mardi 2 août 2011

A la veille du Ramadan, une grave crise financière frappe les territoires occupés

Cisjordanie - 1 août 2011
Par Khaled Amayreh
Muhammed et Sarah Sawabha vivent dans un quartier de la classe moyenne à Ramallah, avec leurs six enfants, dont deux étudiants. Muhammed a un diplôme universitaire en science et touche un salaire mensuel d'environ 800$US (556€) comme enseignant dans une école locale. Sa femme, qui est diplômée en langue et littérature arabes, gagne à peu près le même salaire en enseignant l'arabe dans l'une des plus grandes et des plus prestigieuses facultés, dans la banlieue de Ramallah.
A la veille du Ramadan, une grave crise financière frappe les territoires occupés
Comme beaucoup d'autres familles palestiniennes, les Sawabhas ne sont pas prêts pour le mois saint de Ramadan, pendant lequel les dépenses des familles augmentent considérablement.
"Nous nous battons pour joindre les deux bouts. Mais c'est la première fois que nous sentons que nous luttons sur de nombreux fronts et que nous perdons," dit Muhammed.
La famille, qui n'est pas propriétaire de sa maison, paie un loyer annuel de 3000$ (2100€). Et avec l'augmentation des frais de scolarité, des dépenses scolaires et la disparition des aides du gouvernement, il ne leur reste que peu d'argent pour vivre décemment.
Sa femme acquiesce. "Nous sommes vraiment mécontents ; nous n'avons reçu que la moitié de nos salaires ce mois-ci. C'est maintenant la fin du mois, et nous n'avons pas encore touché l'autre moitié. Ramadan arrive et le gouvernement continue de nous dire d'être patients, mais jusqu'à quand ?"
Muhammed explique qu'avec le Ramadan "qui frappe à la porte", avec la nouvelle année scolaire dans quelques semaines et avec trois écoliers prêts à aller à l'école à la mi-septembre, il ne sait absolument pas comme il pourra faire face à ses obligations financières.
"Je ne sais pas quoi faire. Mais 'Allah befrejha', Dieu nous aidera à surmonter le problème," dit l'enseignant de 48 ans, les yeux tournés vers le ciel.
Selon des responsables de l'Autorité palestinienne, la crise financière actuelle qui frappe les territoires occupés est probablement la plus grave de mémoire d'homme, en tous cas depuis l'établissement de l'Autorité palestinienne suite à la conclusion des Accords d'Oslo entre Israël et l'OLP en 1993.
Les racines de la crise sont diverses. Les causes directes comprennent la défaillance des donateurs principalement arabes qui n'ont pas honoré leurs engagements envers une AP à court de liquidités et qui vit sur un budget serré, dont la part du lion sert à payer les salaires des quelques 160.000 fonctionnaires et employés publics.
La semaine dernière, le président de l'AP Mahmoud Abbas a supplié les Etats arabes de "nous sauver de la chute." Il a expliqué que la crise actuelle était réelle, disant que son gouvernement à Ramallah étant dans l'incapacité de payer les salaires et de faire face à ses obligations financières urgentes.
Certains Etats arabes ont réglé leur aide financière promise à l'AP en trainant des pieds, se plaignant de l'étendue de la corruption et de la mauvaise gestion financière de l'autorité.
D'autres comme le Koweit en ont assez de l'impuissance chronique de l'AP ou de son incapacité à se passer de l'aide étrangère.
Un autre facteur clé qui contribue aux problèmes financiers récurrents que connaît l'AP vient d'un establishment sécuritaire inutilement gonflé qui engloutit une énorme part du budget palestinien.
L'AP a 80.000 personnels de sécurité. Cette force pléthorique, instituée sur les instructions des pays donateurs occidentaux, en particulier les Etats Unis, coûtent jusqu'à 50 millions de dollars par mois.
Les divers services de sécurité palestiniens ne font pratiquement rien à part contrôler la population palestinienne, y compris empêcher toute forme de résistance active contre l'occupation israélienne.
Des experts en matière de sécurité ont estimé que pour le maintien de la loi et de l'ordre, la communauté palestinienne de Cisjordanie n'a pas besoin de plus de 10.000 à 20.000 agents de sécurité civile.
