dimanche 28 février 2010

30 heures à Gaza

samedi 27 février 2010 - 06h:17
Mohamed Madi - The Electronic Intifada
Les attaques viennent par vagues, persistent pendant quelques jours avant que la pluie toxique de phosphore et de missiles ne s’estompe. Et comme pour la météo, le type d’engins utilisés pour l’attaque alimente les sujets de conversations : « C’était un Apache ... c’était un F-16. »
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Des participants au convoi "Viva Palestina" brandissent des drapeaux palestiniens et turcs lors de la réception du convoi par les habitants de la bande de Gaza - Photo : AP
Un de mes premiers aperçus de la bande de Gaza a été un jeune homme sur une moto qui me jeta son kuffiyeh rouge. « Souviens-toi de moi ! » m’a-t-il crié, avant de disparaître dans une mer de drapeaux. Avec une certaine ironie, ce sont les membres du convoi d’aide humanitaire Viva Palestina qui ont fini par jouer le rôle de victimes de guerre lorsque nous avons finalement pu entrer dans la bande de Gaza le 6 Janvier. Nous n’étions pas encore remis d’un affrontement avec la police égyptienne qui avait fait 60 blessés la veille. Les milliers de personnes qui ont bravé le froid de la nuit pour nous accueillir ont prodigué le réconfortant idéal pour les têtes endommagées et les visages recousus.
Ce qui avait l’allure d’un essaim fait d’un bon millier de motos, chacune portant deux, parfois trois personnes, a roulé à côté de nous, se heurtant dans leur empressement à nous suivre alors que nous roulions de Rafah à Gaza.
Nous n’étions autorisés à rester que 30 heures dans la bande de Gaza, ce délai imposé par l’Egypte signifiant que nous pouvions seulement avoir un court aperçu du territoire assiégé. Avec ce temps limité, par exemple délivrer l’aide que nous avions apporté aux bonnes personnes est devenue la préoccupation dominante.
Ce n’était pas une petite affaire, car le convoi se composait de 148 véhicules remplis de médicaments, de vêtements, de groupes électrogènes, de purificateurs d’eau de pluie et de matériel médical comme des machines à dialyse. Quatre-vingts des véhicules étaient des ambulances destinées aux hôpitaux et aux cliniques de Gaza soumis au siège. Il y a là plus que toutes les aides qui n’apportent en général que de la camelote, comme l’a remarqué Moheeb Abu al-Qumboz, un gestionnaire à l’Université Islamique et bénévole pour aider à accueillir les délégations d’aide humanitaires.
« Une bonne évaluation des besoins doit être réalisée avant l’envoi de fournitures médicales comme des équipements ou des produits consommables », explique-t-il. « Si les machines ne correspondent pas au système existant ou si le personnel n’est pas formé à leur utilisation, alors ils ne sont pas d’une grande utilité. » Il a noté que, souvent, les agents des services de santé étaient trop gênés pour donner ces détails à leurs donateurs, de peur de les offenser ou de les décevoir.
Moheeb souligne également que si l’aide directe est la bienvenue, ce qui est vraiment nécessaire dans la bande de Gaza, ce sont des projets générateurs de revenus. Un des projets dans lesquels il est impliqué « Travail sans Frontières », fournit à distance des services comme la conception de sites internet et de la traduction, à partir de Gaza ou d’autres lieux en Palestine. Le travail est accompli par les nombreux diplômés hautement qualifiés qui vivent ici et leur fournit un lien vital avec le monde extérieur ainsi que des revenus.
Vous pouviez voir beaucoup de ces jeunes diplômés qui flânaient discrètement autour du convoi, désireux d’aider. Presque tous pratiquaient un bon anglais. Malgré les conditions, vous avez vraiment le sentiment que l’éducation est une priorité absolue. Peut-être que cela à quelque chose à voir avec le fait que, comme un étudiant me le disait avec tristesse : « le seul moyen de sortir de Gaza est sur un brancard ou avec une bourse d’études. »
Un autre étudiant, Abdul Moniem, me dit avec fierté que l’Université Islamique occupe le premier rang des universités de toute la Palestine et tient la 14e place dans le monde arabe. C’est une performance remarquable compte tenu des conditions dans lesquelles elle fonctionne. Les bâtiments des Sciences et de l’Ingénierie ont été détruits dans la dernière agression israélienne à grande large échelle contre Gaza, sous le prétexte que ces bâtiments serviraient d’ateliers d’armements.
