vendredi 3 décembre 2010

Les Zones Franches de Palestine : un système économique carcéral

Publié le 1er-12-2010

Dans cette étude approfondie, Sam Bahour analyse et dénonce la vaste entreprise d’assujettissement du peuple palestinien que constitue le développement des Zones Franches, sous la houlette de différentes puissances, la France en premier lieu. Sam Bahour est un entrepreneur américain, né et élevé aux Etats-Unis, de père palestinien et de mère libano-américaine. En 1993, enthousiasmé par les accords d’Oslo et alors qu’il est âgé d’à peine 30 ans, Bahour émigre en Cisjordanie, pour participer à ce qu’il croit être l’édification d’un prochain Etat palestinien indépendant et prospère, en paix avec son voisin Israël.
Deux décennies et de terribles désillusions plus tard, Sam Bahour* continue de résister et de s’accrocher à sa patrie. (Merci à Anne-Marie Perrin pour la traduction en français de cet article, publié en anglais sur le site de l’agence palestinienne Maan)
Zones économiques carcérales, publié le 20 novembre 2010. Le 8 avril 2010, le ministre français de l’industrie, Christian Estrosi, plante un arbre lors de la cérémonie inaugurale du Parc Industriel de Bethléem, à proximité de la ville de Bethléem en Cisjordanie. L’Autorité Palestinienne pour le Domaine Industriel et de Zones Franches (PIEFZA) a signé un accord avec le groupe privé franco-palestinien BMIP (Parc Industriel Polyvalent de Bethléem) pour développer une zone industrielle en Cisjordanie, juste à l’extérieur de Jérusalem. La France paiera jusqu’à 10 millions d’euros pour le financer.
Lorsqu’un projet mêle les mots euphoriques d’emploi, développement économique et coopération israélo-palestinienne, comment quelqu’un peut-il s’en plaindre ?
Ces choses-là font partie de celles que la communauté internationale a promis d’apporter à travers la construction de zones industrielles de libre-échange dans les Territoires Palestiniens Occupés. La promotion locale et globale du modèle de zone franche a été assurée durant deux décennies par des tiers puissants tels que les Etats-Unis, la France, l’Allemagne, la Turquie et le Japon, mais aucun n’a beaucoup à faire valoir en regard des efforts et des sommes énormes mis pour amener ces zones à exister.
Néanmoins, les promoteurs du projet attendent de ces zones qu’elles constituent le soubassement économique d’un futur Etat palestinien. Ils espèrent que, en soutenant l’économie palestinienne, les zones rendront les Palestiniens moins enclins aux soulèvements sociaux, moins revendicatifs sur leurs droits nationaux et plus conciliants envers le statu quo. L’idée est qu’il s’ensuivra un accord de paix avec Israël.
Alors qu’il est improbable que cette attente se concrétise – à tout le moins de la manière dont les avocats du projet le prévoient – ces projets de méga-emploi représentent un défi sérieux pour ceux qui s’efforcent de construire pour le futur Etat palestinien une assise indépendante et viable. Parce que les zones vont dépendre de la coopération d’Israël pour fonctionner, et parce qu’elles n’existeront qu’à l’intérieur d’un système économique défini par Israël et qui assure la dépendance des Palestiniens à son égard, elles ne peuvent constituer la base d’une économie souveraine. Compter sur elles perpétuera le statu quo de dépendance.
Les zones industrielles en cours de construction en Cisjordanie sont celles de Al-Jalama au nord, près de Jenine, menée par l’Allemagne avec l’appui de la Turquie ; celle de Bethléem, conduite par la France ; le Parc Agricole de Jéricho (dénommé Vallée de la Paix), à l’initiative du Japon ; le Domaine Industriel de Tarqoumiyya, au sud, près d’Hébron, lancé par la Banque Mondiale et la Turquie. A Gaza, la zone industrielle d’Erez, le long de la frontière israélienne, a été abandonnée par Israël et n’est plus opérationnelle. Le Domaine Industriel de Gaza (qu’Israël appelle Zone industrielle de Karni), un secteur développé par les Palestiniens au sud-est de la ville de Gaza, est au point mort depuis 2007, quand les Israéliens ont lourdement restreint la circulation vers et hors de Gaza.
