vendredi 3 décembre 2010

C’est plus qu’un pot-de-vin : Obama laisse tomber les droits palestiniens

jeudi 2 décembre 2010 - 06h:21
Ramzy Baroud - ArabNews
Le temps est-il venu pour les Palestiniens de réfléchir hors des sentiers battus états-uniens ? Les Arabes peuvent-ils enfin s’en écarter pour rechercher d’autres partenaires et alliés dans la région et dans le monde ?
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Mahmoud Abbas doit actuellement vivre les moments les plus humiliants et les plus difficiles
de sa si peu éminente carrière.
La politique pour le Moyen-Orient du Président US, Barack Obama, pourrait bien s’avérer la plus néfaste jusqu’à présent dans l’histoire, surpassant même la politique de droite du Président George W. Bush. Même ceux qui ont mis en garde contre l’optimisme patent qui a accueilli l’arrivée d’Obama à la Maison-Blanche, même ceux-là doivent aujourd’hui être stupéfiés de voir jusqu’où descend le Président US pour apaiser Israël - tout cela dans une dangereuse logique selon laquelle il faut absolument faire avancer le processus de paix.
L’ancien diplomate pour la paix au Moyen-Orient, Aaron David Miller, prétend qu’en politique étrangère, « toute avancée dans le monde atrocement douloureux des négociations arabo-israéliennes est importante ». Et d’ajouter : « L’administration Obama a beaucoup de mérite de garder à bord du navire les Israéliens, les Palestiniens et les Etats arabes clés pendant les moments très difficiles. Le Président US s’est emparé de cette question et il s’accroche - exigence incontournable pour le succès. »
Mais à quel prix, Miller ? Et ne croyez-vous pas que le succès d’une partie peut aussi signifier l’échec total et lamentable d’une autre ?
La secrétaire d’Etat US, Hillary Clinton, aurait passé huit heures avec le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, rien que pour le persuader d’accepter l’un des plus généreux pots-de-vin jamais offerts par les Etats-Unis à une puissance étrangère. L’accord inclut de céder à Israël des avions de combat américains pour une valeur de trois milliards de dollars (en plus des milliards de dollars d’aides dans le cadre du programme annuel), de couvrir Israël par un veto contre toute résolution du Conseil de sécurité des Nations unies qui serait jugée lui être défavorable, d’exclure Jérusalem-Est de tout gel de la colonisation (donc de tolérer l’occupation illégale de la ville et son nettoyage ethnique en cours). Et, plus dangereux encore, « la promesse écrite des Etats-Unis que ce sera la dernière fois que le Président Obama demandera par voies officielles aux Israéliens de mettre fin à toute construction coloniale ».
Importante. Apaiser. Succès. Sont-ce vraiment là les justes termes pour décrire cet odieux scandale ? Même le terme de « pot-de-vin », qui est abondamment utilisé pour qualifier la générosité américaine, n’est pas celui qui convient ici. Les pots-de-vin ont défini la relation entre la toujours plus généreuse Maison-Blanche et un Congrès de collaborateurs pour gagner les faveurs d’un Israël toujours plus exigeant et de son lobby de Washington toujours plus menaçant. Ce n’est pas le concept de corruption qui doit nous choquer, mais l’ampleur de celle-ci et le fait que le pot-de-vin soit proposé par un homme qui se positionne lui-même comme un artisan de la paix (et qui fut, en effet, authentifié comme tel, avec la gracieuse permission du Comité du prix Nobel de la paix).
Ce qui est également choquant, c’est le maigre retour qu’Obama peut attendre en échange de tous ces dollars durement gagnés par les contribuables US. Selon Atlantic Sentential, ce ne sera qu’ « un simple prolongement de trois mois du moratoire sur la colonisation expiré depuis fin septembre ». Admettant d’emblée que ce n’était que pures « manœuvres de mi-mandat », Noah Feldman, dans le New York Times, pose la question : « Obama peut-il réussir là où tant d’autres ont échoué ? ». Il donne un avant-goût de sa réponse : « Israël et l’Autorité palestinienne ne rendront pas, bien entendu, les choses faciles ».