« S’il n’y avait pas le blocus, ce serait le plus bel endroit », est le sentiment que j’ai entendu exprimer au moins 10 fois - et c’est tout à fait vrai. La temps à Gaza est clément, même en Janvier. Les côtes vierges qui longent la bande concurrencent les plus belles plages de la Méditerranée, et les gens qui vivent ici possèdent les si typiques générosité et chaleur humaine palestiniennes.
Mais la plage est gâchée par une vedette israélienne qui stationne menaçante à l’horizon. Plus haut sur la côte, les eaux sales s’écoulent sans relâche dans la mer - trop plein du système en rupture de traitement des eaux usées de Gaza - de sorte que même l’environnement en souffre. Les ballons de surveillance et le faible bourdonnement constant des drones [avions sans pilote] achèvent de compléter l’effet panoptique [sentiment d’être constamment surveillé sans savoir précisément par qui - N.d.T].
Et les bombardements se poursuivent. Alors que le convoi faisait la distribution de l’aide, on pouvait apercevoir les tirs d’artillerie. A Gaza, les gens parlent des frappes aériennes comme s’il s’agissait d’un phénomène météorologique. « Vous avez de bonnes semaines et de mauvaises semaines », me dit Moheeb, abordant le sujet d’un ton neutre. « Parfois, la situation est tranquille et parfois elle est tendue, comme en ce moment. » Les attaques viennent par vagues, persistent pendant quelques jours avant que la pluie toxique de phosphore et de missiles ne s’estompe. Et comme pour la météo, le type d’engins utilisés pour l’attaque alimente les sujets de conversation : « C’était un Apache ... c’était un F-16. »
Une autre caractéristique de cette météo tordue de Gaza, ce sont les lâchers de tracts. De retour à l’hôtel, quelqu’un m’en a remis un à traduire. Rédigé en arabe, il dit « L’IDF [armée israélienne], vous met en garde de ne pas vous approcher à moins de 300 mètres de la frontière israélienne. Tsahal prendra les mesures nécessaires contre ceux qui le font, ce qui inclut la possibilité d’ouvrir le feu. Vous aurez été avertis ! » Au verso se trouve une adresse électronique et un numéro de téléphone pour ceux qui veulent communiquer des informations [appel à la délation - N.d.T] sur le gouvernement du Hamas ou l’activité des tunnels.
Les tracts ont été largués par avion plus tôt le même jour, la femme qui m’en a donné une copie m’a dit qu’ils étaient tombés au milieu d’une fête pour les enfants.
L’avenue principale de la ville de Gaza porte le nom d’Omar al-Mukhtar, le dirigeant légendaire de la résistance libyenne qui s’est battu contre l’occupation italienne. Ici, les jeunes couples se promènent main dans la main sous les arbres et les lumières douces de la rue, des scènes qui pourraient facilement se situer à Amman ou à Damas.
Les boutiques et les marchés sont maintenant actifs, bien loin de la ville fantôme qu’était Gaza une année auparavant. J’ai demandé à propos de l’électronique grand public et des habits à paillettes brillantes exposés dans les vitrines des magasins, s’il n’était pas censé y avoir un état de siège ?
La réponse, ce sont les tunnels. Ils fournissent tout, depuis le ciment, qui est toujours interdit par Israël parce qu’il pourrait être utilisé pour construire des rampes de lancement de roquettes, jusqu’à la cannette de Coca-Cola qui est entrée avec mon sandwich de falafels. Même les motos qui nous ont accompagnés dans la ville ont été démontées, transportées sous terre, puis remontées de l’autre côté. Ce sont les tunnels de Gaza qui permettent une apparence de normalité.
