samedi 7 août 2010

L’impossible décision d’Abbas

Ramallah - 06-08-2010

Par Khaled Amayreh 
Le Président de l’Autorité Palestinienne Mahmoud Abbas est confronté à un dilemme politique croissant qui pourrait, selon certains observateurs, l’obliger à démissionner. Ce dilemme tient à l’impossibilité de trouver un équilibre entre la pression états-unienne intense en coulisses pour entamer des pourparlers de paix ouverts avec Israël, et la pression de la rue palestinienne, tout comme du propre parti Fatah d’Abbas, pour rester en dehors des discussions dans les circonstances actuelles, quel qu’en soit le coût.












Fresque murale dans le camp de réfugiés d’Aida, Bethléem. L’homme tient sa hayiyah (carte de réfugiés).
La plupart des Palestiniens pensent que se soumettre à la pression des Etats-Unis revient à capituler devant les exigences et les diktats israéliens. En début de semaine, le Président Obama a envoyé une lettre à Abbas pour lui dire que l’AP devait reprendre les pourparlers de paix avec Israël, ou en subir les conséquences. Pour la plupart des Palestiniens, il est clair que le mot « conséquences » fait allusion au retrait de l’aide financière versée par Washington, sans laquelle il est douteux que l’AP puisse survivre longtemps.
Les Etats-Unis versent à l’AP des centaines de millions de dollars par an, principalement pour payer les salaires des plus de 100.000 cadres militaires, et fonctionnaires. Pour la majorité des Palestiniens, payer ces salaires constitue la fonction principale, sinon la raison d’être, du régime de l’AP.
Saeb Ereikat, le négociateur de l’AP, a parlé avec une franchise inhabituelle de la « pression américaine » lors d’un entretien télévisé sur la chaîne Palestine TV de l’AP le 31 juillet. « Les Américains font le forcing pour nous faire entrer dans des discussions sans conditions préalables et ouvertes qui ne mèneront certainement nulle part. Le Président Abbas dit « Non », mais nous pourrions être incapables de tenir longtemps cette position sans un véritable soutien palestinien, arabe et islamique. »
Selon des sources dignes de foi à Ramallah, l’administration Obama aimerait voir l’AP rejoindre des pourparlers directs et virtuellement inconditionnels avec Israël sans que ce dernier ne remplisse aucune des conditions palestiniennes, y compris le gel de l’expansion coloniale juive et l’acceptation israélienne que l’éventuel Etat palestinien serait établi dans les frontières de 1967. Israël ne considère pas la Cisjordanie, la Bande de Gaza et Jérusalem Est comme des « territoires occupés », mais plutôt comme des « territoires disputés ».
A la Muqata (quartier général du gouvernement) de Ramallah, la plupart des responsables palestiniens considère la soumission à ces exigences américaines comme un suicide politique, non seulement pour Abbas mais pour le mouvement Fatah.
Selon l’analyste politique palestinien Hani Al-Masri, se lancer dans des discussions directes avec Israël en l’absence de garanties solides serait « une erreur gigantesque ».
Il a déclaré : « Je pense que la direction de l’AP s’embarquerait dans un suicide politique si elle acceptait de s’engager dans des pourparlers directs selon les conditions israéliennes, ou, plus correctement, les diktats israéliens. De tels pourparlers, même s’ils durent de nombreuses années, n’apporteront aucun résultat concret aux Palestiniens. Et il serait hautement naïf d’attendre [que] la communauté internationale, qui a totalement échoué à obliger Israël à geler l’expansion coloniale, à abandonner le butin de la guerre de 1967 et à mette fin à l’occupation de la Cisjordanie, de la Bande de Gaza et de Jérusalem Est. »
Al-Masri a suggéré que l’objectif principal des pourparlers directs était de dépouiller les négociateurs palestiniens de la dernière monnaie d’échange qui leur reste – le problème des réfugiés. « Il semble qu’il y ait la volonté [du côté de l’AP] de faire un compromis sur le problème des réfugiés en échange d’un éventuel Etat. Mais Israël veut liquider la cause des réfugiés sans mettre fin à l’occupation. Et surtout, Israël ne veut ni enlever les colonies, ni reconnaître le droit du peuple palestinien à l’autodétermination. 
