mercredi 23 février 2011

La « Tahririsation » et l’État de la démocratie israélienne

mercredi 23 février 2011 - 07h:13
Ahmad Tibi - Miftah 
Les récents développements posent un défi au Président Obama et aux décideurs politiques américains, mais ils offrent aussi une opportunité extraordinaire pour corriger une politique américaine vieille de plusieurs décennies et qui a échoué au Moyen-Orient et pour se placer sans ambiguïté du bon côté de l’histoire.
Les bouleversements politiques en cours, qui ont débuté en Tunisie et se sont propagés avec succès en Égypte et ailleurs dans la région, témoignent d’une volonté croissante des peuples du Moyen-Orient de vivre dans des sociétés libres et démocratiques. Après des décennies de souffrances sous des régimes non démocratiques, ils ont finalement commencé à émerger d’une répression étatique imposée par des gouvernements soutenus par les États-Unis.
Les autres peuples arabes espèrent aussi parvenir à la liberté et briser le carcan de leurs États totalitaires. Certains États arabes sont, en réalité, bien plus problématiques que l’Égypte et la Tunisie. Leurs citoyens méritent, eux aussi, la liberté et des réformes démocratiques.
Les récents développements posent un défi au Président Obama et aux décideurs politiques américains, mais ils offrent aussi une opportunité extraordinaire pour corriger une politique américaine vieille de plusieurs décennies et qui a échoué au Moyen-Orient et pour se placer sans ambiguïté du bon côté de l’histoire. Dans les rues du Caire, les manifestants ont demandé pourquoi le gouvernement américain ne s’était pas exprimé plus tôt, avec plus de force et sans équivoque aux côtés de ces jeunes Égyptiens courageux qui exigeaient leurs droits et qui aujourd’hui, avec passion, célèbrent le départ du Président Hosni Moubarak. Nous admirons tous ces jeunes chefs de file de la Place Tahrir. D’un bout du Moyen-Orient à l’autre, nous espérons que cette "Tahririsation" s’étendra aux autres pays arabes, et au Palestiniens en quête de leurs droits en Israël.
Les représentants du gouvernement de cet autre allié clé de l’Amérique dans la région qu’est Israël observent la vague d’insurrections populaires et s’inquiètent beaucoup. Les dirigeants israéliens se vantent fréquemment d’être la "seule démocratie au Moyen-Orient", ce qu’ils ne disent pas, c’est qu’ils aimeraient bien pouvoir continuer à le dire.
Pendant que des régimes autoritaires parrainés par les États-Unis, en Égypte et en Tunisie, glissent hors de l’orbite géopolitique de l’Amérique et vers des sociétés plus ouvertes et démocratiques, Israël s’en va dans la direction opposée avec une politique qui s’oriente vers l’extrême droite, le racisme anti-arabe et l’intolérance, et vers une contestation toujours croissante. Le ministre des Affaires étrangères d’Israël veut que les citoyens palestiniens jurent fidélité à Israël en tant qu’État juif ; les rabbins, employés du gouvernement, demandent aux juifs de ne pas louer de propriétés aux Palestiniens ; les enseignants israéliens se plaignent d’un racisme anti-arabe rampant et virulent parmi leurs élèves ; de nouvelles lois visant à interdire aux Palestiniens de vivre dans des villages soi-disant communautaires ont été votées. Bref, les droits en Israël sont réservés aux juifs, et aux juifs seulement.
Sans surprise, les libertés démocratiques s’érodent à un rythme alarmant, même pour les juifs israéliens. Les organisations israéliennes de défense des droits humains et les ONG de gauche sont soumises aux attaques des activistes d’extrême droite et du gouvernement le plus extrémiste, le plus raciste de l’histoire d’Israël. La Knesset israélienne va bientôt ouvrir une enquête sur le financement de ces organisations israéliennes, dans le cadre d’une campagne plus large visant à leur supprimer toute activité et à les empêcher d’informer sur les violations israéliennes des droits humains. Le climat politique en Israël aujourd’hui rappelle celui du Sud de Jim Crow aux États-Unis, dans les années cinquante, du temps du Maccarthysme. Les gens de conscience refusent de participer à ces chasses aux sorcières.
Les Palestiniens en Israël et dans les Territoires occupés souffrent de la plupart de ces mêmes injustices que connaissent les peuples des régimes totalitaires, et même davantage : les tortures et les mauvais traitements de la main d’un appareil sécuritaire étatique répressif ; les bombardements, au phosphore blanc, les exécutions ; les inégalités systémiques, à la fois raciales et économiques ; le manque de libertés politiques ; la pauvreté - dans notre cas, conséquence d’une politique délibérée du gouvernement israélien. Et ce sont les mêmes grenades lacrymogènes, made in USA, qui sont tirées sur les manifestants du Caire, de Tunis et de Cisjordanie. Les manifestants palestiniens en Israël se font abattre dans la rue.
Alors que les mouvements populaires arabes s’efforcent d’instaurer la démocratie et que les responsables israéliens s’orientent vers des entraves aux libertés civiles, il devient de plus en plus évident que le mot démocratie, en parlant d’Israël, est impropre. Au mieux, il s’agit d’une ethnocratie, où seuls les juifs profitent de leurs pleins droits et privilèges de citoyens. Aujourd’hui, il existe de facto un système virtuel de castes à l’intérieur des territoires contrôlés par Israël, avec les colons juifs d’Israël au sommet, et les Palestiniens musulmans et chrétiens dans les Territoires occupés tout en bas. De plus en plus, les peuples dans le monde reconnaissent cette situation pour ce qu’elle est : un apartheid. Les anciens Premiers ministres israéliens, Ehud Olmert et Ehud Barak avaient tous deux prévenu d’un avenir d’apartheid si le statu quo était maintenu, et le chroniqueur pro-israélien, Thomas Friedman, a récemment fait de même.
Les dirigeants israéliens, n’ayant pas su utiliser les trente années de paix froide avec l’Égypte pour négocier une paix israélo-palestinienne, continuent d’aider au moins de changement possible au statu quo égyptien, craignant un avenir où la société civile égyptienne restructurerait son gouvernement, ses relations extérieures et ses relations avec les Palestiniens. Israël et les États-Unis vénèrent la prétendue "stabilité" qui se fait aux dépens des peuples privés de leurs droits, en Égypte, dans les Territoires palestiniens, et en Israël lui-même. Ce genre de fausse stabilité, qui rappelle l’ère de la Guerre froide en Afrique du Sud, doit être revu.
Contrairement à certains à la Knesset, je ne crois pas à l’existence de la menace d’une nouvelle guerre israélo-égyptienne. Le vrai danger pour Israël avec ces changements démocratiques, c’est que les dirigeants arabes soient de plus en plus enclins à écouter leur peuple et à exiger qu’Israël se conforme au droit international vis-à-vis des Palestiniens. Ce serait un formidable pas en avant.
Le Président Obama doit se saisir de ce moment de l’après Moubarak pour rompre avec la démarche qui a discrédité l’Amérique en mettant Israël toujours en premier, et qui a abouti à un appui malavisé de l’Amérique aux autocrates. Mais, en repensant à ses liens avec les dictateurs arabes, l’Administration Obama devrait aussi examiner les dangers que représente une "démocratie" israélienne difforme, qui foule aux pieds les droits des Palestiniens dans les Territoires occupés comme en Israël. Le moment est venu pour une approche américaine fondamentalement nouvelle pour le Moyen-Orient dans son ensemble, une approche fondée sur les valeurs nobles américaines de liberté et de démocratie.