Le carburant, explique Moheeb, pose maintenant moins de problèmes. Il est pompé dans les canalisations souterraines qui descendent à 80 mètres et il sort des robinets situés de l’autre côté. Vous pouvez obtenir du diesel égyptien et libyen, mais ce dernier risque moins d’endommager votre moteur. Au moment de l’attaque, en décembre 2008, l’essence était à 5 dollars le litre ; maintenant elle est à 75 cents à cause de la nouvelle technologie des tunnels.
Cependant, même s’il y a plus de marchandises sur le marché, leur prix est prohibitif pour les petits revenus.
Environ 50 000 personnes travaillent directement ou indirectement pour l’industrie des tunnels. C’est un des emplois les plus dangereux de Gaza, car les tunnels sont souvent la cible de bombardements israéliens et ils subissent maintenant l’obstruction égyptienne. Les propriétaires de magasins disent qu’ils se contenteront de creuser plus profondément.
Une des attractions les plus macabres de Gaza est l’hélicoptère russe de Yasser Arafat, criblé de balles. Bombardé en 2001, il ressemble maintenant à une pousse organique sortie du béton, ses pneus crevés fondus dans le sol, gisant dans un hangar à moitié détruit.
Vous pouvez vous asseoir dans le cockpit et faire semblant d’être pilote, ou jouer à l’homme d’État dans la cabine où vous pouvez pousser sur le bouton rouge du siège éjectable réservé à l’homme toujours appelé avec respect Al-raees, le dirigeant. Les épithètes réservés à l’actuel leader du Fatah, Mahmoud Abbas, ne sont pas aussi flatteurs. À Gaza ce dernier est largement considéré comme un traître qui a vendu les Gazaouis pour une poignée de dollars. Logé à la même enseigne qu’Abbas figure Hosni Moubarak et son régime, spécialement depuis la construction du « mur de la honte » commencée l’année dernière à la frontière entre l’Egypte et Gaza. Un jeune à moto résume le sentiment général en les appelant simplement « des chiens ». Le jugement est quasi unanime : « ils sont pires que les Israéliens », ce qui n’est pas une mince insulte dans la bouche des Gazaouis.
À l’intérieur de la Bande de Gaza, la marque du Hamas est partout. Le drapeau vert du Mouvement de résistance Islamique orne toutes les rues et les avenues principales, avec les affiches de Cheikh Ahmed Yassin et Abdel Aziz Rantissi. A chaque coin du centre ville, il y a un policier barbu ou un soldat avec un AK-47 à la main.
Dans un énorme hall de conférence de la rue Omar Al-Moukhtar, le Premier Ministre, Ismail Haniyeh, est venu accueillir le convoi et célébrer son arrivée. Il est accompagné d’agents de sécurité qui contiennent la foule déferlant vers lui pour le saluer. L’atmosphère ressemble à celle d’un concert de rock, avec George Galloway comme vedette principale.
Ils se sont embrassés comme des frères ; Galloway est probablement le seul député britannique qui accepte d’être vu dans la même pièce que le Premier ministre gazaoui. Ensuite, nous avons vu une troupe de spectacle du Hamas essayant d’exprimer la lutte armée par le biais de la danse. Qui dit que résistance ne rime pas avec divertissement ? Plus tard dans la soirée, j’ai rencontré Adnan Rashid, conférencier en histoire, qui a remis une somme de milliers de livres en espèces, collectée au Royaume-Uni. Mohamed Al-Akluk, directeur bénévole de la fondation caritative Zaytoun, est avec nous. Ensemble, nous visitons le quartier Zaytoun, dans la banlieue du sud de la Ville de Gaza, un des secteurs les plus touchés pendant la guerre de l’année dernière. C’est ici la que les Samouni ont perdu 49 membres de leur famille. Une partie de la délégation étasunienne leur rend visite, tandis que je pars avec Adnan, Mohamed et Moheeb distribuer l’argent, à présent converti en shekels.
