jeudi 1 juillet 2010

500 millions de dollars contre le Hezbollah

mercredi 30 juin 2010, par Alain Gresh
Jeffrey D. Feltman, assistant de la secrétaire d’Etat américaine et responsable du bureau des affaires du Proche-Orient, et Daniel Benjamin, coordinateur du bureau de lutte contre le terrorisme, ont témoigné devant une commission du Sénat le 8 juin 2010. Il s’agissait d’évaluer la force du Hezbollah.
Concluant leur témoignage, ils ont déclaré :
« Les Etats-Unis continuent de prendre très au sérieux les menaces que le Hezbollah fait peser sur les Etats-Unis, le Liban, Israël et l’ensemble de la région. Nous avons déployé de grands efforts diplomatiques, à travers la lutte antiterroriste et une aide matérielle, pour réduire cette menace et cette influence du Hezbollah dans la région et promouvoir la paix, la stabilité et la prospérité à travers le Proche-Orient. »
L’ensemble du développement reprend les analyses de l’administration précédente sur le Hezbollah, définissant celle-ci comme une organisation terroriste responsable notamment de la guerre de l’été 2006. Elle est aussi « l’une des milices les mieux armées et les plus dangereuses dans le monde ».
Mais le plus intéressant, c’est la reconnaissance de l’aide directe apportée par les Etats-Unis aux forces libanaises qui luttent contre le Hezbollah.
« Les Etats-Unis fournissent une assistance et un appui à tous ceux qui, au Liban, travaillent pour créer des alternatives à l’extrémisme et réduire l’influence du Hezbollah dans la jeunesse. (...) A travers l’USAID et la Middle East Partnership Initiative (MEPI), nous avons contribué depuis 2006 à hauteur de plus de 500 millions de dollars à cet effort. Cette assistance substantielle représente l’une des facettes de notre soutien inaltérable au peuple libanais et à l’instauration d’un Liban fort, souverain, stable et démocratique. Depuis 2006, notre aide totale au Liban a dépassé le milliard de dollars. Si nous laissions tomber les millions de Libanais qui veulent un Etat représentant les aspirations de tous les Libanais, nous créerions les conditions par lesquelles le Hezbollah pourrait remplir le vide et devenir encore plus fort. »
Que des pays étrangers s’ingèrent dans les affaires libanaises, on s’en doutait. Le Liban est, depuis longtemps, un champ d’affrontements de puissances régionales, de l’Iran à Israël, de la Syrie à l’Arabie saoudite. Plus inhabituel est le fait qu’une grande puissance reconnaisse ouvertement qu’elle mène une action permanente contre l’une des principales forces du pays, force qui participe, par ailleurs, au gouvernement. Ces pratiques américaines rappellent les interventions des Etats-Unis en France ou en Italie durant la guerre froide contre les partis communistes.
Le Hezbollah, qui a rendu public son nouveau programme le 1er décembre 2009, est la seule force libanaise qui maintient une milice armée.
La déclaration américaine a soulevé un vif débat au Liban quand elle a été connue, à partir du 22-24 juin. Le Hezbollah a affirmé qu’il déposerait plainte contre les Etats-Unis devant les tribunaux.
Dans le quotidien libanais Al-Safir du 29 juin, Nabil Haitam affirme qu’une liste de 700 noms de personnes et d’organisations ayant bénéficié de l’aide américaine circule, et que certains ont reçu des sommes comprises entre 100 000 et 2 millions de dollars. Le journaliste s’interroge :
« Quelles clauses du code pénal ces groupes ou personnes ont-ils violées ? Est-ce que contacter ou agir avec un Etat étranger, et travailler avec cet Etat en échange d’argent à une campagne visant l’une des composantes de la société libanaise – une campagne qui pourrait avoir déstabilisé la société –, est légal ? » (...)
Et Haitam se demande pourquoi Feltman a rendu cette information publique, d’autant qu’elle risque d’embarrasser des alliés des Etats-Unis au Liban. Selon lui, l’ambassade américaine à Beyrouth a rassuré ses alliés en leur affirmant que Feltman voulait simplement montrer au Congrès que les Etats-Unis agissaient au Liban et qu’il n’est pas question qu’ils révèlent des noms.
Autre son de cloche avec l’éditorial de Tariq Alhomayed, rédacteur en chef du quotidien panarabe pro-saoudien Al-Sharq Al-Awsat (23 juin) : « Hezbollah wants transparency ? ». Il cite le député Nawaf Al-Moussaoui, qui a déclaré que « si l’ambassade américaine veut être transparente, alors qu’elle donne la liste des noms de ceux qui ont reçu la plus grande partie de cet argent, dont il est dit qu’il a aidé le peuple libanais ».
Alhomayed soulève la question du financement du Hezbollah, que le secrétaire général de ce parti, Hassan Nasrallah, qualifie « d’argent pur ».
« Comment cet argent arrive-t-il au Liban ? Qui le reçoit ? Qui le distribue ? Combien a été dépensé pour les médias et pour acheter des journalistes et des politiciens ? Combien a été dépensé pour acheter des armes ? Combien a été dépensé pour dédommager les victimes de la guerre de 2006, comme le Hezbollah s’y était engagé ? »
Questions intéressantes venant d’un journal notoirement financé par l’Arabie saoudite, qui a arrosé le Liban pour y acheter journalistes et responsables politiques...
Et Alhomayed pose un autre problème :
« Si le Hezbollah veut la transparence, alors il devrait y avoir la transparence sur tous les sujets. (...) Et le Hezbollah doit faire ce qu’il demande aux Américains. » Le journaliste demande que le Hezbollah fasse la lumière sur un scandale financier lié à l’homme d’affaires Salah Ezzedine, dont la faillite a provoqué la ruine de nombreux Libanais. Or, cet homme d’affaires, selon le journaliste, avait de nombreuses connexions avec des membres du Hezbollah.
Notons aussi qu’aux Etats-Unis, certains se prononcent pour un dialogue avec le Hezbollah. Ainsi, William Crocker, ancien ambassadeur en Irak entre 2007 et 2009 (nommé par le président George W. Bush), s’est prononcé en ce sens devant le comité des affaires étrangères du Sénat (« Former US envoy favors talking to Lebanese resistance », The Daily Star, 10 juin).
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