vendredi 29 avril 2011

Katia Clarens fait le récit de cinq mois d’immersion à Gaza. Un témoignage fort.

29/04/2011
« J’ATTENDS LE JOUR où, avec mes amis, je franchirai le poste frontière israélien parce qu’ils seront libres de circuler. Il n’est pas interdit de rêver que nous assisterons, comme il en fut à Berlin, à la chute de ce mur. Et que nous danserons sur ses décombres ». Grand reporter au Figaro Magazine, Katia Clarens a choisi d’aller au-delà de l’écume des événements en passant cinq mois en territoire assiégé. Elle avait déjà été l’une des premières à pénétrer dans l’enclave palestinienne, le 16 janvier 2009, sous les bombardements israéliens, lors de l’opération Plomb durci, qui fit 1.300 morts, des civils pour la plupart.
Elle s’était alors liée d’amitié avec une famille de Rafah, au Sud de la bande de Gaza. Suffisamment pour revenir et partager, toute une saison, le quotidien de ces gens soumis à l’interdiction de circuler, au blocus, aux tirs, à des conditions sanitaires désastreuses. En vivant les joies et les peines de Ziad, Lina, Shereen, Raïda et bien d’autres, la journaliste française a évité l’écueil du militantisme pro-palestinien qui aurait dénaturé son récit en le rendant partisan. Son livre, « Une saison à Gaza », c’est d’abord l’histoire de gens comme nous, comme tout le monde, pris dans l’horreur d’un conflit qui les dépasse. Ils rient, ils espèrent, ils s’amusent, ils se marient, ils vont à la plage mais leur vie est sous embargo. Ils sont les victimes d’une prise d’otages à l’échelle d’un pays. Nulle part, ailleurs dans le monde, en toute impunité, une Nation n’ose enfermer derrière de hauts murs une population de 1,5 million de personnes, et la soumettre aux privations, à l’interdiction de voyager, à la menace permanente des bombardements.
« Ce blocus est inhumain et illégal »
Ce déni de justice, c’est John Ging, représentant sur place des Nations-Unies (UNRWA), qui le décrit froidement, interviewé par la journaliste française. « La situation est physiquement et moralement intolérable. Quatre-vingt-quinze pour cent du secteur privé a été détruit. Quatre-vingt pour cent de la population reçoit une aide alimentaire sans laquelle elle souffrirait de la faim. Quatre-vingt-dix pour cent de l’eau est polluée et donc impropre à la consommation. Soixante mille foyers ont été endommagés ou détruits durant la guerre de 2009 et il n’y a pas de reconstruction. Ce blocus est inhumain et illégal. Il est interdit, eu égard aux lois internationales de maintenir un siège qui affecte toute une population. Sept cent cinquante mille enfants en payent le prix chaque jour ».
Katia Clarens, en sa qualité de femme et de journaliste, a côtoyé toutes les strates de la société gaziote. Elle a vécu le quotidien d’une famille. Elle a aussi approché les cadres du Hamas, qui règne en maître sur Gaza, mais aussi les salafistes rattachés à Al-Qaïda dont le but ultime est d’établir un califat islamique sur la terre entière au terme d’une guerre sainte sans fin. Ce sont eux qui ont, tout récemment, enlevé et pendu le militant pacifiste italien Vittorio Arrigoni. Un homme dont Katia Clarens évoque le souvenir avec une émotion non dissimulée. De retour à Paris, attablée dans une brasserie, face à la gare du Nord, elle reçoit un SMS. Ses amis de Gaza l’informent, en direct, que trois des assassins ont déjà été retrouvés par le Hamas. Deux ont été abattus. Le sort du troisième n’est pas enviable.
On ne revient pas indemne de Gaza. Surtout lorsqu’on travaille avec son cœur autant qu’avec sa plume.
Ludovic BASSAND
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