Laurent Zecchini, Le Monde, jeudi 13 mars 2014
Un tournant historique ? A l’aune des vingt-trois années 
d’échecs successifs du « processus de paix », mieux vaut se garder des
 formules ressassées et des soi-disant dates-butoirs, lesquelles 
n’ont apporté aux deux peuples que des espoirs en miettes. Mais, le 29
 avril, Israéliens et Palestiniens parviendront au bout d’une 
logique. Celle des neuf mois de négociations qui avaient été impartis,
 fin juillet 2013, pour parvenir à un 
« accord-cadre » susceptible de favoriser la création d’un Etat 
palestinien et d’apporter une solution aux questions dites du « statut
 final » de leurs relations de coexistence : frontières, colonies, 
réfugiés, statut de Jérusalem, sécurité.
Plus de sept mois se sont écoulés, et tout porte à croire que les 
efforts déployés par le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, ont 
engendré une maigre moisson. L’ancien sénateur du Massachusetts n’est
 pas en cause, encore qu’il se soit illusionné en croyant que son 
opiniâtreté aurait raison d’une défiance réciproque enracinée par 
des décennies d’hostilités.
Son échec serait aussi celui du président Barack Obama, lequel, de 
l’Afghanistan à l’Irak, de la Syrie à l’Ukraine, ne collectionne pas 
les succès de politique étrangère. C’est pour cela que le chef de 
l’exécutif américain, jusque-là très discret sur ce dossier, 
s’implique aujourd’hui fortement, pour tenter de faire tomber 
quelques-unes des défenses de Benyamin Nétanyahou et Mahmoud Abbas.
En recevant le premier, le 3 mars à la 
Maison Blanche, M. Obama a dénoncé une politique de construction dans 
les colonies « plus agressive » que jamais. Nul doute qu’il aura des 
propos aussi fermes pour obtenir des concessions du second, qu’il 
accueillera le 17 mars. Mais la diplomatie
 américaine a désormais des ambitions limitées : elle tente d’obtenir
 du premier ministre israélien et du président de l’Autorité 
palestinienne un socle minimum de points de rapprochement pour 
convaincre les Palestiniens d’accepter une prolongation des 
négociations, au moins jusqu’à la fin de l’année.
M. Nétanyahou, dont la priorité est de faire perdurer l’impression 
qu’il recherche un accord de paix, n’y verrait que des avantages. 
Négocier, c’est gagner du temps. Sur quoi ? Dès lors que la solution 
à deux Etats est minée par une politique de colonisation 
systématique, bien malin qui peut dessiner la vision à long terme 
d’Israël de M. Nétanyahou. M. Abbas, qui est enclin à refuser toute 
prolongation de négociations apparemment stériles, est dans une 
position plus inconfortable. S’il persiste, il portera de facto la 
responsabilité d’avoir fait dérailler le processus de paix. 
Accusation injuste, eu égard à l’intransigeance de M. Nétanyahou ? Peu
 importe : la propagande israélienne est déjà à la manœuvre pour 
accréditer cette thèse.
M. Abbas devant un choix historique
Mahmoud Abbas n’ignore pas que la phase qui suivrait un constat 
d’échec est lourde d’incertitudes : demander à la communauté 
internationale de prendre ses responsabilités, s’efforcer 
d’obtenir l’adhésion de la Palestine aux agences des Nations unies, 
voire faire traduire des responsables israéliens devant la Cour 
pénale internationale, est une démarche aléatoire : la Palestine est 
devenue Etat observateur non membre de l’ONU en novembre 2012, mais ce fut une victoire éphémère.
In fine, l’Etat palestinien ne peut naître que d’une négociation de
 ses frontières avec Israël. Or, M. Nétanyahou sait qu’il dispose 
à Washington d’une oreille attentive s’agissant du préalable auquel il 
conditionne tout accord : les Palestiniens doivent reconnaître 
Israël comme « Etat-nation du peuple juif ». S’il s’agissait de 
rassurer le sentiment d’insécurité congénital d’Israël, la 
revendication pourrait être légitime.
Mais comme celle-ci n’a jamais été formulée en plus de vingt ans 
de négociations et n’a pas été exigée de l’Egypte et de la Jordanie 
pour signer un accord de paix avec Israël, les Palestiniens – qui ont 
reconnu « le droit d’Israël d’exister dans la paix et la sécurité » le 9 septembre 1993 
– ont quelque raison de soupçonner un prétexte pour justifier un état
 de négociation permanent. Ils fondent leur refus – qui a reçu le 
soutien de la Ligue arabe le 9 mars – sur 
des raisons de principe. Accéder à la demande de M. Nétanyahou 
sous-entendrait un renoncement au « droit au retour » des réfugiés, 
à tout le narratif de la présence des Palestiniens dans la Palestine
 historique, c’est-à-dire à leur expulsion en 1948
 pendant la « nakba » (la « catastrophe »). Or, celle-ci est tout 
aussi constitutive de la nation palestinienne que l’a été le rêve 
sioniste pour la nation israélienne.
Un tel aggiornamento saperait surtout les droits culturels, religieux et peut-être politiques des 20,5 % d’Arabes qui ont la nationalité israélienne. 575 000
 colons juifs résident aujourd’hui dans les territoires palestiniens
 occupés, où, forts du soutien de M. Nétanyahou, leur présence 
s’enracine : le nombre des nouvelles unités de construction a plus que 
doublé en 2013. C’est pour cela que 
M. Abbas est confronté à un choix véritablement historique : claquer
 la porte des négociations, c’est risquer d’être désigné comme le 
leader palestinien qui aura tourné le dos à la paix ; accepter leur 
prolongation, c’est entériner indirectement la poursuite de la 
colonisation, qui n’est rien d’autre que la mort lente du 
rêve palestinien…
Correspondant à Jérusalem 
 
