samedi 12 novembre 2011

Voyage en Palestine : Du Mur des Lamentations au Mur lamentable

vendredi 11 novembre 2011 - 07h:14
Irène Kaufer
Du 28 octobre au 4 novembre 2011, j’ai participé à un voyage en Palestine. Savoir est une chose, voir, entendre, sentir en est une autre.
Durant les semaines qui viennent, mon blog tentera de transmettre ce que j’ai vécu. Je ne prétends pas à une quelconque objectivité, ni à apporter des réponses sur une réalité d’une grande complexité. Rien de plus qu’un témoignage d’une personne particulière, à un moment particulier.
1. Du Mur des Lamentations au Mur lamentable (Jérusalem-Bethleem-Qalqilya)
Il court tout le long des routes, serpente sur les collines, coupe des villages en deux, enclave des maisons, isole et humilie : en Israël, le Mur de la Honte est bien plus visible, plus concret et plus significatif que le Mur des Lamentations.
700 km de long de « barrière de sécurité », dont une partie en béton surmonté de barbelés, érigée sous prétexte d’éviter les attentats suicide. Mais aussi - surtout ? - une façon de faire disparaître l’autre, le couper de ses terres et de l’accès à l’eau. Car la barrière ne se contente pas de suivre la « ligne verte », frontière reconnue par la communauté internationale ; elle empiète largement sur le territoire palestinien et va même jusqu’à encercler complètement une ville comme Qalqilya, 50 000 habitants coincés et coupés de leurs champs, dans l’une des régions les plus fertiles de Palestine.
Un seul point de passage pour les véhicules, qu’Israël peut bloquer à sa guise. Quant au check-point pour les piétons, la tension y est palpable, bien que l’on soit arrivés à une période plutôt calme. « No pictures ! » nous lance par haut-parleur une voix courroucée, tandis que les Palestiniens qui attendent de passer nous demandent de partir, notre présence rendant leur situation plus difficile. Des syndicalistes belges ont aménagé le passage en installant un lieu couvert et des toilettes, car les files et l’attente peuvent être longues.
Ici comme en beaucoup d’autres endroits, la gestion du check-point est sous-traitée à des compagnies de sécurité privées. C’est tout juste si notre guide, responsable aux relations internationales à la mairie, ne regrette pas le bon vieux temps de l’armée : avec l’officier, en cas de problèmes, on pouvait essayer de trouver des solutions. Rien de tels avec les « privés ». Avec eux, pas de quartier, le règlement ne connaît pas d’exceptions, sinon celles de leur propre arbitraire.
Le guide nous emmène vers l’un des coins du mur, situé juste à côté d’une école. Quelle horrible expérience quotidienne pour les enfants ! D’ici part aussi un boulevard qui auparavant, reliait Qalqilya à son environnement. Aujourd’hui ce boulevard est mort. Entre les rares voitures, on voit passer un attelage à cheval et un homme qui apprend à sa petite fille à rouler à vélo. Mais cela n’a rien de bucolique : ici, une ville est en train d’être asphyxiée.
(JPG)
Longer le mur sur des kilomètres donne une sensation d’étouffement. Que dire alors des habitants de Bethléem et notamment de ceux qui habitent le long du mur ? Une maison en particulier, autrefois bien située sur la route vers Jérusalem, est désormais enfermée au bout d’une impasse qui ne mène nulle part et où l’eau s’accumule rapidement en cas de pluie, formant une mare peu ragoûtante, le mur bloquant toute évacuation. Celle qui tient le commerce propose des objets artisanaux et aussi des chambres d’hôtes avec petit déjeuner biologique. Mais il faut avoir l’esprit militant bien accroché pour loger là, et se réveiller le nez dans le mur...
Le mur court ensuite sur les collines et bloque l’accès vers Jérusalem. Les Palestiniens qui n’ont pas les bons papiers n’ont pas le droit de le franchir. On peut passer à pied, genre contrôle d’aéroport avec obligation d’ôter ses chaussures, sauf qu’ici, il n’y a pas de rapport humain, seulement une voix passant par un haut-parleur et un tourniquet où on passe un par un. Quant au bus qui relie Bethléem à Jérusalem, il doit aussi s’arrêter au check-point pour un contrôle d’identité : on voit monter des gardes lourdement armés et les hommes jeunes (moins de 45 ans) doivent descendre et passent à pied. Même si, avec nos passeports belges et nos têtes de touristes innocents, nous n’avons pas subi les mêmes contrôles soupçonneux que ceux que vivent quotidiennement les Palestiniens, c’est une expérience désagréable.
Pourtant, ce mur-là ne retentit guère de lamentations. Il accueille des slogans, des dessins, des peintures dont certaines sont de vraies oeuvres d’art. Elles appellent surtout à la paix et imaginent mille façons de traverser ce maudit mur, que ce soit par le saut à la perche, l’envoi vers le ciel des cerfs-volants multicolores ou la charge d’un rhinocéros faisant exploser le béton... Certains commerçants s’en servent pour indiquer le chemin de leur boutique, un restaurateur a choisi d’y afficher son menu.. L’imagination pallie le manque de liberté. Le tenancier d’une boutique de souvenirs propose même une bombe de peinture aux passants pour laisser la trace de sa propre colère.
Mais la palme de l’imagination est l’oeuvre des Israéliens eux-mêmes : à l’entrée du check-point, où tous seront arrêtés, certains fouillés et d’autres empêchés de passer, un grand panneau proclame en trois langues : « Welcome in Jerusalem ». Bienvenue chez les cyniques...
(JPG) Féministe, syndicaliste, résolument à gauche, Irène Kaufer pose son regard et sa langue acérés sur l’actualité, et de préférence les sujets orphelins. Elle a vécu enfant en Israël et voulait aller voir sur place, pour mieux témoigner, la vie des Palestiniens".
09/11/2011
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