La Corée du Sud et l’Inde caressent aussi l’idée de sponsoriser un techno-parc, qui pourrait accueillir davantage d’entreprises de haute technologie, mais ce concept est le moins avancé de tous.
La zone frontalière qui a été le plus longtemps opérationnelle est la zone industrielle d’Erez, située à l’extrémité nord de la Bande de Gaza. Elle était supposée, selon le ministère israélien des affaires étrangères, employer 20 000 Palestiniens, mais n’a jamais approché l’emploi d’un quart de ce nombre. Et, en 2004, le ministère israélien de la défense a pris la décision de retirer, pour des raisons sécuritaires, les entreprises israéliennes situées dans la zone. Le secteur est devenu un no man’s land. Le 2 janvier 2006, le Jerusalem Post relatait que le ministre turc des affaires étrangères, Abdullah Gül, était en visite en Israël pour la signature d’accords entre Israël et l’Autorité Palestinienne concernant le rôle de la Turquie dans la résurrection de la zone industrielle d’Erez. Une personnalité officielle israélienne décrivait le projet comme « le bébé » du premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan. Mais suite à la prise de pouvoir de Gaza par le Hamas en 2007, la Turquie a gelé le projet et la zone reste vacante.
Il existe aussi en Cisjordanie une aire industrielle ancienne nommée Atarot, au nord de Jérusalem, le long de la principale route vers Ramallah, aujourd’hui éclatée en son milieu par le mur de séparation israélien. La zone industrielle d’Atarot est totalement gérée par Israël et elle héberge principalement des entreprises israéliennes. Atarot se situe sur le côté occidental du mur de séparation, de sorte qu’elle n’est accessible à des Palestiniens de Cisjordanie que sous réserve d’une autorisation de l’armée israélienne.
Au mieux, la plupart de ces zones industrielles promettent des emplois subalternes et pénibles à des Palestiniens extrêmement dépendants de fonds humanitaires pour subsister. Le projet de zone industrielle constitue un changement par rapport à l’actuel système d’assistance à financement international et caractérisé par un secteur public hypertrophié et de massives livraisons de produits de subsistance, vers un système également fondé sur un financement étranger, mais qui exige des Palestiniens qu’ils vendent leur force de travail au bénéfice de ces entités commerciales établies dans les zones industrielles – ce dont la réussite dépendra de la bonne volonté israélienne. Un regard plus attentif à la manière dont les zones sont en train de se développer est révélateur pour comprendre qui est supposé en profiter et comment elles sont connectées à l’économie globale.
La France est derrière la création du Parc Industriel Pluridisciplinaire de Bethléem, pour lequel l’Autorité Palestinienne a délivré un titre de propriété publique sur 500 dunams (125 acres, soit une soixantaine d’hectares). Le Président français Nicolas Sarkozy a choisi à cette fin Valérie Hoffenberg, directrice à Paris du Comité Juif Américain (un groupe qui milite pour Israël). Sa mission était de superviser le déroulement du projet.
Dans un article publié dans le quotidien israélien Haaretz le 27 mai 2010, pour lequel Valérie Hoffenberg a été longuement interviewée, elle raconte comment le projet de zone franche industrielle est né lors d’un dîner auquel elle assistait en 2008 avec Sarkozy et le Président Shimon Perès. Selon elle, le projet a été conçu sur la croyance, partagée par Perès et Sarkozy, qu’une économie palestinienne viable encouragerait le processus de paix. Valérie Hoffenberg, qui travaille dans le bâtiment du ministère français des affaires étrangères, décrit son travail comme « une nouvelle forme de diplomatie ».
Avant l’inauguration du parc, Valérie Hoffenberg a organisé une rencontre entre des hommes d’affaire français et israéliens, en s’efforçant de les faire entrer dans le projet. « J’ai sollicité 36 entreprises, y compris les PDG des firmes les plus importantes, comme France Télécom, Schneider, Publicis, Renault, Sephora, J.C.Decaux – toute l’équipe culminante », proclame-t-elle.