L’écrivain palestinien, ancien confident d’Abbas, a exhorté la direction palestinienne à adopter une troisième position, à savoir refuser la pression des Etats-Unis. Il a argumenté qu’Abbas pourrait toujours contrer les Américains (Etats-Uniens, NdT), ainsi que la communauté internationale toute entière, avec le fait que la grande majorité du peuple palestinien, ainsi que le Mouvement Fatah, rejettent les conditions sous lesquelles on demande à l’AP d’entamer des discussions directes avec Israël.
« Dans tous les cas, il n’y a absolument rien qui justifie un « suicide politique » pour les beaux yeux d’Obama, le président dont l’administration ne nous a rien offert à part des fausses promesses et des paroles et des discours mensongers. »
On ne sait pas comment Abbas louvoiera maintenant pour son avenir et celui du peuple palestinien, naviguant dans des mers agitées, avec peu d’espoir de sécurité.
Dimanche, le comité exécutif de l’Organisation pour la Libération de la Palestine (OLP), l’organe décisionnaire palestinien le plus élevé, a réitéré son soutien à la position d’Abbas, à savoir qu’une reprise des discussions avec Israël devrait être basée sur une reconnaissance claire que la ligne d’armistice de 1967 serait la future frontière entre Israël et un futur Etat palestinien.
A la suite d’une rencontre à Ramallah, le responsable de l’OLP Yasser Abed Rabbo a dit que la position palestinienne devait insister sur le gel de l’expansion coloniale juive, en particulier à Jérusalem Est. « Sans de telles garanties, les pourparlers échoueront avant même d’avoir commencé. »
Abed Rabbo a ajouté que dans les prochaines semaines, d’autres délibérations auraient lieu et que le « panorama général » serait présenté au Comité Central de l’OLP pour prise de la décision finale. Abed Rabbo a décrit les garanties qu’Obama aurait offertes à Abbas comme « vagues, et ayant plus de forme que de fond. » « Soyons clairs, la reprise de pourparlers directs sans garanties et sans date limite ne fera que condamner ces pourparlers à revenir à un cycle vide et, finalement, à subir le même sort que les séries de discussions précédentes. »
Le soutien prévisible du Comité Central de l’OLP à la « fermeté » d’Abbas (c’est-à-dire son refus de reprendre les négociations avec Israël sans de solides garanties) pourrait renforcer la position d’Abbas vis-à-vis de l’administration Obama et/ou conduire à l’intensification de la pression des Etats-Unis sur le leader de l’AP. D’où la question que posent de nombreux Palestiniens : « Quelle route va prendre Abbas – celle d’apaiser Washington ou celle de satisfaire les aspirations du peuple palestinien ? »
Le Comité de Suivi de la Ligue Arabe, qui a donné à Abbas un « feu orange » pour revenir à des discussions directes avec Israël mais au moment de son choix, semble espérer que les Palestiniens réussiront à renvoyer la balle du proverbe dans le camp israélien. Cependant, la décision du Comité, qui a été interprété par certains intellectuels palestiniens comme une trahison de la direction de l’AP, semble avoir encore davantage affaibli la position palestinienne globale.
Une des expressions de cette trahison supposée est que le Comité n’a pas réussi à établir un lien clair entre la reprise des pourparlers avec Israël et les exigences palestiniennes quant au gel de l’expansion coloniale et aux autres questions traitant de ce que pourrait être le règlement de statut final.
Pendant ce temps, le Hamas a exhorté l’AP de refuser de se soumettre à l’intimidation états-unienne, qu’elles qu’en soient les conséquences. Le chef du bureau politique du groupe islamique, Khaled Meshaal, a dit lors d’un rassemblement à Damas dimanche que l’acquiescement officiel arabe à des discussions avec le régime sioniste était sans valeur. « La couverture arabe donnée à Abbas pour la reprise des pourparlers n’a aucune légitimité. Cette position a été imposée aux Arabes par Washington. »