jeudi 1 juillet 2010

Ce feu est toujours au rouge

Par Jerrold Kessel et Pierre Klochendler (IPS News)
publié le mercredi 30 juin 2010.
SHEIKH SA’AD, Jérusalem-Est occupée, 25 juin 2010 (IPS)
Des feux de signalisation pour régler la circulation, mais pas de circulation du tout. En fait, des feux de signalisation... rien que pour les piétons. Et même eux se déplacent peu. Sortir de ce village (3 000 habitants) à pied est soumis à des restrictions.
Les 1 200 villageois détenteurs de papiers d’identité palestiniens n’ont aucun moyen de franchir la barrière pour quitter le village. C’est un privilège réservé aux 1 800 personnes qui ont une carte d’identité israélienne. Elles peuvent, en principe, franchir la barrière à pied. Mais même çà peut s’avérer difficile.
C’est que nous sommes dans l’arrière-cour de Jérusalem, l’arrière-cour de l’occupation de Jérusalem-Est par Israël.
À côté des feux de signalisation, il y a un panneau de fortune qui dit : "Passage des voitures autorisé uniquement quand le feu est au vert". Mais le feu est toujours au rouge.
Accrochées au poteau des feux de signalisation, d’autres couleurs flottent : le bleu-et-blanc du drapeau israélien. Le checkpoint est gardé par des policiers et policières des frontières israéliens, en tenue de combat de la tête au pieds.
Voilà [la vie] à Sheikh Sa’ad, littéralement pris entre marteau et enclume.
Le village se situe entre Wadi Nar, la profonde vallée biblique de Josaphat qui le borde sur trois côtés, et le mur de sécurité d’Israël à l’est. Un segment supplémentaire spécial de cette barrière coupe à travers Sheikh Sa’ad et empêche l’accès à la partie de Jérusalem occupée par Israël depuis 1967.
Il y a quelques années, Israël a construit le mur de sécurité pour tenir à l’écart les aspirants kamikazes palestiniens.
Depuis, les Palestiniens de Sheikh Sa’ad sont doublement enfermés. Ils sont à la fois isolés du reste de la Cisjordanie ; qui est sous le contrôle de l’Autorité Palestinienne, et de Jérusalem.
Même si le soulèvement palestinien de l’Intifadah s’est éteint, les barrières demeurent intactes.
Les gens d’ici sont toujours arbitrairement coupés du village voisin de Jabel Mukaber par la barrière. Contrairement à Sheikh Sa’ad, Jabel Mukaber relève entièrement de la juridiction municipale de Jérusalem-Est.
Les gens de Jabel Mukaber bénéficient des services que les autorités israéliennes de Jérusalem accordent aux Palestiniens de la partie orientale occupée de la ville. S’ils ont, eux, la carte d’identité israélienne, ce n’est pas le cas de leurs voisins de Sheikh Sa’ad.
Une décision de la Cour Suprême Israélienne en leur faveur n’a pas amélioré la difficile situation des habitants de ce village isolé.
En mars de cette année, la Cour a refusé leur requête, —déplacer de l’autre côté du village la partie supplémentaire de la barrière qui sépare Sheikh Sa’ad de Jabel Mukaber. Mais elle a en revanche décidé que les autorités israéliennes doivent autoriser aux résidents l’accès à Jérusalem 24 heures sur 24.
Mais le feu rouge est toujours là. Il ne passe pas au vert, même pour les ambulances ou les camions de pompiers. Fait absurde, la circulation des véhicules d’urgence doit être coordonnée à l’avance avec les autorités d’occupation israélienne.
Aucun véhicule commercial venant de Jérusalem n’est autorisé à franchir la barrière. Cela signifie que toutes les marchandises doivent être transportées à la main par ceux qui ont l’autorisation d’effectuer le trajet à pied.
Les bénévoles de l’ONG MachsomWatch (Surveillance des Checkpoints), groupe d’Israéliennes qui surveille les checkpoints, rapportent plusieurs incidents où des femmes enceintes et des enfants malades ont été retenus longtemps par les gardes-frontières israéliens. "Ils n’avaient absolument aucune raison de faire çà", a dit à IPS Shulamit, une des "observatrices". "J’ai vu des cas où les femmes n’étaient même pas autorisées à passer à pied. Elles étaient obligées de faire un énorme détour pour aller à l’hôpital en passant par la zone sous contrôle palestinien de la Cisjordanie, tout au bout du mur de sécurité. Çà prend des heures".
Ziad, qui habite Sheikh Sa’ad, raconte un autre cas où un villageois avait fait une crise cardiaque. "Nous avons appelé l’ambulance. Il lui a fallu longtemps pour atteindre le checkpoint. Même là, les gardes n’étaient pas disposés à la laisser passer. Un secouriste a demandé à traverser à pied. Les gardes ont même refusé çà. Finalement, on lui a dit qu’il pouvait passer tout seul, sans le matériel qu’il y avait dans l’ambulance. Quand le secouriste est enfin arrivé vers l’homme, il était déjà décédé."
Les habitants de Sheikh Sa’ad ont droit aux établissements de santé et d’éducation classiques, mais uniquement à ceux de Jabel Mukaber. Cela signifie qu’ils ne peuvent pas y accéder.
Certaines des maisons de Sheikh Sa’ad sont techniquement classées par Israël comme dépendantes de Jérusalem, comme faisant partie de la zone annexée il y a 43 ans. Les habitants sont donc redevables des taxes municipales. Mais ils n’ont en revanche pas le droit d’entrer en voiture dans la ville —leur propre ville d’après le registre des impôts israélien— pour aller payer ces taxes.
Voilà un mois, sous la pression, l’armée a finalement annoncé que les véhicules qui avaient le permis adéquat seraient autorisés à passer. Les habitants disent cependant qu’ils attendent toujours de voir le changement. Ils projettent de redéposer une requête au tribunal pour alléger leur isolement. D’après leur avocat, Nasser Iyyat, les autorités militaires n’ont pas cessé de tromper la cour : "Depuis mars et malgré la décision, aucun véhicule n’est autorisé à passer".
S’il est saisi de l’affaire, il est fort possible que le tribunal de grande instance se prononce à nouveau en faveur des Palestiniens, mais, comme si souvent par le passé, les autorités militaires pourraient bien trouver un moyen d’ajouter une raison "de sécurité" à leur liste pour être sures que cette décision de justice ne soit pas appliquée dans la pratique.
"Quelqu’un de l’appareil de la défense a clairement décidé de faire fi de [ce que dit] la justice, a écrit Avi Issacharoff dans Haaretz . "Où est la menace pour la sécurité ? Tout le monde se cache derrière la décision du tribunal. D’une certaine manière, cependant, on ne veut pas savoir ce qui se passe sur le terrain."
Tr. MC.
http://www.ipsnews.net/news.asp?idnews=51951
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