Une autre entreprise naissante est la zone industrielle germano-turque d’Al-Jalama, à l’extérieur de la ville palestinienne de Jénine, un espace traditionnellement agricole. Le projet est géré par l’Autorité Palestinienne, Israël et la Compagnie Shamal. Une ONG palestinienne pour la recherche et le développement, qui s’est amplement organisée autour du phénomène des zones industrielles, signale que le projet s’est heurté à l’opposition d’agriculteurs de la vallée de Jezrîl, l’un des secteurs les plus fertiles de Jénine, et qu’en conséquence il peut être annulé. Les agriculteurs ont refusé de vendre leurs terres, en partie parce que le type d’usines à implanter n’est pas clarifié, en partie parce que des terres agricoles ont déjà été confisquées par Israël pour la construction de son mur de séparation.
Le projet de Al-Jalama a reçu peu d’attention médiatique ; néanmoins, avec celui de Bethléem, c’est l’un de ceux qui avancent le plus vite. La procédure de planification pour cette zone a démarré bien avant le commencement de l’Intifada à l’automne 2000. La principale banque allemande de développement, la KfW Entwicklungsbank, a été chargée de mener une étude de faisabilité passablement coûteuse, en suite de quoi l’Allemagne a investi 10 millions d’euros pour financer l’infrastructure de la zone.
Mais quand Israël a procédé en 2000 à un redéploiement militaire majeur dans toutes les villes palestiniennes, le projet a été mis en suspens et l’infrastructure de Jénine a été détruite.
Au moment où le projet a été revisité en 2005, KfW a été chargée d’actualiser l’étude de faisabilité et la Turquie a été sollicitée pour prendre part au projet. Théoriquement, la partie turque achètera 75% et la partie palestinienne 25% de l’entreprise commune. Cependant, il n’est toujours pas clair d’établir si et comment la crise diplomatique entre Israël et la Turquie, subséquente à l’assaut israélien contre le navire humanitaire Mavi Marmara va affecter le projet.
Les U.S.A. se sont mobilisés pour soutenir tous ces efforts par différents moyens, parmi lesquels les plus visibles sont l’appui à des réformes au sein de l’Autorité Palestinienne à Ramallah. Ce soutien est le plus manifeste dans la deuxième année du programme du premier ministre de l’Autorité Palestinienne, Salam Fayyad, intitulé « Palestine : déployons-nous vers la liberté ; mettons fin à l’occupation ; établissons notre état ».
Le programme, qui inclut des mesures réformatrices dans divers aspects de la gouvernance et de l’économie, appelle, notamment, au développement d’une infrastructure industrielle en complétant les travaux d’aménagement sur des zones industrielles à Jénine, Bethléem et Jéricho, et en établissant trois complexes industriels spécialisés, y compris pour les technologies de l’information, les métaux précieux, les énergies renouvelables et les industries du cuir.
Ce programme a suscité des commentaires dithyrambiques du gouvernement américain et il sert de cadre à l’injection continue des fonds de donateurs.
En dépit de l’enthousiasme international envers ce qui serait ostensiblement une solution originale au conflit israélo-palestinien, l’idée que le fait d’apporter aux Palestiniens un développement économique va promouvoir la paix a ses racines dans la politique israélienne depuis les débuts de l’occupation. Après qu’Israël eut pris sur la Jordanie et l’Egypte le contrôle de la Cisjordanie et de Gaza en 1967, le niveau de vie dans les Territoires Occupés a grimpé en flèche. Alors que cette croissance était largement due aux versements faits par des Palestiniens travaillant dans le Golfe et de l’autre côté de la Ligne Verte (qui sépare Israël de la Cisjordanie et de Gaza), Israël a investi dans la formation professionnelle et dans le développement agraire à une échelle qu’on n’avait pas vue sous souveraineté jordanienne et égyptienne.
Malgré ces efforts, et à cause de la domination ininterrompue de l’armée israélienne et de la répression des aspirations nationales palestiniennes, un soulèvement de la base s’est répandu à travers les Territoires Occupés en 1987, et s’est poursuivi jusqu’à la signature des accords d’Oslo en 1993. C’était donc une solution politique et non économique qui, au bout du compte, apportait la paix.