Avec l’aide de Mohamed, nous visitons, ce soir-là, 18 familles parmi les plus pauvres du quartier. Toutes n’ont pas été réduites à la misère par l’attaque israélienne. Comme l’indique Mohamed, les survivants de la guerre qui ont perdu leurs maisons recevaient déjà de l’aide en priorité. Nous partons rencontrer ce soir-là des familles moins connues, mais tout aussi défavorisées ; nous descendons des rues sinueuses et montons dans des immeubles miteux pour faire une visite éclair de la tragédie.
La première maison où on nous emmène est celle d’Abu Muhammad Al-Lowh’s. La photo du bel adolescent sur le mur ne ressemble pas à l’homme paralysé, confiné dans un fauteuil roulant, que nous rencontrons. Pendant la première intifada, une roquette israélienne lui a endommagé le cerveau et il a besoin de soins 24 heures sur 24.
Après, nous voyons Raida Abdalaal, jeune Egyptienne divorcée avec trois enfants qui n’a aucune source de revenu. La somme qui lui est remise paiera trois mois de loyer pour l’appartement sordide où elle vit. Ensuite, il y a Jamal Baba, qui a une famille de 24 personnes à charge, mais qui ne peut pas travailler à cause d’une hernie discale. Samir Fathi Delloul, autre résidant de Zaytoun, vit dans une des maisons les plus délabrées du quartier ; pourtant , ses quatre fils étudient toujours à l’université. Il n’ a pas de pièce de séjour, et nous nous asseyons donc sur des lits grinçants qui ont été de toute évidence déblayés à la hâte. Nous n’avons pu passer que deux ou trois minutes dans chaque ménage, alors que partout on nous invitait avec insistance à rester pour le café ou le thé. Il était un peu plus de minuit quand nous avons terminé et que nous sommes partis vers l’hôtel. Brusquement, il y a eu un grand fracas, et la terre a tremblé ; ensuite un autre grand bruit. Sans un mot, Moheeb a fermé le moteur et les phares de la voiture et nous a dit d’éteindre nos portables.
Les explosions étaient proches, à environ 700 mètres, selon l’estimation de Moheeb. Presque immédiatement la radio a transmis des Informations sur l’attaque aérienne. Des avions de guerre israéliens avaient bombardé le secteur de Tal al-Islam à l’est de la Ville de Gaza. Adnan et moi étions mal à l’aise ce dont Moheeb et Mohamed s’amusaient. « Nous avons tous vu des bombes et des morceaux de corps éclatés, » a dit Moheeb calmement. "Rien ne nous effraye plus maintenant."
Vu le délai de 30 heures dont nous disposions, le convoi est sorti de Gaza presque aussitôt qu’il y est entré. En 30 heures vous commencez à peine à vous faire une idée de ce que la vie est vraiment dans la Bande. On ne capte que des aperçus parfois très forts, comme celui de l’employé de l’hôtel qui récupérait les restes de confiture du petit déjeuner pour le matin suivant. Ou les garçons jouant sur une pile de décombres dans Jabaliya, qui pouvaient bien avoir été leur maison.
En si peu de temps, vous vous faites cependant une bonne idée de ce que Gaza n’est pas. Ce n’est pas le trou détruit, délabré que certains imaginent. C’est un endroit qui s’efforce d’être normal, et bien que les attaques aériennes et les drones et le blocus rappellent quotidiennement la fragilité de la paix, il n’y a rien de fragile dans la volonté de survie de Gaza.
* Mohamed Madi, libyen d’origine, a grandi au Royaume-Uni. Peu après avoir obtenu un diplôme de philosophie, de politique et d’économie, il a été le rédacteur d’« Embox », magazine de la culture estudiantine à Londres, avant de partir travailler en Jordanie comme rédacteur free-lance.
Cet article a été initialement publié dans Jo Magazine et il est réédité avec sa permission.
11 février 2010 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Traduction de l’anglais : Anne-Marie Goossens & Claude Zurbach
 http://info-palestine.net/article.php3?id_article=8249