samedi 5 juin 2010

Le jour où le monde s’est identifié à Gaza

samedi 5 juin 2010 - 05h:46
Ali Abunimah - Al Jazeera
Depuis l’invasion de Gaza par Israël et le massacre de 1400 personnes il y a 18 mois lors d’une opération surnommée "Plomb Durci", des organisations civiles du monde entier ont monté des campagnes de solidarité avec les Palestiniens pour obtenir justice, écrit Ali Abunimah.
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L’émotion est immense en Turquie, ce pays ayant vu 9 de ses citoyens massacrés par l’armée israélienne - Photo : AFP
Les gouvernements, au contraire, ont continué de vaquer à leurs petites affaires tout en gardant un silence complice.
L’attaque meurtrière de la flottille de la Paix en route pour Gaza peut provoquer un changement en incitant les gouvernements à suivre leur peuple et à prendre des mesures sans précédent pour endiguer la dérive d’Israël dont le mépris des lois ne cesse d’augmenter.
Des protestations pour la forme
Une des images les plus amères de l’Opération Plomb Durci est celle des dirigeants de l’Union Européenne tout sourires, visitant Jérusalem en tapant affectueusement sur l’épaule d’Ehud Olmert, le Premier Ministre israélien de l’époque, pendant que des bombes de phosphore blanc brûlaient la chair d’enfants palestiniens à quelques kilomètres de là.
Des pays occidentaux ont parfois exprimé une légère désapprobation à propos de l’usage "excessif" de la force, mais ont continué à justifier le massacre de Gaza en invoquant le droit d’Israël à se défendre, même si Israël aurait facilement pu arrêter les roquettes -si ça avait été réellement son objectif- en revenant à la trêve négociée en juin 2008 qu’il avait violée de façon flagrante quelques mois plus tard, en novembre.
Quand le rapport de Goldstone, le rapporteur de l’ONU a apporté les preuves irréfutables des crimes de guerre israéliens et de ses crimes contre l’humanité, y compris l’assassinat volontaire de civils désarmés, peu de gouvernements demandèrent sérieusement que justice soit faite.
Et pire même, après l’opération Plomb Durci, les USA et l’Union Européenne ont envoyé leurs navires pour aider Israël à parachever le blocus de Gaza ce qui constitue une punition collective pour toute une population violant ainsi la quatrième Convention de Genève dont relève l’occupation actuelle d’Israël sur la Palestine.
Et pendant l’opération, aucun pays n’a envoyé un navire hôpital pour aider à soigner ou évacuer les centaines de milliers de blessés, beaucoup d’entre eux très gravement, qui submergèrent les hôpitaux de Gaza.
La carotte et le bâton
Le blocus n’a jamais eu pour but - comme Israël et ceux qui le défendent le prétendent - d’arrêter le trafic d’armes vers Gaza.
Son but a toujours été politique : causer à la population autant de souffrance qu’il est possible - tout en demeurant justifiable politiquement- afin que les Palestiniens de Gaza rejettent le Hamas et se dressent contre ses dirigeants élus en janvier 2006.
La suppression de nourriture, médicaments, livres de classe, matériaux de construction parmi des milliers d’autres fournitures interdites ainsi que l’impossibilité d’entrer et de sortir de Gaza pour quelle que raison que ce soit sont devenues des armes pour terroriser la population civile.
Au même moment l’aide occidentale a inondé la Cisjordanie occupée - dont les citoyens ordinaires sont à peine mieux lotis que ceux de Gaza - suivant la tactique de "la carotte et du bâton" afin de détourner les Palestiniens du Hamas et les inciter à soutenir le leader de l’Autorité Palestinienne non élu, soutenu par l’Occident et affilié à la faction rivale du Fatah, qui a largement démontré par le passé sa volonté de collaborer inconditionnellement avec Israël quoi qu’il fasse à la population.
"L’idée c’est de mettre les Palestiniens à la diète mais sans qu’ils meurent" a expliqué ouvertement Dov Wiesglass, un conseiller haut placé du gouvernement israélien en 2006. A cet égard, le blocus - que le quartette (les USA, l’UE, le secrétaire général de l’ONU et la Russie) et plusieurs gouvernements arabes soutiennent- a été un franc succès, comme le démontrent de nombreuses études : La malnutrition des enfants a augmenté de façon alarmante et la majorité de la population de Gaza ne survit que grâce à l’aide humanitaire fournie par l’ONU. Des centaines de personnes sont mortes faute de soins médicaux appropriés.
"Remplir le vide moral"
Pendant que l’inertie et la complicité caractérisaient les réponses officielles, la société civile internationale a rempli ce vide moral et légal.
Pendant l’année et demi qui s’est écoulée depuis l’opération Plomb Durci, la campagne palestinienne pour le Boycott, le Désinvestissement et les Sanctions contre Israël (BDS) a enregistré des victoires impressionnantes.
Les fonds de pension suédois et plusieurs banques européennes ont cessé d’investir dans certaines firmes israéliennes, des universités ont interrompu leur coopération, des artistes internationaux ont refusé de se produire en Israël, et des actions militantes remarquables ont propagé le boycott des produits de consommation dans les supermarchés du monde entier. Israël considère le BDS comme une "menace existentielle" grandissante.
Pour le moment l’impact est peut-être plus psychologique qu’économique mais c’est précisément le sentiment d’être des parias de plus en plus isolés qui a finalement obligé les dirigeants de l’Afrique du Sud de l’Apartheid à reconnaître que leur régime était indéfendable et à le faire évoluer pacifiquement en collaboration avec ceux là même qu’ils avaient si longtemps diabolisés, déshumanisés et opprimés.