La notion selon laquelle des relations d’affaires vont favoriser la paix parce que les avantages économiques de la coopération vont peser davantage que les bénéfices de la résistance n’est tenable que si les deux parties bénéficient également de la coopération. Pour les Palestiniens, il est attendu que le bénéfice soit économique. Pour les Israéliens, le projet est supposé amener à un opposant plus tranquille. Mais au cas où la tentative échouerait, il est improbable qu’Israël en soit lourdement affecté dans son économie. Par contre, si les zones industrielles doivent former la base de l’économie palestinienne, les Palestiniens subiront des pressions économiques pour se plier à la volonté israélienne.
Le projet présuppose donc que ce sont les Palestiniens qui entravent le processus de paix, et que s’ils peuvent être persuadés de coopérer, un accord de paix s’ensuivra. Il ne laisse pas place à la possibilité que le statu quo – une séparation – soit une option valable pour Israël. Dès lors, plutôt que de promouvoir un règlement final, le projet de zones industrielles risque d’enraciner encore davantage l’occupation israélienne.
Statut Légal
Sous la direction de feu le Président Yasser Arafat, l’Autorité Palestinienne a promulgué la Loi 10 de 1988 relative aux domaines industriels et aux zones franches industrielles. La loi instaurait une Autorité Palestinienne pour le Domaine Industriel et la Zone Franche (PIEFZA) qui devait être « le guichet pour investisseurs ». Le bureau des directeurs de la PIEFZA est constitué de onze membres : sept ministres de l’Autorité Palestinienne, deux représentants de promoteurs commerciaux et deux représentants de Chambres de Commerce et d’Industrie et de groupements industriels.
La loi sur le domaine industriel stipule que la PIEFZA sera responsable de la mise en œuvre de politiques propres à établir et à développer des domaines industriels et des zones franches en Palestine et qu’elle délivrera des permis aux investisseurs. L’Article 39 précise que « des marchandises et des produits fournis à la zone franche industrielle par tout territoire palestinien ne seront soumis à aucune procédure, taxe ou redevance ».
Cette exclusion est devenue une préoccupation majeure pour les résidents locaux, étant donnée la rumeur selon laquelle les lois palestiniennes sur le travail ne s’appliqueraient pas à des travailleurs employés dans ces zones. De même, l’Article 40 de la loi stipule que « L’ensemble des marchandises et produits manufacturés dans les zones franches industrielles et exportés à l’étranger ne seront pas soumis aux règles et procédures légales établies pour l’exportation, les taxes d’exportation et toute autre redevance ».
Une recherche détaillée sur le site internet de la PIEFZA ne révèle aucune information concernant les politiques relatives à l’établissement et au développement des zones. Une demande écrite pour plus d’informations, adressée au directeur général de la PIEFZA, est restée sans réponse.
En outre, et de façon déconcertante, le formulaire de candidature disponible sur le site internet de la PIEFZA aiguille les postulants vers l’envoi des candidatures par fax à un bureau de Gaza, dont on peut présumer qu’il est maintenant tenu par un membre du gouvernement du Hamas. Un tel manque de transparence dans le processus est un reflet déplorable du statut des réformes institutionnelles palestiniennes. Quel profit y a-t-il à investir dans la construction d’organismes publics si ces centres de méga-emploi sont exclus des systèmes établis ?
Si on laisse de côté les acrobaties légales, certaines questions doivent être analysées de beaucoup plus près : qui importe les matières premières dans ces zones ? et qui reçoit les exportations ? Suivre la piste de l’argent mènera fort probablement aux quelques mêmes Palestiniens qui ont financièrement bénéficié des accords d’Oslo. Une indication claire en est la ruée d’organismes économiques et d’individus bien définis vers l’acquisition de terrains à proximité de ces zones planifiées. La majorité des terres palestiniennes n’étant pas formellement enregistrées par le cadastre palestinien, il serait impossible de comprendre qui est effectivement propriétaire de ces terrains.
