jeudi 4 mars 2010

Communiqué de presse

publié le jeudi 4 mars 2010
Tribunal Russell sur la Palestine

 
Lundi 1er mars se tenait à Barcelone la première session du Tribunal Russell sur la Palestine consacré aux manquements de l’Union européenne par rapport à l’application des règles du droit international protégeant la population palestinienne. La matinée a été consacrée à l’installation du tribunal d’opinion et au rappel des violations des règles du droit international par Israël.
En ouvrant la séance de l’après-midi, une lettre adressée par le président de la Commission européenne M. Barroso a été lue : l’Union entend conforter les efforts de paix dans la région avec pour objectif la création d’Etat indépendant, viable, démocratique vivant côte à côte avec Israël. L’Europe et le Conseil réitèrent leur soutien et la coopération pour la création de l’Etat de Palestine reconnu en temps opportun. M. Barroso se dit opposé aux démolitions de maisons, aux expulsions illégales qui sont des obstacles sérieux à la paix et à la solution à deux Etats. Le Conseil appelle le gouvernement Israélien à arrêter les extensions des colonies, immédiatement à Jérusalem-est et dans le Cisjordanie, ainsi qu’à l’arrêt des « augmentations naturelles » des colonies et pour le démantèlement des colonies d’après 2001. L’Union réitère son appel pour que l’aide humanitaire, les biens commerciaux et l’aide aux personnes puissent se réaliser à Gaza.
L’annexion de Jérusalem-Est
L’annexion de Jérusalem-Est fut le thème de l’intervention de la palestinienne Ghada Karmi. L’experte décrivit les formes prises par la colonisation israélienne dans Jérusalem-Est : colonisation politique en faisant de la ville, annexée en 1967, la « capitale d’Israël », colonisation physique avec la démolition de maisons arabes remplacées par des colonies juives, changement démographique par des politiques de judaïsation en limitant le droit de résidence des habitants arabes, en limitant leurs droits, en ne leur donnant pas de permis de construire, en les expulsant. Ainsi, une population 100 pc arabe en 1967 est passée à 30 pc ! Même l’archéologie a servi cette politique par des fouilles extensives dans la vieille ville et à Silwan afin de prouver la présence historique juive de ces sites. Ces fouilles menacent les fondations des sites islamiques anciens et menacent de détruire les traces historiques des périodes islamiques et pré-islamiques.
Des colonies et l’extension du Mur ont privé les Palestiniens de parties considérables de leur territoire. Et la restriction sévère de la mobilité des Palestiniens les coupe de ce qui fut un centre majeur de la vie palestinienne.
Or, tout en rappelant le droit et en condamnant maintes fois ces agissements illégaux, l’Union européenne n’a jamais exercé de véritables pressions ni sanctions contre l’Etat d’Israël et n’a jamais demandé réparation des destructions des installations qu’elle avait financé. Au contraire, elle a renforcé ses liens politiques, économiques et scientifiques avec cet Etat, se rendant ainsi complice des violations des lois internationales.
Mme Ghada Karmi pris l’exemple de l’étroite collaboration dans le domaine scientifique et éducatif avec Israël qui jouit d’accès privilégié aux recherches et aux fonds européens. Ce pays est très admiré par les Européens pour son expertise en recherche et développement ; Il est donc inclus dans l’accord cadre sur la recherche européenne (European Research Area) et cela pour 5 ans avec 50 milliards d’euros dépensés pour ce programme. Huit universités israéliennes collaborent avec des pays européens. Or, des projets ont lieu dans des territoires occupés malgré l’opposition de certains parlementaires européens notamment des Verts. Pour la majorité, la recherche était considérée comme plus importante que les droits humains ! Il fut précisé qu’une proportion importante du budget recherche et développement, environ la moitié est consacrée aux armements. Donc, les fonds européens y interviennent.
