irakien. » Questionnée sur l’importance de l’exacerbation de la menace du terrorisme en Grande-Bretagne que cela a entraîné, elle a répondu, « Considérable. » Les attentats de Londres du 7 juillet 2005 étaient une conséquence directe des agissements de M. Blair.
      Des documents publiés par la Haute Cour montrent que Blair a autorisé l’enlèvement et la torture de citoyens britanniques. Jack Straw, ministre des Affaires étrangères à l'époque, a décidé en janvier 2002 que Guantanamo était le « meilleur moyen » pour assurer que les ressortissants britanniques sont « parfaitement détenus. »
      Au lieu de remords, Blair a manifesté une cupidité vorace et secrète. Depuis sa démission du poste de premier ministre en 2007, grâce surtout à ses liens avec l'administration Bush, il a amassé environ 20 millions de livres. Le Comité consultatif de la Chambre des communes sur les nominations à la tête des affaires, qui approuve les postes occupés par les anciens ministres, a été contraint de ne pas rendre public les contrats de consultant de Tony Blair avec la famille royale du Koweït et le géant pétrolier de Corée du Sud, UI Energy Corporation. Il gagne 2 millions de livres par an pour « conseiller » la banque d’affaires zunienne JP Morgan, et des sommes non révélées provenant de sociétés de services financiers. Il gagne des millions pour des discours, dont l’un lui aurait rapporté 200.000 livres en Chine.
      Dans son rôle bénévole mais fastueux en défraiements d'« envoyé de paix » de l'Occident au Moyen-Orient, Tony Blair représente en réalité une voix d'Israël, qui lui a décerné un « prix de la paix » d’un million de dollars. En d'autres termes, sa richesse a augmenté rapidement depuis qu'avec George W. Bush, il a lancé le bain de sang en Irak.
      Ceux qui ont collaboré avec lui sont nombreux. En mars 2003, le Conseil des ministres en savait beaucoup sur le complot visant à attaquer l'Irak. Jack Straw, nommé plus tard « ministre de la Justice, » a fait disparaître des procès-verbaux pertinents du Cabinet, au mépris d'un ordre de les rendre publics du Commissaire à l'information. Se levant tous ensemble pour saluer Tony Blair à sa dernière apparition aux Communes, la plupart de ceux qui sont actuellement en course pour la direction du Parti travailliste ont soutenu son épopée criminelle. En tant que ministre des Affaires étrangères, David Miliband a cherché à couvrir la complicité britannique à la torture, et a promu l'Iran comme prochaine « menace. »
      Des journalistes qui autrefois rampaient comme des exaltés devant Blair et amplifiaient ses tentatives vaniteuses, prétendent à présent l’avoir tout le temps critiqué. En ce qui concerne la duperie du public par les médias, à son grand honneur, seul David Rose de l'Observer a présenté ses excuses. Les révélations de Wikileaks, publiées avec un objectif moral de vérité et de justice*, ont été stimulantes pour un public gavé de force avec la complicité du lobby du journalisme. De célèbres historiens prolixes, comme Niall Ferguson, qui s’est réjouit du rajeunissement de l'impérialisme « éclairé » de Tony Blair, gardent le silence sur la « carence morale, » comme l’a écrit Pankaj Mishra, « [de ceux] payés pour interpréter intelligemment le monde contemporain. »
[* Ndt : Ce n’est peut-être pas si simple, puisque les révélations sont plus anodines pour le Pentagone qu’un bulletin météo. Par-dessus le marché, l’Iran serait désigné par certaines fuites comme sponsor des Talibans, et ce rôle serait aussi attribué à certains éléments du Pakistan. Bref, ces révélations ressemblent à une grossière manipulation sioniste, dont la plausibilité n’a aucune importante puisqu’il suffisait qu’elles soient formulées pour que ceux qu’elles arrangent puissent les privilégier comme la vérité, avec le public pour témoin.]
      Que Blair soit pincé, est-ce que cela restera un vœu pieux ? Tout comme le gouvernement Cameron comprend la « menace » d'une loi faisant de la Grande-Bretagne une escale risquée pour les criminels de guerre israéliens, un risque similaire, du moins d'être arrêté et interrogé, attend Blair dans un certain nombre de pays et territoires. C’est désormais le Kissinger de Grande-Bretagne, qui, avec les soucis d'un fugitif, a planifié longtemps son voyage en dehors de Zunie.
      Deux événements récents apportent du poids à cela. Le 15 juin, la Cour pénale internationale a pris la décision historique d’ajouter l'agression à sa liste de crimes de guerre à poursuivre. Elle l’a définit comme un « crime commis par un dirigeant politique ou militaire qui, de par sa nature, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste à la Charte [des Nations Unies]. » Des juristes internationaux l’ont décrite comme un « saut de géant. » La Grande-Bretagne est signataire du Statut de Rome qui a créé le tribunal, et elle est tenue par ses décisions.
      Le 21 juillet, debout à la télévision (despatch box) des Communes, le vice-premier ministre Nick Clegg a déclaré illégale l'invasion de l'Irak. Lors de cette toute dernière « clarification, » où il parlait personnellement, il a fait « une déclaration selon laquelle le tribunal international s’y intéresserait, » a déclaré Philippe Sands, professeur de droit international à l'University College London.
      Après avoir joui de son ascendance douillette, Tony Blair, qui est issu de la haute bourgeoisie de Grande-Bretagne, peut à présent réfléchir aux principes du bien et du mal que sa lignée exige de ses propres enfants. La souffrance des petits irakiens restera un spectre qui hantera la Grande-Bretagne pendant que Blair restera libre de profiter.

Original : www.johnpilger.com/page.asp?partid=583
Traduction copyleft de Pétrus Lombard

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