jeudi 3 septembre 2009

Des flammes toujours vives

Mosquée d’Al-Aqsa. Le 40e anniversaire de l’incendie qui a ravagé, le 21 août 1969, ce lieu saint de l’islam, œuvre d’un forcené selon Israël, intervient en pleine judaïsation de Jérusalem. Le sinistre marquait en fait le début de tout un processus.


40 ans se sont écoulés, un flash-back vient frapper les mémoires arabes et palestiniennes : la mosquée d’Al-Aqsa en flammes. A cette occasion, le président du Conseil des secrétaires de l’institution internationale Al-Qods, Youssof Al-Qaradawi, a invité à une « journée de solidarité des mosquées de la nation avec la mosquée d’Al-Aqsa » le vendredi 28 août. C’est en 1969 qu’un certain Michael Denis Rohan, extrémiste juif de nationalité australienne, mettait le feu le 21 août à l’intérieur de la mosquée.

Mais les choses devraient-elles en rester là ? Un accident et un jour de commémoration ? Sûrement pas. En fait, cet incendie n’était que le prélude d’un processus de judaïsation de la ville de Jérusalem. Le fameux rêve sioniste qui a, depuis toujours, existé : construire, sur les ruines de la mosquée d’Al-Aqsa et sur celles de Qobbat Al-Sakhra (le Dôme du Rocher), le « Troisième temple ». Il s’agit d’un vieux plan qui plaide pour la destruction du troisième lieu saint de l’islam.

Mohamed Sobeih, secrétaire général adjoint de la Ligue arabe aux affaires de la Palestine, affirme que « l’incendie de la mosquée n’a jamais été la première ou la dernière opération. Il s’agit dans le fond d’un plan complet et bien défini qui vise le remaniement total des traits de Jérusalem ».

En effet, le plan israélien consistant à expulser le plus grand nombre possible d’Arabes est en réelle application depuis bien longtemps. Israël n’a jamais cessé ses manœuvres. Depuis 1970, les autorités d’occupation israélienne ont commencé d’intensifs travaux de fouilles juste sous la mosquée d’Al-Aqsa sur les côtés sud et ouest. De même, un large tunnel a été ouvert sous le secteur de prière des femmes (1977). Deux ans plus tard, un nouveau sillon était creusé sous la mosquée, allant d’est en ouest.

En 2007, les travaux ont repris et n’ont jamais cessé. Une quête biblique d’un autre temps, pour ressusciter les fragments souterrains d’une civilisation enfouie et, surtout, faire valoir un droit présent sur le sol palestinien. Des travaux qui, selon des experts, menacent les fondations de l’esplanade des Mosquées. Tout ça n’est qu’un alibi sauvage au service de la destruction de ce haut lieu symbolique pour tous les musulmans. D’ailleurs, combien de fois les Palestiniens ont-ils été empêchés d’aller prier dans leur mosquée ? Israël interdit fréquemment aux Palestiniens de la Cisjordanie et de la bande de Gaza l’accès à Jérusalem-Est, annexée après sa conquête en 1967, ainsi qu’à toute autre partie du territoire israélien. A l’heure du Ramadan, il impose de nouvelles restrictions aux habitants de la Cisjordanie. Lors du premier vendredi du mois sacré, beaucoup se sont retrouvés privés de leur droit d’aller prier dans leur mosquée. Seuls les hommes âgés de plus de cinquante ans et les femmes dont l’âge dépasse la quarantaine pouvaient pénétrer dans la mosquée.

Pour Emad Gad, rédacteur en chef d’Israeli Digest, le plan israélien consiste à éliminer peu à peu la présence arabe et palestinienne de la Cisjordanie, que ce soit en les empêchant d’y prier ou encore par le biais des fouilles : « Les Israéliens veulent à tout prix s’emparer de Jérusalem et le judaïser. Plus le temps passe, plus ils trouvent des prétextes pour leur projet de judaïsme ». Et d’ajouter : « Actuellement, ils travaillent surtout sur l’élimination radicale de tout signe arabe ou musulman. Ils tentent de changer la constitution architecturale d’Al-Qods ».