Que faire ? « Le temps est venu pour que les peuples prennent les choses en main et réclament des comptes à leurs gouvernements. Que les citoyens d’un pays portent plainte contre leurs gouvernements n’est pas impossible, ce sont les impôts payés par les citoyens qui sont canalisés ainsi vers Israël. », souligna Ghada Karmi.
Meir Margalit (Israël) s’exprima comme témoin et en tant que membre du conseil municipal de Jérusalem et du comité israélien contre les démolitions des maisons. Il fait partie d’un réseau pacifiste israélien dont une grande partie du budget vient de l’Union européenne ! « Nous aimerions renoncer à cet argent si l’UE en contrepartie adoptait une politique plus radicale, plus claire vis-à-vis d’Israël, nous avons la sensation que cet argent sert à laver les consciences européennes ! » Le témoin apporta quelques nuances : l’UE n’est pas une entité univoque. Ainsi la délégation européenne en Palestine voit les choses de manière différente de celle qui se trouve à Tel Aviv. D’ailleurs appelée « les sionistes » par la délégation européenne de Jérusalem ! Celle de Tel Aviv se plaignant en outre des pressions venues de Bruxelles qui la freinent dans une politique plus claire. Il exposa ensuite la teneur du document « secret » des consuls européens de Jérusalem, tenu au secret par l’Europe mais donné à l’association pour qu’on le diffuse…
Meir Margalit expliqua ensuite qu’on assiste à un processus de dégénérescence quotidien, le visage de Jérusalem-Est change progressivement et bientôt on ne pourra plus parler d’une Jérusalem palestinienne. En attendant, 33 % de la population reçoit 10 % du budget et cela c’est de la discrimination raciale. Or, les Palestiniens payent les mêmes impôts que les Israéliens à Jérusalem. Comment faire changer les Israéliens ? Par de sanctions ou des incitations ? Si l’Israélien moyen qui veut faire partie de l’Europe comprend que l’oppression a un prix, c’est-à-dire être rejeté par l’Europe, alors il réfléchira. Si l’UE l’incite à en finir avec l’occupation, peut-être changera-t-il. Car Israël ne changera pas de politique à travers des sanctions car le gouvernement sera encore plus dur qu’aujourd’hui. Le combat n’est pas juridique mais politique. L’orateur évoque cependant une sanction qui peut avoir de l’influence sur la politique européenne : il s’agirait de traiter les Israéliens comme ils traitent les Européens dans les aéroports !
« Le fantôme de l’holocauste flotte dans l’air et il empêche l’UE d’être plus claire. L’accusation d’antisémitisme est tout le temps utilisée. J’ai l’impression que le gouvernement israélien commencerait à comprendre la situation s’il ne bénéficiait plus de l’appui international. J’ai l’impression que l’occupation est en train de s’épuiser toute seule. Le discours pacifiste est assez répandu aujourd’hui même dans des groupes de droite. C’est le moment où les amis d’Israël devraient s’asseoir avec Netanyahu et discuter avec lui jusqu’à une solution de paix. C’est un moment similaire que celui qu’a vécu l’Afrique du Sud. Voilà pourquoi ce tribunal est important pour qu’il puisse faire pression sur l’UE. », déclara Meir Margalit.
Quant au Palestinien Charles Shamas, il parla de la responsabilité de l’UE. « Ce sont les plus faibles qui s’adressent à la loi, la question est donc d’appliquer correctement la loi, d’abord. Les sanctions sont une action politique. » Exemple : l’affaire Brita et le jugement allemand sur l’importation de ces produits fabriqués dans des colonies sur un territoire occupé : Israël ne peut être traité comme un souverain légitime des territoires occupés et donc les règles commerciales européennes ne peuvent s’y appliquer. » En signant un traité, les Etats s’engagent à appliquer ces règles dans leur propre droit national. Mais Israël signe des accords et les met en œuvre illégalement au sein de l’Union européenne, ce qui provoque une responsabilité légale des institutions.