A vrai dire le mouvement BDS ne peut que s’intensifier : l’auteur de best-sellers suédois Henning Mankell qui était un des passagers du bateau turc Mavi Marmara et qui a été kidnappé et emmené en Israël a dit quand on l’a libéré : "Je crois que nous devons nous inspirer de l’exemple de l’Afrique du Sud contre lequel les sanctions ont eu beaucoup d’effet".
La flottille de la liberté représentait ce qu’il y a de meilleur et de plus courageux dans la société civile, à savoir la volonté et la détermination de ne pas abandonner des frères humains à la cruauté, à l’indifférence et aux intérêts des gouvernements.
La protestation rapide qui a suivi l’assaut d’Israël contre la flottille paraît indiquer que même les gouvernements commencent à sortir de leur sommeil et à surmonter cette peur paralysante de critiquer Israël qui lui a assuré si longtemps l’impunité.
Le fossé se creuse
L’administration américaine soutient Israël contrairement à l’opinion publique (AFP).
En effet la réaction mondiale révèle le fossé grandissant entre les USA et Israël d’un côté et le reste du monde de l’autre.
Pendant que les officiels israéliens s’empêtraient dans des justifications parfois grotesques ( des commandos d’élite avec des pistolets paintball* ) et parfois lénifiantes ( l’attaque était une inspection) les USA prenaient inconditionnellement fait et cause en faveur de leur allié.
Des représentants haut placés de l’Administration , y compris Joe Bidden, le Vice Président, relayèrent ouvertement les thèses israéliennes comme quoi l’attaque était seulement de la légitime défense justifiée par des besoins de sécurité.
En dépit de la réaction prévisible et cynique des USA, la condamnation internationale a été inhabituellement énergique.
Dans son discours au parlement turc après l’attaque, Recep Tayyip Erdogan, le Premier Ministre turc, a dénoncé le "terrorisme d’état" d’Israël et exigé qu’il soit puni par la communauté internationale.
Erdogan a promis que la Turquie "ne tournerait jamais le dos à Gaza" et continuerait sa campagne pour lever le blocus et demander des comptes à Israël même s’il devait le faire tout seul.
Il y a des signes encourageants qui semblent montrer qu’il ne sera peut-être pas obligé d’en arriver là.
L’Europe et d’autre pays ont convoqué leurs ambassadeurs israéliens et plusieurs ont rappelé leurs envoyés à Tel Aviv.
Franco Frattini, le Ministre des Affaires Etrangères italien et un des défenseurs les plus acharnés d’Israël a dit que son pays "déplorait profondément le meurtre de civils" et exigeait qu’Israël "s’explique devant la communauté internationale" sur ce massacre qu’il jugeait "absolument inacceptable quelque ait été le but de la flottille".
Ce sont de petits pays qui se conduisirent avec le plus de courage et de clarté. Le Nicaragua a suspendu ses relations diplomatiques avec Israël après ce qu’il a qualifié "d’attaque illégale". Brian Cowen, le Premier Ministre d’Irlande a dit au parlement de Dublin que son gouvernement avait "officiellement demandé" à Israël que le navire Rachel Corrie qui fait route vers Gaza soit autorisé à passer et a indiqué que "cela entraînerait des conséquences graves" si Israël usait de violence à son égard.
Le bateau -dont le nom est celui de la jeune militante américaine tuée par les forces d’occupation israéliennes à Gaza en 2003- transporte des militants malaisiens et irlandais et des hommes politiques dont le Prix Nobel de la Paix Mairead Maguire.
Dépasser les bornes
Ce sont encore de petites choses mais elles montrent qu’Israël semble avoir dépassé les bornes et qu’il ne peut plus considérer désormais la complicité et la patience des autres comme acquises.
C’est un processus cumulatif -chaque violation a diminué la réserve de bienveillance et de soutien dont Israël jouissait.
Même si la plupart des gouvernements ne sont pas encore prêts à passer de la parole à l’action réelle, l’indignation grandissante des populations finira par les obliger à imposer des sanctions officielles.
Binyamin Netanyahu, le Premier Ministre israélien semble avoir hâté l’avènement de ce jour en manifestant une fierté déplacée suite au massacre et en félicitant ses auteurs sans tenir compte de l’unanime condamnation internationale.
En dépit de ses efforts intensifs pour cacher et déformer ce qui est arrivé à bord du Mavi Marmara dans la nuit du 31 mai, le monde a vu Israël se conduire avec la même violence aveugle que celle qui est décrite dans le rapport Goldstone.
Mais cette fois ce ne sont pas seulement des Palestiniens et des Libanais "sans importance" qui furent les victimes d’Israël, mais les ressortissants de 32 pays de tous les continents. Ce jour-là le monde entier est devenu Gaza. Et comme les habitants de Gaza, il est peu probable que le monde se laisse faire.
[Note *] Le pistolet paintball est une réplique qui lance des balles colorées qui imprègnent les vêtements des "ennemis" dans le jeu permettant de compter les impacts.
(JPG) * Ali Abunimah est cofondateur de The Electronic Intifada et l’auteur de One Country : A Bold Proposal to End the Israeli-Palestinian Impasse (Metropolitan Books, 2006).
3 juin 2010 - Al Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/focus/...
Traduction de l’anglais : Dominique Muselet
http://info-palestine.net/article.php3?id_article=8861