Nouvelle judaïsation

Ceci se confirme dans les faits, puisque le ministère israélien des Transports a annoncé, il y a tout juste un mois, qu’il avait décidé de gommer les noms arabes sur les panneaux indicateurs des localités situées en Israël. Une mesure présentée comme réponse au refus des Palestiniens de désigner des localités israéliennes par leurs noms en hébreu. Seul le terme hébreu sera gardé. Ainsi apparaîtra Jérusalem seulement en hébreu, « Yerushalayim », sans qu’il n’y ait plus mention du terme arabe usuel d’Al-Qods (la sainte), accolé entre parenthèses. Même dans la signalisation en lettres latines, « Jérusalem » deviendra « Yerushalayim ». La décision ne concerne pas seulement la Ville sainte, mais aussi Nazareth, la plus grande ville arabe d’Israël (appelée Nassera en arabe, Natzraz en hébreu) ainsi que d’autres grandes villes. D’autre part, selon le Centre palestinien d’information, pour mettre la main sur l’ancien bourg de la ville d’Al-Qods, les Israéliens ont consacré un milliard de dollars pour la judaïsation de leur prétendue « vallée sainte ». Un projet destiné à détourner quelque deux kilomètres et demi du côté sud-est de l’ancien bourg palestinien d’Al-Qods. Le projet, dont la réalisation s’étale sur quatre ans, comporte la construction d’un réseau de rues encerclant l’ancien bourg d’Al-Qods, changeant surtout le terrain au profit d’associations coloniales sionistes, ainsi que des bureaux officiels israéliens. Désormais, un Palestinien, même originaire de la région, ne pourra construire dans la zone se trouvant entre la montagne Mokabber et le quartier Al-Cheikh. Les sources juridiques du CPI précisent que le financement (plus d’un milliard de dollars) sera en partie pris en charge par des sionistes et des Occidentaux.

S’il est difficile de déterminer avec exactitude la provenance de ces fonds, elle reflète en revanche l’attitude européenne vis-à-vis d’Israël. L’Europe a toujours gardé une position indécise, ce à quoi Sobeih renchérit : « Il est temps que l’Europe abandonne sa position molle à l’égard de la politique israélienne ».

A l’heure actuelle, Benyamin Netanyahu sillonne l’Europe dans le but de convaincre les Européens de marginaliser les questions politiques au profit de la dimension humanitaire et financière. Et pour cause, les commentaires ne vont pas dans son sens. En effet, « le gouvernement allemand est d’avis qu’aucune nouvelle colonie ne devrait être construite dans les territoires occupés », déclarait le porte-parole adjoint du gouvernement, Klaus Vater. De son côté, la Russie appelait Israël à « stopper immédiatement » la colonisation. Présidente de l’Union européenne, la Suède a, quant à elle, rappelé que « ce genre d’action est illégale au regard du droit international », alors qu’Israël venait de donner son feu vert pour judaïser la partie est de Jérusalem. En effet, 596 logements ont été construits dans les implantations israéliennes de Cisjordanie depuis le début de l’année. Aujourd’hui, on dénombre plus de 300 000 colons juifs en Cisjordanie ainsi que 200 000 Israéliens vivant dans les quartiers de colonisation à Jérusalem-Est, selon le rapport « Contourner le gel de la colonisation » du mouvement anticolonisation La Paix maintenant.