Cette première session s’est terminée par la question des colonies et le pillage des ressources naturelles. Charles Shamas explique que dans la cadre de la politique de voisinage européenne, il avait été proposé que tous les accords et tous les projets financés devaient être formulés et mis en œuvre avec les obligations auxquelles est contrainte la Communauté européenne ; mais cela n’a jamais été mis en œuvre. La Commission et le Conseil ont mis de gros obstacle car ils ne veulent pas que cela débouche sur des lois concrètes. S’il y avait une véritable mobilisation politique, cela pourrait changer. Israël doit donc apporter des amendements à ses législations internes pour se conformer aux règles européennes. Ou alors c’est la législation européenne qui doit s’appliquer directement dans le cadre de ces accords.
Exemple : la banque européenne d’investissement a une législation européenne très claire et donc, pour recevoir cet argent il faut se conformer au droit européen. Autre exemple : à Jérusalem, des biens immobiliers dans les colonies sont à vendre sur le marché européen, des banques israéliennes opérant en Europe sous législation européenne font des hypothèques sur ces propriétés dans les colonies. Or, légalement parlant, à côté de Jérusalem, les terres sur laquelle ces colonies ont été construites ont été expropriées par le ministère des Finances israéliens par le biais du commandant des armées. Or, la Grande Bretagne et d’autres Etats membres ne reconnaissent pas ces actes administratifs.
Les pressions sont plus efficaces en ce qui concerne les entreprises privées : la pression de l’opinion publique nuit à l’image de marque des entreprises commerciales.
Un autre témoignage fut celui de l’Irlandais James Phillips : « Israël pratique l’apartheid et le nettoyage ethnique, ce n’est une démocratie que si on est Juif », affirme-t-il. En 1967, l’Etat a occupé le Golan, Gaza, la Cisjordanie, un moment idéal où il pouvait échanger la terre contre paix. L’Etat ne l’a pas fait et a immédiatement établi des colonies en Cisjordanie et à Gaza en tant qu’occupant militaire et a confisqué la terre de nombreux Palestiniens. Déjà en 1948, 750.000 Palestiniens ont été chassés de leur terre. Ensuite les colonies ont été renforcées, installées à des endroits appropriés pour s’assurer que si le jour arrivait où existerait l’Etat palestinien il serait inviable par la discontinuité territoriale créée par les colonies et cela au nom de la sécurité d’Israël. Cet Etat est une puissance nucléaire et l’argument selon lequel le Mur et les colonies sont nécessaires à sa sécurité n’est même plus évoqué par les Israéliens, il s’agit purement et simplement de confiscation des terres. La population civile est chassée des territoires de manière délibérée. De plus, Israël fait de l’argent avec l’occupation : pour chaque profit généré 60% rentre dans les caisses de l’Etat.
« Le Mur est le crime parfait car il crée la violence qu’il est censé empêcher. La violence des colons contre les Palestiniens n’est quasi jamais sanctionnée. » L’effet immédiat des colonies est le retard dans le processus d’autodétermination, le territoire est fractionné, la population déshumanisée physiquement et psychologiquement. On chasse les Palestiniens de leur terre car leur vie devient impossible, c‘est une politique de nettoyage ethnique.
L’eau, ressources naturelle, est utilisée cinq fois plus par les colons que par les Palestiniens, les nappes phréatiques en territoire palestinien sont sous contrôle total des Israéliens qui ne donnent pas l’autorisation de creuser des puits…
Au large de Gaza, les familles palestiniennes ne peuvent pêcher, elles n’osent même pas aller sur la plage car les Israéliens tirent depuis les bateaux. Ajoutons à cela le régime des check points qui ôtent leur dignité aux palestiniens et empêche la réunion des familles et contribue à détruire l’économie palestinienne avec cruauté. C’est un génocide lent, accuse James Phillips. Or, il y a suffisamment de lois qui pourraient protéger les Palestiniens. Le seul problème est qu’elles ne sont pas appliquées. Les personnes en charge de faire respecter ces lois manquent à leurs obligations. Elles devraient comparaître devant une cour internationale de Justice. Il faudrait aussi suspendre l’accord économique avec Israël, L’UE devrait dénoncer Israël pour ses crimes et les dommages infligés aux traités, aux accords et à la législation européenne.