Qui en profite ?
L’hypothèse en cours est que ces zones seront ouvertes aux affaires pour n’importe quel Palestinien ou toute entreprise qui désirerait y établir une usine. Bien que la thématique sectorielle de chaque zone soit peu claire, si des zones existantes (telles que les maquiladoras au Mexique ou celles de Jamaïque) fournissent quelque indication, les zones de Palestine hébergeront des « affaires sales » - celles qui sont polluantes et où la main d’œuvre est exploités. Les Zones Industrielles Qualifiées (QIZ) de Jordanie en fournissent un exemple dans la région. Les QIZ jordaniennes avaient été conçues comme base d’une coopération économique régionale après le traité de paix israélo-jordanien de 1994.
Pour stimuler la coopération, les produits des QIZ sont soumis à l’accord de libre échange israélo-américain dès lors que la contribution israélienne s’élève à au moins 8%. Il faut s’attendre à une disposition similaire pour les zones palestiniennes, compte tenu en particulier du désir des USA de promouvoir une zone de libre échange au Moyen-Orient. Alors que les QIZ jordaniennes ont généré 36 000 emplois, 75% de ceux-ci sont allés à des travailleurs étrangers, asiatiques pour la plupart. Si l’objectif des zones palestiniennes est la création d’emplois, on peut s’attendre à ce que ces zones emploieront effectivement des travailleurs palestiniens, mais leur statut particulier soulève des questions quant aux conditions de travail qui pourraient prévaloir avec eux.
Les QIZ jordaniennes, comme beaucoup d’autres à travers le monde, sont réputées pour leurs pratiques d’exploitation du travail. Selon deux experts du gouvernement israélien, il est attendu que les zones de Cisjordanie emploient 150 000 à 200 000 Palestiniens, à peu près le même nombre que ceux qui entraient quotidiennement en Israël pour y travailler avant la seconde intifada. Des études du Centre Pérès pour la Paix font même des projections majorées, estimant que, en 2025, 500 000 travailleurs palestiniens seront employés dans les zones industrielles communes. Les attentes israéliennes ne s’arrêtent pas là. Les consultants ont aussi prédit que 30% des activités palestiniennes extérieures aux zones se réorienteront au service des entreprises situées à l’intérieur de celles-ci.
On peut voir, en un mot, une continuation du plan israélien pour réorienter l’économie palestinienne hors de ses bases agricoles et touristiques vers une économie qui soit dépendante des services publics et de la bonne volonté d’Israël. Ce processus s’est déployé depuis le début de l’occupation israélienne en 1967. Quand l’armée israélienne a pris le contrôle de la Cisjordanie et de Gaza, elle a modifié l’agriculture palestinienne en contrôlant les types de récoltes qui pouvaient être plantées pour éviter une concurrence avec les produits israéliens, en confisquant des terres pour réduire le secteur agricole et en taxant les exportations palestiniennes, tandis que les produits israéliens étaient autorisés à entrer sans aucune taxation dans les Territoires Occupés. L’exigence pour toutes les industries d’une licence israélienne a limité le développement industriel, tout comme l’ont fait des taxes plus élevées pour les industries palestiniennes que pour leurs équivalents israéliens. La conséquence est que les industries qui se sont développées ont eu tendance à être celles qui procuraient à l’industrie israélienne des produits à forts besoins de main-d’œuvre et à bas prix. L’industrie, l’agriculture et la main-d’œuvre palestiniennes ont ainsi évolué pour répondre aux besoins de l’économie israélienne.
Après la seconde intifada, quand les travailleurs palestiniens se sont vu interdire l’entrée en Israël, beaucoup sont retournés travailler dans le secteur agricole alors négligé.
Aujourd’hui, l’effort de relance économique en Cisjordanie peut être vue comme une tentative de délocalisation des entreprises des colonies, qui dépendent d’une main-d’œuvre palestinienne à bon marché, vers ces zones « palestiniennes » nouvellement créées, en « légalisant » du même coup leur existence.
Le projet s’accorde bien avec la politique israélienne de ségrégation – une politique qui permet à Israël de confiner les Palestiniens tout en gardant le contrôle de leurs mouvements et de leur viabilité économique.