Toutefois, l'AP pense que l'énorme force sécuritaire est nécessaire pour protéger sa propre survie, en particulier face à une possible révolution, et aussi pour empêcher que se reproduise ce qui s'est passé dans la Bande de Gaza en 2007 lorsque le Mouvement de libération islamique, Hamas, a arraché le contrôle de l'enclave côtière des mains des milices du Fatah qui tentaient, avec une aide vigoureuse des Etats Unis, de renverser le gouvernement démocratiquement élu du Hamas.
Il y a quelques années, l'AP a obligé des milliers d'activistes pro-Arafat au sein des services de sécurité à prendre une retraite anticipée, redoutant une possible révolte contre la politique de Mahmoud Abbas et de son gouvernement pro-occidental, dirigé par Salam Fayyad, qui est largement considéré comme antipatriotique ou pas suffisamment patriote.
Cependant, pour apaiser ces gens, dont beaucoup d'entre eux étaient dans leurs 30è ou 40è années, le gouvernement Fayyad leur a versé de grosses retraites, atteignant dans certains cas 4.000 $ par mois, une somme qui est considérée comme une retraite de rêve même pour les professeurs d'université de plus haut rang qui perçoivent des pensions comparativement modestes.
Puis il y a le vampire de la corruption qui mine la structure financière de l'AP que les vagues de gouvernements palestiniens successifs n'ont pas réussi à endiguer. On parle de centaines de millions de dollars perdus chaque année à cause de la corruption. Certains observateurs pensent que l'AP est tellement infestée par la corruption qu'il faudrait pour l'éradiquer une intervention chirurgicale totale qui contrarierait et éloignerait des segments importants de la hiérarchie.
Un économiste palestinien a récemment estimé que "la corruption au sein du système financier de l'AP est structurelle. J'ai peur qu'on ne puisse l'éliminer sans éliminer la structure globale de l'AP."
Il est vrai que les indications de corruption sont à un moindre niveau qu'il y a cinq ou six ans, quand les détournements de fonds, le népotisme, le favoritisme et les pots-de-vin étaient plus la norme que l'exception.
De plus, le gouvernement de l'AP a fait preuve de détermination et de volonté dans la lutte contre la corruption, en particulier dans ses formes les plus criantes. Pour exemple, un tribunal spécial a été créé pour poursuivre les fonctionnaires corrompus.
Le président du tribunal, Rafik Natshe, leader vétéran du Fatah et ancien président du Conseil législatif, a récemment ordonné que deux ministres comparaissent devant un panel spécial de juges pour être interrogés sur des allégations de mauvaise gestion financière.
Cependant, il y a ceux, et ils sont nombreux, qui pensent que les efforts de l'AP sont "trop faibles et trop tardifs" et que l'AP doit déclarer que la lutte contre la corruption est une véritable priorité nationale.
Quelques-uns des problèmes fondamentaux qui exacerbent les problèmes financiers récurrents qui frappent l'AP viennent du fait qu'elle n'est pas un Etat souverain, ni même un semi-Etat puisque Israël continue de contrôler les passages frontaliers palestiniens, les ressources financières, les taxes et autres composantes d'un processus économique sain.
Ces derniers mois, en particulier depuis que la direction de l'AP a annoncé qu'elle déposerait la candidature d'un Etat putatif palestinien pour une reconnaissance par l'ONU, Israël a suspendu le transfert des taxes de douanes au gouvernement palestinien de Ramallah. L'étranglement financier n'a été desserré qu'après que l'AP ait exhorté l'administration Obama et les Etats européens à faire pression sur Israël pour qu'il reconsidère la mesure draconienne à laquelle il a recours chaque fois que l'AP refuse d'être à sa disposition.
Enfin, comme nombre d'intellectuels palestiniens et étrangers ont averti, construire une économie prospère avec un système financier solide sous une occupation militaire étrangère est une illusion. C'est la raison pour laquelle la situation financière critique que rencontre l'AP est le prix qu'elle paie, ainsi que le reste de la population palestinienne, pour s'être aventurée à mettre la charrue avant les bœufs en essayant d'édifier un Etat avant la libération d'une des plus criminelles et des plus diaboliques occupations militaires de l'histoire. 
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