L’orateur expliqua aussi comment on a effacé la présence palestiniennes sur les terres confisquées : à l’emplacement des villages palestiniens rasés, on a planté des milliers de pins européens afin de dissimuler le passé et aucune référence n’est faite de la présence historique des Palestiniens. D’autres terres ont été simplement éliminées des registres et donc les Palestiniens ne peuvent pas les revendiquer ni obtenir des compensations. Les indemnisations sont devenues impossibles car il s’agit de milliards d’euros de même que l’on rend impossible le droit au retour des réfugiés.
Autre réquisitoire fort : celui de Michael Sfard, avocat israélien, travaillant dans le droit humanitaire. Il a voulu apporter des faits et des chiffres sur les colonies. Il y a 120 colonies en Cisjordanie. Plus de la moitié des colons juifs se sont installés en Cisjordanie après les accords d’Oslo ! 20 % de colons possèdent 80 % de la terre. La construction n’est qu’une manière de faire croître les colonies mais il y a aussi la violence que les colons exercent contre les Palestiniens pour reculer sans cesse les limites de leurs terres. Il y a aussi le processus de planification administrative continue : plus de 4 nouveaux plans de nouveaux quartiers pour des colonies approuvées après l’annonce du gel des colonies ! Cela annonce le boum de la construction ! Les colonies sont une créature qui ne peut que grandir… son essence est d’absorber de plus en plus de terres. En Israël, il y a une norme juridique particulière pour les colonies et les colons se trouvent dans une bulle légale : Israël n’a pas annexé la Cisjordanie mais elle applique ses propres lois dans les colonies et pour les colons. Il n’y a pas une loi pour un Juif et une autre pour un non Juif. Les commandants militaires appliquent à travers des ordres militaires la loi israéliennes aux colons et dans les voisinages des colonies : c’est cela la bulle légale qui entoure le colon, même dans sa voiture. Il s’agit d’une définition légale et en conclusion certaines politiques appliquées par Israël à travers cette zone géopolitique qu’est Cisjordanie et Gaza constituent un crime d’apartheid.
Troisième aspect abordé par Michael Sfard : l’exploitation des ressources naturelles. Le sol de Cisjordanie est transporté en Israël : 12 millions de tonnes de graviers sont extraites par des compagnies israéliennes, européennes, américaines. Environ 9 millions de tonnes sont utilisées par le secteur de construction israélien et le reste va certainement dans les colonies… et une partie vendue aux Palestiniens ! C’est une violation du droit collectif des Palestiniens : ils n’ont pas de souveraineté sur leurs propres ressources naturelles, un des droits les plus importants pour les populations.
Question d’un membre du jury : est-il temps pour l’Europe de mettre fin aux relations avec un Etat voyou ?
Réponse de Michael Sfard : Israël n’a pas encore atteint le stade d’Etat voyou, il s’agit d’un Etat qui n’a jamais été traité sérieusement par rapport à ses fautes. L’Europe ne devrait plus octroyer de tarifs douaniers préférentiels aux produits des colonies. Il faut commencer par la base : le désinvestissement des colonies qui vivent grâce au commerce avec l’Europe. Il faut faire comprendre à Israël qu’il y a un prix pour ce qu’il fait.
La deuxième journée de la session, mardi 2 mars, devrait examiner les questions suivantes : les accords d’association EU-Israël, le blocus de Gaza et l’opération « plomb durci », le mur construit dans les territoires palestiniens occupés.
Informations complémentaires : www.russelltribunalonpalestine.org La session est retransmise en direct sur http://www.bcnsolidaria.tv/tv/