Les rappels à l’ordre sont nombreux, mais les réprimandes concrètes se font discrètes. Si ce n’est la convocation de l’ambassadeur israélien aux Etats-Unis, copiée par la France, l’Europe brasse de l’air. Pourtant, il y aurait du mieux. Sous l’administration Bush « l’Europe ne se mêlait pas des histoires politiques d’Israël ». Comment expliquer, alors, ce regain d’intérêt diplomatique pour le dossier israélo-palestinien ? D’après Emad Gad, « depuis toujours, l’Europe attend de connaître le positionnement américain, puis elle s’aligne. Or, c’est la première fois que les Etats-Unis réclament le gel des colonies. L’Administration Bush avait pour habitude d’être en osmose avec la Knesset ». Dans un deuxième temps, le vieux continent doit aussi apprendre à composer avec la prise de conscience qu’a occasionnée l’offensive israélienne de 23 jours. En effet, des milliers d’Européens avaient manifesté de Stockholm à Rome en passant par Madrid et Copenhague pour condamner l’opération « Plomb durci », la plus violente depuis l’occupation des territoires palestiniens par Israël en 1967. Quoi qu’il en soit, « aussi longtemps que les Etats-Unis supporteront les actions dans les faits (avec quelques remontrances occasionnelles verbales), et tant que l’Europe fera mine de suivre, Israël continuera d’une manière ou d’une autre », avertit Noam Chomsky.

Rien de choquant de la part des Européens puisque les pays arabes eux-mêmes n’en font pas plus. Les pays de la Ligue arabe savent aussi faire preuve de mollesse lorsqu’il s’agit d’Israël. C’est d’ailleurs ce qui a poussé le cheikh Tayssir Al-Tamimi, haut expert juriste palestinien, à demander la grande Intifada des musulmans pour sauver la Ville sainte de l’occupation sioniste. Tout en évoquant les atrocités commises à l’encontre du peuple palestinien dans cette ville sainte, il a rappelé aux pays arabes et islamiques qu’il leur incombait de se soulever en bloc pour libérer la sainte Qods par une grande Intifada. Il a aussi reproché aux Etats arabes leur négligence envers la situation de cette ville sainte occupée. Et d’ajouter que « ces Etats ne se contentent pas de simples condamnations verbales et ne mènent pratiquement aucune démarche concrète. Les réactions des pays arabes face aux crimes des occupants de la Noble Qods sont très faibles ».

L’urgence de la situation doit être prise en compte, car la charge émotive et la capacité mobilisatrice de cet édifice religieux sont considérables dans tout le monde arabo-musulman.

Le mouvement du Hamas, quant à lui, n’a pas choisi de garder le silence. Il a mis en garde contre les tentatives israélo-américaines d’internationaliser la mosquée sainte d’Al-Aqsa, et de judaïser la ville d’Al-Qods occupée.

Le mouvement palestinien a refusé les tentatives de remettre le contrôle de la mosquée sainte d’Al-Aqsa au département israélien des antiquités au lieu du ministère jordanien des Waqfs.

Dans un communiqué publié par son bureau d’informations, le Hamas a appelé, le vendredi 28 août, les pays arabes et occidentaux à « ne pas permettre à l’occupation de faire passer ce plan dangereux ».

Dans un registre plus ferme, le chef du groupe Hezbollah, cheikh Hassan Nasrallah, a lancé : « Les Israéliens doivent comprendre que la destruction de la mosquée d’Al-Aqsa conduirait à la destruction de l’entité sioniste (Israël) (...) Nous ne devrions pas rester les bras croisés à attendre que l’événement arrive, pour ensuite pleurer et nous frapper le visage. Dès aujourd’hui, des dispositions devraient être prises, et des messages envoyés, pour empêcher les extrémistes ne serait-ce que d’oser penser à perpétrer un tel acte ».

En fait, ce sont les seuls cris d’appel à l’union et à la solidarité de la part des pays arabes. Sinon, c’est le silence complet. Emad Gad martèle : « Que ce soient les dirigeants arabes ou les organisations qui doivent assurer la pérennité d’Al-Qods, ils ne s’intéressent qu’à faire valoir leurs prises de positions. Ils prennent la parole, mais ça s’arrête là. Quant aux réactions concrètes pour sauver ce lieu saint, on ne les a pas vues jusqu’à présent ».

Cela étant, les manœuvres israéliennes perdurent. Les Etats-Unis et l’Europe blâment mais ne découragent pas, et les Etats arabes font preuve de mutisme. En d’autre terme, jusque-là, chacun est resté à sa place. Alors qu’il ne s’agit plus seulement du peuple palestinien, mais de la menace de destruction d’un symbole fort de l’islam.

Chaïmaa Abdel-Hamid
Maude Girard