La ségrégation a été graduellement mise en place depuis les accords d’Oslo en 1993, après lesquels Israël a renforcé ses frontières avec la Cisjordanie et Gaza tout en continuant d’employer des Palestiniens dans des travaux subalternes à l’intérieur d’Israël. Les bouclages étaient utilisés comme un châtiment collectif pour couper les Palestiniens de leurs emplois de l’autre côté de la Ligne Verte. Après que la seconde intifada eut éclaté, Israël a encore resserré ses frontières avec les Territoires Occupés. Plus tard, Israël a construit physiquement le mur de séparation pour diviser les populations palestinienne et israélienne. Mais les institutions gouvernementales palestiniennes, l’industrie et la liberté de mouvement continuent à dépendre d’Israël, qui contrôle les frontières bordant les Territoires Occupés et qui perçoit les impôts pour l’Autorité Palestinienne.
Des étrangers ont remplacé les travailleurs palestiniens qui avaient antérieurement des emplois subalternes en Israël. Cependant, il s’est avéré que des travailleurs étrangers sont une solution insatisfaisante pour Israël, étant donné son exigence primordiale de maintenir le caractère juif de l’état, alors que ces travailleurs non-juifs essaient maintenant de s’installer de façon permanente. Le schéma de type QIZ réduirait la dépendance d’Israël à l’égard de travailleurs étrangers en amenant les usines vers les travailleurs palestiniens, maintenant qu’il leur est interdit d’aller vers les usines en Israël.
Mouvement et accès
Aussi longtemps qu’Israël contrôlera l’accès à la Cisjordanie et ses ressources, l’opération des zones restera précaire, perpétuellement à la merci de relations positives entre Israël et la Palestine. Etant donnée l’infrastructure actuelle de la Cisjordanie, les capacités hydrauliques et électriques de ces zones seront totalement contrôlées par Israël. Plus important encore, Israël gardera le plein contrôle du mouvement des marchandises et des personnes entre les zones et le monde extérieur. En intégrant à leurs plans l’infrastructure de contrôle israélienne, ces projets servent à normaliser une occupation illégale et à miner les aspirations politiques des Palestiniens.
Lorsque l’ancienne Secrétaire d’Etat Condoleezza Rice s’est envolée de Washington vers Tel Aviv en 2005 pour passer un accord avec Israël sur la mobilité et l’accès des Palestiniens, il était clair que les USA comprenaient que, sans liberté de mouvement, l’économie palestinienne n’a aucune chance, même si le cadre économique prévu n’a rien à voir avec une indépendance économique des Palestiniens. Bien qu’il ait signé l’accord, Israël a refusé d’en mettre en œuvre les clauses, et l’échec américain à affronter Israël signifie que les conditions requises pour une durabilité économique palestinienne n’ont pas encore été remplies.
La Banque Mondiale le reconnaît également quand elle répète dans ses rapports que, même quand elle fait valoir une croissance économique de 8%, « l’investissement critique dans le secteur privé, qui est requis pour conduire à une croissance durable, reste handicapé par les restrictions de mouvement sur les personnes et les biens ». Il est clair que la croissance économique n’équivaut pas nécessairement au développement économique, en particulier dans un environnement politiquement lourd et dépendant des donateurs, comme c’est le cas dans les Territoires Occupés sous le quasi-gouvernement de l’Autorité Palestinienne.
Le statut privilégié des zones suscite aussi des préoccupations éthiques. Tandis que les restrictions israéliennes seront allégées afin d’assurer un fonctionnement aisé pour des investisseurs étrangers, les industries locales continueront à faire face aux mêmes harassements qui ont paralysé l’industrie palestinienne durant des décennies. Du même coup, les entreprises locales seront comparativement désavantagées.
Que doit-il advenir ?