Vous êtes sérieux, Feldman ?
Le Président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, dont le mandat a déjà pris fin, doit actuellement vivre les moments les plus humiliants et les plus difficiles de sa si peu éminente carrière. Un moment, il avait espéré que l’arrivée du Président Obama lui épargnerait, à lui et à son Autorité, plus de hontes. Imaginant que le Président se rangerait à son côté dans sa position « modérée », il a mis tous ses œufs dans le panier Obama, il a même défié le gouvernement démocratiquement élu des Palestiniens dans les territoires occupés. Il est même allé jusqu’à mettre fin à l’enquête internationale sur les crimes israéliens lors de la récente guerre israélienne contre Gaza, rien que pour ne pas contrarier le gouvernement de Netanyahu ni heurter les sensibilités proisraéliennes du Congrès US.
Certes, Abbas a essayé, à certains moments, d’apparaître comme un dirigeant déterminé et sûr de lui. Il a recherché l’occasion de reprendre les pourparlers de paix, il a conditionné son acceptation à des actions israéliennes qui ne se sont en réalité jamais concrétisées, et finalement, il a sollicité l’aide de la Ligue arabe, une organisation aux abois et indécise, qui n’a aucun mandat politique.
Comment Abbas et son Autorité ont-ils pu rendre les choses « difficiles » pour les Etats-Unis, Feldman ? Un gouvernement qui se respecte doit-il accepter des concessions, faites en son nom, sans avoir la possibilité de donner son propre avis ? Mais c’est exactement ce qu’a fait l’Autorité palestinienne, et à maintes reprises, avec Abbas.
Et pourtant, bien des Israéliens ne sont pas satisfaits de ce marchandage. Caroline B. Glick, écrivant dans le Jerusalem Post, décrit le gel des constructions dans les colonies juives illégales en Cisjordanie comme « un viol discriminatoire des droits de propriété de citoyens respectueux des lois (qui est) à vous en couper le souffle ». Elle a même l’outrecuidance d’assimiler ce pitoyable moratoire à un « abandon de terres ».
Pour ce qui est de cet important marché des F-35, c’est « tout simplement bizarre », soutient-elle car après tout, « Israël a besoin des F-35 pour se défendre contre des ennemis comme l’Iran ».
Stupéfiant. Les USA offrent généreusement les droits palestiniens sur un plateau d’argent à Israël, et la mentalité d’extrême droite, qui imprègne aujourd’hui les grands courants politiques et la société en Israël, trouve cela encore inacceptable.
Mais, à part cette réponse israélienne arrogante, et les tentatives des médias US à trouver du positif dans ce scandale Obama, une question doit être soulevée. Que va-t-il arriver maintenant qu’Obama a finalement montré qu’en réalité, il n’était pas différent de ses prédécesseurs ? maintenant que les Etats-Unis ont perdu le contrôle de leur propre politique étrangère au Moyen-Orient ? que, franchement, Netanyahu s’est avéré plus déterminé, plus tenace et avec plus de ressources que le Président américain ?
Allons-nous poursuivre le même raisonnement, encore et toujours, ou enfin le temps est-il venu pour les Palestiniens de réfléchir hors des sentiers battus états-uniens ? Les Arabes peuvent-ils enfin s’en écarter pour rechercher d’autres partenaires et alliés dans la région et dans le monde qui ont compris le lien entre paix, stabilité politique et prospérité économique ? Il est peut-être temps pour eux de faire avancer leur relation avec la Turquie, d’établir des contacts avec l’Amérique latine, de demander des comptes à l’Europe et d’essayer de comprendre et d’engager la Chine.
Les récentes élections US ont montré que le battage médiatique d’Obama avait fait son temps aux Etats-Unis mêmes. Peut-on au moins espérer que les Palestiniens, les Arabes et leurs amis se rendront compte que tout cela n’était, effectivement, que du battage médiatique - avant qu’il ne soit trop tard ?
(JPG) Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com.
28 novembre 2010 - ArabNews - traduction : JPP
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