Du même auteur :
Qui est le Dr Ahmed Tibi ?
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Ahmad Tibi est citoyen palestinien d’Israël, vice-président à la Knesset, le parlement israélien.
Dr Ahmed Tibi est un homme politique arabe israélien né le 19 décembre 1958 (son nom est orthographié Ahmad Tibi dans les publications anglophones, en arabe أحمد الطيبي).
Il fut conseiller du président de l’Autorité palestinienne Yasser Arafat et membre de la délégation palestinienne qui négocia les Accords de Wye Plantation, en 1998. Il démissionne de ses fonctions en 1999 pour se présenter à la Knesset. Il est élu sur la liste d’union arabe pour le parti Ta’al (Mouvement arabe pour le renouveau).
En 2002, le député d’extrême-droite Michael Kleiner engage une action contre lui pour le priver du droit de se rendre dans les territoires palestiniens occupés au motif qu’il assisterait la Résistance palestinienne contre Israël. En définitive, la Cour suprême s’oppose à cette restriction du droit de circulation du parlementaire.
En 2003, à l’initiative du député du Likoud Michael Eitan, Ahmed Tibi est privé du droit de se représenter aux élections par la Commission électorale nationale, mais cette décision est annulée par la Cour suprême et il est réélu.
En février 2006, Ta’al, le parti laïque d’Ahmed Tibi, a constitué une coalition avec le parti islamique d’Ibrahim Sarsur. Tous deux ont affirmé leur volonté de défendre l’identité culturelle et religieuse des arabes israéliens face à un système juridique qui prive les non-juifs de l’exercice de leurs droits.
Il est membre de la conférence « anti-impérialiste » Axis for Peace.
19 février 2011 - Miftah - traduction : JPP
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