jeudi 1 juillet 2010

Pourquoi cette obsession avec Israël et les Palestiniens ?

mercredi 30 juin 2010 - 06h:15
Robert Fowke - The Guardian
Je ne suis pas le seul à manifester un intérêt excessif à l’égard d’Israël ; mais pourquoi sommes-nous si nombreux à nous acharner sur ce conflit comme sur une énorme ulcération ? 
Je me considère comme un Anglais moyen, un peu centre- gauche sur le plan politique, mais je fais partie de la moyenne modérée. J’aime une bonne bière et une promenade dans la campagne. J’ai des goûts des plus banals.
Alors pourquoi, moi, qui suis si loin de cette région et qui reflète tellement l’image de mon propre pays, suis-je à ce point interpellé par le conflit israélo-palestinien ? À quoi tient mon intérêt disproportionné alors qu’il y a d’autres conflits dans le monde aussi déplaisants, voire pires ?
Je dévore les articles au sujet d’Israël-Palestine sur Comment is Free ; je consulte Haaretz, le Jerusalem Post, Al-Jazeera et d’autres sources. Quand la situation s’aggrave, j’en deviens accro. Pourquoi est-ce que je ne m’excite pas autant sur le Zimbabwe ? La Corée du Nord ? Le Soudan ? La Tibet ? La Birmanie ?
Je ne suis pas le seul. Les commentaires postés sur Internet par les partisans d’Israël, par les partisans de la Palestine et par des trolls des deux bords montrent qu’il y a des millions d’entre nous dans le monde, des millions et des millions, qui s’acharnent sur ce conflit comme sur la croûte d’une énorme plaie.
Qu’est-ce qui sous-tend un intérêt aussi passionné ? Peut-être suis-je antisémite ? Pour les sionistes, pratiquement tout ce que fait Israël est justifié, et ce doit être la première explication la plus plausible de l’intérêt que je porte au sujet. Si on limite la définition du mot antisémite à celle du Concise Oxford Dictionary et en ignorant toutes les acceptions auxquelles on étend actuellement de façon irresponsable le mot « antisémitisme », j’ai le droit de me poser une simple question : mon intérêt pour Israël provient-il de mon hostilité à l’égard des juifs ?
Serait-ce une horrible antipathie qui remonte à la surface de mes os européens chaque fois que l’on mentionne Israël ? Je suis bien obligé de me poser la question.
Mais si je vais dans les tréfonds de mon coeur, je ne peux honnêtement pas dire que je suis plus hostile à l’égard des juifs qu’à l’égard des Écossais et des Gallois. Et comme normalement, loin de leur être hostile, j’aime plutôt les Écossais, les Gallois et les juifs que je rencontre, l’antisémitisme peut difficilement être la raison de mon intérêt pour le conflit israélo-palestinien. Voilà une chose de réglée avant que je ne commence. Sorry.
Il y a toutefois un autre aspect de ma relation avec les juifs qui affecte de façon significative l’intérêt que je porte à Israël. J’ai beaucoup d’amis juifs. Je suis allé à l’école avec des garçons d’origine juive et par conséquent je ne considère pas les juifs comme des étrangers. Il serait aussi absurde de dire de mes amis juifs qu’ils sont étrangers que si je disais cela de mes amis quakers ; ils sont aussi Anglais que moi. Pour moi, c’est une catégorie religieuse et rien de plus, et avec raison.
Le problème c’est qu’Israël se targue d’être l’État de tous les juifs, y compris - malgré eux - celui de mes amis. Et parce que certains de mes amis sont juifs et que c’est par conséquent leur pays, il devient aussi le mien à un niveau subliminal. Il s’ensuit que j’ai une attitude spéciale à l’égard d’Israël - à savoir que je ne considère pas Israël comme un pays étranger non plus. Bien sûr qu’il est étranger, mais pas au niveau émotionnel comme la Thaïlande ou l’Ouzbékistan et je ne réagis pas à l’égard de ce pays comme je le fais à l’égard de la plupart des autres pays étrangers. Du point de vue émotionnel, c’est presque un comté anglais implanté sur les rivages de la Méditerranée.
