Nora Barrows-Friedman - The Electronic Intifada
          Plusieurs soldats israéliens ont été cités comme témoins à la  Cour de Haifa en début de semaine, lors des auditions du procès de  Corrie contre l’état d’Israël. Le procès traîne en longueur, mais des  années après le meurtre de Rachel Corrie, l’impunité d’Israël fait  l’objet d’un sérieux examen et est remise en question.         

le  16 mars 2003, Rachel Corrie a été délibérément écrasée par un bulldozer  de l’armée israélienne. Rachel tentait avec d’autres militants  pacifistes d’empêcher la démolition d’une maison palestinienne dans la  bande de Gaza.
Il y a huit ans, la militante américaine du Mouvement de  Solidarité, Rachel Corrie, a été écrasée par un bulldozer blindé  Caterpillar D9 de fabrication étasunienne à Rafah, au sud de la bande de  Gaza occupée.
Corrie, qui portait un gilet fluorescent orange et  parlait dans un porte-voix, essayait d’empêcher la démolition de la  maison d’une famille palestinienne par l’armée dans le corridor de  Philadelphie, une large bande de terre de Gaza qui longe la frontière  égyptienne en coupant Rafah en deux et dans laquelle des centaines de  maisons ont été démolies de 2002 à 2004 selon les rapports sur le  terrain de l’association des droits de l’homme Human Rights Watch.
Après des années de procédures légales, les parents de  Rachel Corrie, Cindy et Craig, ont réussi à faire comparaître des  soldats qui étaient en service ce jour-là à Rafah devant la Cour de  Haifa. Les auditions ont commencé en mars 2010 et se sont poursuivies en  septembre, novembre et au début de cette semaine.
Les parents de Rachel Corrie ne demandent qu’un dollar  de dommages et intérêts à l’armée israélienne mais l’accusent d’être  responsable de la mort injustifiée de leur fille et de négligence  criminelle.
Des témoignages oculaires d’autres militants du  Mouvement International de Solidarité (ISM), attestés par des preuves  photographiques, indiquent que Rachel a été écrasée par l’énorme lame  d’un bulldozer et est morte peu après. L’armée israélienne et les hommes  de loi qui la défendent, prétendent que la mort de Rachel était un  accident, que le conducteur du bulldozer ne l’avait pas vue et que ce  n’est pas la lame qui l’a tuée mais plutôt un tas de cailloux que le  bulldozer a projeté sur elle en rasant la maison.
Dans leurs témoignages, les soldats affirment  inébranlablement que tous les Palestiniens de ce secteur étaient armés  et considérés comme dangereux par l’unité militaire et que les ordres  étaient de tirer pour tuer quand ils démolissaient des maisons. Ils  sous-entendent par là que Rachel et les autres militants du Mouvement se  sont mis eux-mêmes en danger en pénétrant dans une zone militaire  fermée et que par conséquent ni les soldats ni leurs chefs ne peuvent  être considérés comme responsables de sa mort.
Mais la question que le juge s’est bien gardé de  soulever c’est comment et pourquoi les soldats et leurs bulldozers  blindés se trouvaient à cet endroit. Les soldats et leurs chefs  obéissaient à l’ordre de démolir les maisons dans le corridor de  Philadelphie - le nom qu’Israël donne à la bande de terre [d’environ 10  km de long NdT] qui lui sert de zone tampon entre Gaza et l’Egypte. Ces  démolitions ont commencé en 2002 et se sont poursuivies au cours des  deux années suivantes provoquant le déplacement de milliers d’habitants.  Selon Human Rights Watch, après que les maisons aient toutes été  démolies, un mur de fer a été érigé le long du corridor de Philadelphie  ("Razing Rafah," 17 October 2004). La démolition des maison  palestiniennes est une violation de l’article 53 de la Quatrième  Convention de Genève qui stipule que "Toute destruction par une  puissance occupante de biens immobiliers ou personnels appartenant  individuellement ou collectivement à des personnes privées.... est  interdite, sauf si cette destruction est rendue absolument nécessaire  par des opérations militaires."
Israël qui a signé la Convention, prétend que la loi "ne  s’applique pas à son occupation de la Cisjordanie et de la bande de  Gaza," selon un rapport détaillé d’Amnistie Internationale ("Document - Israel and the Occupied Territories : Under the rubble : House demolition and destruction of land and property," 17 May 2004).
Amnistie Internationale ajoute que "Des évictions  forcées opérées sur une telle échelle violent le droit des habitants au  logement, qu’on les justifie par des "besoins sécuritaires/militaires"  ou l’application de lois de planification ou qu’elles soient une forme  de punition collective. Selon le droit international, il est interdit  aux états de procéder par la force à des évictions."
Les forces d’occupation ne se sont pas privées de violer  abondamment le droit international - et ce sont ces violations  auxquelles Rachel Corrie et ses camarades militants s’opposaient et  qu’ils voulaient empêcher.