Les fonds de donateurs et les efforts des Palestiniens seraient mieux placés si de tels investissements étaient ciblés sur des avantages économiques naturels comparativement plus notoires de la Palestine, par exemple le tourisme et l’agriculture, sans essayer de confiner leurs activités à des zones fermées qui, au fil du temps, vont vider de larges surfaces de leurs capacités productives - ceci sans mentionner le fait qu’elles créeront une dépendance structurelle envers la bonne volonté d’Israël à permettre le fonctionnement convenable de ces zones fermées. Dans un pays qui inclut l’Eglise de la Nativité, le Sanctuaire du Saint-Sépulcre, le Dôme du Rocher et des dizaines d’autres points d’attraction touristique, il serait sensé de préserver et développer ces richesses existantes, qui sont un pilier potentiel pour une future économie nationale.
Convertir les industries de la Zone Industrielle d’Atarot en quelque chose de plus complémentaire à la cité historique de Jérusalem, par exemple, pourrait servir à sous-tendre le secteur du tourisme palestinien aussi bien qu’à préserver l’inviolabilité des environs de Jérusalem. Plutôt que de construire des zones industrielles, les intérêts des Palestiniens seraient mieux servis si la zone d’Atarot était restituée au contrôle palestinien. Près du complexe d’Atarot se trouve vacant l’aéroport Qalandiya. Actif avant l’occupation israélienne en 1967, celui-ci serait un élément décisif dans les efforts pour édifier le secteur touristique palestinien.
De même, la confiscation de terre agricole pour laisser place à de vastes projets industriels n’a pas pour seul effet de priver les agriculteurs de leurs moyens d’existence, mais elle ajuste structurellement un segment-clé de la main-d’œuvre qui, au fil du temps, va perdre ses compétences. Le développement agricole en Palestine n’a pas besoin d’une « zone », mais il nécessite plutôt qu’Israël se soumette au droit international, en libérant les ressources hydriques palestiniennes et en supprimant la myriade de restrictions d’accès et de mouvement qui empêchent les personnes et les produits de circuler librement en Palestine et à l’étranger. Essayer de concentrer la croissance agricole dans une « zone » limitée ne fait qu’ouvrir la porte au fait que des agriculteurs extérieurs à la zone se trouvent économiquement destitués par la politique publique, au lieu qu’ils soient aidés de façon égale quelle que soit leur localisation.
Entonner la chanson d’une création massive d’emplois dans des zones industrielles, sans en analyser toutes les ramifications, pourrait se faire au détriment de l’avenir économique et politique de la Palestine. Implanter de telles zones d’activité économique plus près des centres de population, et réhabiliter les secteurs industriels existant à proximité des villes a plus de sens aujourd’hui, compte tenu de la volatilité de la situation politique et du besoin de promouvoir des zones existantes, urbaines ou périurbaines (dont beaucoup représentent des risques sanitaires et environnementaux pour les populations voisines). Un point de départ stratégique serait d’installer des zones de haute-technologie à proximité des campus universitaires. Mieux encore, apporter de tels investissements aux universités elles-mêmes, qui ont un besoin aigu de modernisation et de développement à long terme, aurait un impact plus durable et dissuaderait mieux de l’agitation politique.
Tandis qu’elles peuvent bénéficier à une certaine élite, les zones économiques programmées ne sauraient servir les intérêts stratégiques des Palestiniens. La notion selon laquelle des différends politiques peuvent se résoudre par la création d’emplois est fondamentalement erronée et ne changera pas la réalité : 60% des Palestiniens sont des personnes déplacées dans leur pays ou bien stagnent dans des camps de réfugiés à quelques heures seulement de leurs maisons et de leurs biens ; un million et demi de Palestiniens survivent à Gaza dans les conditions d’un siège ; des centaines de milliers ont été illégalement détenus en Israël ; et l’économie est micro-administrée par une armée étrangère. Les projets de développement proposés par la communauté internationale ne font que normaliser l’occupation illégale, en agissant en partenariat avec Israël pour ajuster ses mécanismes de contrôle.
(Traduit par Anne-Marie PERRIN pour CAPJPO-EuroPalestine)
*Sam Bahour est un expert palestinien en management, qui vit à Ramallah. Cet essai a été rendu possible grâce à une aide partielle de la Fondation Rosa Luxembourg.
CAPJPO-EuroPalestine
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