Le statut non étranger d’Israël est amplifié du fait de l’appui extraordinaire dont il bénéficie dans les coulisses du pouvoir en Grande-Bretagne. Près de 80 % des membres du Parlement conservateur sont membres de l’association Conservative Friends of Israel. Ce n’est pas le cas des amis conservateurs de la Thaïlande ou de l’Ouzbékistan.
Donc, non seulement c’est en fait un comté anglais, mais bon nombre de mes dirigeants semblent compter parmi ses citoyens dévoués, dans le sens subjectif. Toutes ces disputes bruyantes au sujet de l’eau ou des colonies, toutes ces tueries, cette peur et cette haine, ne sont pas loin pour moi, ils ne sont pas plus loin que Belfast.
J’évalue donc la situation au moyen de normes nationales et non pas étrangères. Je ne compte pas que les Israéliens se comportent comme des généraux birmans. Je m’attends à ce qu’ils se comporteront comme des Anglais, comme mes amis.
Les partisans d’Israël se plaignent fréquemment et à grands cris de ce qu’on leur réserve une attention et des critiques spéciales. Qu’en est-il des méfaits de votre propre pays, ou de la Chine disent-ils ? Et ils ont raison. On réserve effectivement une attention spéciale à Israël. Par rapport à l’attention que nous portons aux Palestiniens, c’est à peine si notre regard s’attarde sur les Tibétains.
Le nombre de nouvelles dans les médias au sujet d’Israël-Palestine a créé un cycle qui se renforce lui-même - chaque nouvel article ou nouvelle tragédie aiguise mon appétit ; je veux en savoir davantage. Tout cela semblerait justifier les plaintes du lobby pro israélien - si ce n’est que celui-ci devrait se demander comment il y contribue lui-même.
Une raison pour laquelle Israël retient tellement l’attention tient au fait que ses partisans vocifèrent tellement, et reviennent à leur cause à chaque occasion. En tant que consommateurs de nouvelles, la rapidité de leur réaction et leur ubiquité manifeste enflamment mon intérêt et mon antipathie. Pourquoi est-ce qu’ils s’obstinent à défendre l’indéfendable ?
Une autre raison pour laquelle je porte un intérêt disproportionné à ce conflit tient au fait que j’ai le sentiment que l’on m’a menti et je vois que certains continuent à essayer de me mentir et je n’aime pas ça. Pourquoi essayer de me convaincre que les militants turcs à bord du Marvi Marmara étaient des terroristes ? Quoi qu’ils aient pu être, ils ne l’étaient manifestement pas. Si le mot « terroriste » doit avoir un sens quelconque, il faut qu’il désigne ceux qui attaquent des civils innocents. Dans l’intérêt de la propagande israélienne, il serait préférable de garder le silence plutôt que de mentir.
Je me souviens des années 60 lorsque je croyais qu’Israël était un petit État courageux, plein de kibboutz travaillant à dompter le désert. À l’époque, j’avais à peine entendu parler des Palestiniens. Ensuite j’ai découvert l’autre narration.
Mon objectif ici n’est pas de parler des torts et des raisons, mais de signaler que si Israël avait été dépeint dès le début comme étant issu de l’expropriation impitoyable des terres d’autrui (je sais, ce n’est pas que ça) la question aurait sans doute cessé de m’intéresser.
Mais comme on m’a dit combien Israël était héroïque et merveilleux et que j’ai découvert par la suite une histoire parallèle à tout le moins différente et plus dérangeante, cela me touche émotionnellement.
Quand je vois Benyamin Netanyahu et ses collègues présenter leur côté d’un événement, je ne vois pas des honnêtes hommes et j’ai la même réaction que devant des cambrioleurs et des escrocs : du dégoût et de la désapprobation. Et pourtant, ils refusent de la fermer.
Je ne suis sûr où tout cela nous mène, nous, ces millions qui nous acharnons sur cette plaie particulière. Le nombre incroyable de ceux qui s’intéressent si passionnément pour la cause est en soi dangereux. Les chiens doivent aboyer avant de mordre. Ce conflit relativement petit a un potentiel destructeur à une échelle colossale.
22 juin 2010 - The Guardian - Cet article peut être consulté ici :
http://www.guardian.co.uk/commentis...
Traduction : Anne-Marie Goossens
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