S.R., le commandant d’une unité de l’armée israélienne  qui a témoigné mercredi et dont le visage était dissimulé par un écran  pour que les Corrie ne puissent pas le voir, a dit que "aucune des  maisons [qui avaient été rasées dans le secteur] n’étaient habitées...  Elles servaient toutes de bases à des activités terroristes."
C’est une allégation mensongère ; la maison que Rachel  essayait de protéger était habitée par la famille Nasrallah. Ni le Dr.  Samir Nasrallah, un pharmacien, ni les membres de sa famille qui  habitaient cette maison n’ont jamais été accusés "d’activités  terroristes" par l’armée israélienne. Le Dr Nasrallah n’a jamais  représenté la moindre menace pour l’armée ni le gouvernement israéliens  la preuve c’est qu’Israël l’a même autorisé à aller aux USA animer une  tournée d’information avec les Corrie -déplacement qu’un Palestinien  soupçonné d’avoir des liens avec des terroristes n’aurait jamais pu  faire.
Quand j’ai assisté à une série d’auditions en septembre  dernier, un autre responsable de l’entraînement militaire a affirmé avec  impudence que "en temps de guerre, il n’y a pas de civils". Craig  Corrie m’a dit que cette aveu avait été un choc pour sa famille et ceux  qui les accompagnaient au procès mais pas une surprise vu la manière  dont se comportait l’armée depuis le début.
A Gaza ce n’était pas une guerre ; c’était -et c’est  toujours- une occupation militaire agressive, meurtrière et inégale  infligée au million et demi de résidents de Gaza.
Human Rights Watch affirme que, le long de la frontière  avec Israël cette fois, 2500 maisons de Gaza ont aussi été détruites de  2002 à 2004 après l’éclatement de la deuxième Intifada, pour que l’armée  puisse réaliser ce qu’elle appelle la "zone tampon". La zone tampon est  une bande de terrain de 300 mètres de large, un no-man’s land  militarisé, le long de la frontière avec Israël qui a privé Gaza de   plus de 35% de ses terres cultivables -et coûté la vie à plus de 100  Palestiniens tués par l’armée par balles depuis mars 2010.
En plus de la famille Corrie, assistaient aux audiences  des militants, des journalistes et des observateurs spécialisés dans le  droit de l’Ambassade des USA, the National Lawyers Guild, Human Rights  Watch, Al-Haq, Avocats Sans Frontieres, Amnesty International, Yesh Din  et d’autres organisations des droits de l’homme et des droits civils  internationales, palestiniennes et israéliennes.
Dans un communiqué de presse, Zaha Hassan de the  National Lawyers Guild (l’association nationale des avocats) a dit "cela  fait maintenant huit ans que la famille de Rachel et nous tous qui  venons au procès pour les soutenir, nous attendons qu’on nous dise  pourquoi le commandant de l’unité à ordonné au conducteur du bulldozer  de passer sur l’endroit même où Rachel était en train de crier dans un  porte-voix" ("National Lawyers Guild Free Palestine Subcommittee to Observe Resumption of Trial Brought by Family of Slain Peace Activist Rachel Corrie," 4 April 2011).
Hassan a ajouté : "La justice exige qu’on réponde à ces  questions et qu’on demande des comptes à ceux qui sont responsables de  sa mort."
Mercredi, le juge, Oded Gershon, a avoué fièrement en  pleine Cour, qu’il avait été juge militaire plus tôt dans sa carrière.  On ne sait pas encore si son parti pris en faveur de la politique de  l’armée influencera la décision finale dans l’affaire Corrie, mais  l’événement dans son entier constitue un précédent d’une importance  capitale.
Des soldats israéliens responsables de la démolition de  maison et du meurtre de Palestiniens et d’internationaux peuvent  désormais être amenés devant la justice. Les ordres militaires sont  méticuleusement examinés. Des fissures dans le système extrêmement  solide de l’impunité militaire commencent à apparaître et les Corrie  sont déterminés à élargir ces fissures pour que d’autres familles  endeuillées puissent elles aussi demander justice.
La prochaine série d’auditions commence le 22 mai et la  salle du palais de justice sera à nouveau bondée. Pour les Corrie et les  membres des innombrables familles palestiniennes qui attendent depuis  le début de l’occupation israélienne en 1948 qu’on leur rende enfin  justice, le processus légal est peut-être pénible et douloureux mais il  est vital. Cela fait trop longtemps qu’on attendait ça.
* Nora Barrows-Friedman  est une journaliste indépendante primée qui écrit pour The Electronic  Intifada, Inter Press Service, Al-Jazeera, Truthout et d’autres organes  de presse. Elle fait régulièrement des reportages en Palestine.
On peut trouver le résumé des auditions et d’autres informations sur le site web de la fondation de Rachel Corrie à l’adresse : http://www.rachelcorriefoundation.org.
8 avril 2011 - The Electronic Intifada - Pour consulter l’original : 
http://electronicintifada.net/v2/ar... Traduction : Dominique Muselet
 
 
