vendredi 8 octobre 2010

Il y a 40 ans : Septembre Noir

jeudi 7 octobre 2010 - 17h:13
Jean-Jacques Lamy - Lutte Ouvrière
Il y a quarante ans, le 17 septembre 1970, commençait ce qu’on allait appeler le « Septembre noir » des Palestiniens. L’armée jordanienne intervenait massivement contre les organisations et les populations palestiniennes réfugiées sur son territoire. Les bombardements des principales villes du pays, le pilonnage par l’artillerie des camps de réfugiés allaient faire des milliers de morts.
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Amman 1970 - Combattants de la résistance palestinienne
Au lendemain de la création d’Israël, en 1948, la Jordanie, qui avait annexé la Cisjordanie palestinienne, avait été l’un des principaux pays d’accueil des Palestiniens chassés de leurs terres par les armées israéliennes. L’occupation de la Cisjordanie par Israël après la guerre des Six-jours de juin 1967 provoqua un afflux de nouveaux réfugiés. À la fin des années 1960, les Palestiniens constituaient 60 % de la population - l’armée jordanienne elle-même était composée en majorité de Palestiniens - et le pays était devenu l’une des bases principales des organisations nationalistes palestiniennes et le point de départ de la plupart des opérations militaires des fedayins contre Israël, et donc la principale cible des opérations de représailles de l’armée israélienne. Mais c’est du régime arabe « ami » de Jordanie qu’allait venir le coup décisif.
Les conséquences de la défaite arabe de 1967
Depuis la fondation de l’État d’Israël, en 1948, les dirigeants des États arabes avaient pourtant fait de la tragédie du peuple palestinien et de la lutte contre Israël « la cause sacrée du monde arabe ». Mais il ne s’agissait pour eux que d’une démagogie bien commode, destinée à détourner le mécontentement de leurs populations contre l’ennemi extérieur. C’est ainsi, avec l’appui et les finances des États de la Ligue arabe, que fut créée, le 28 mai 1964, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Mais il s’agissait là de canaliser et contrôler la révolte du peuple palestinien, tout en montrant que les dirigeants arabes aidaient effectivement ce peuple frère.
La débâcle des armées arabes face à l’offensive de l’armée israélienne, en juin 1967, changea la situation. En six jours les armées égyptienne, syrienne et jordanienne s’effondrèrent. L’Égypte perdit la bande de Gaza, qu’elle avait annexée en 1948, et la péninsule du Sinaï, la Syrie fut amputée du plateau du Golan, et la Jordanie de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Les dirigeants arabes perdirent tout crédit aux yeux des masses arabes et des populations palestiniennes. Celles-ci se tournèrent vers les organisations nationalistes comme le Fatah de Yasser Arafat ou le FPLP de Georges Habache qui affirmaient leur volonté de ne pas baisser les armes, et de continuer la lutte armée.
Nées à la fin des années 1950, ces organisations, qui s’inspiraient de l’exemple du FLN algérien et s’étaient lancées à partir de 1964 dans une politique d’attentats, étaient restées jusque-là très minoritaires. Au lendemain de la guerre des Six-jours, elles multiplièrent les opérations de commando contre Israël. En mars 1968, des fedayins du Fatah mirent en échec des forces israéliennes supérieures en nombre qui avaient lancé une attaque sur Karameh, un village jordanien. Ces faits d’arme soulevèrent l’enthousiasme. Des milliers de jeunes Palestiniens de Jordanie, de Syrie, d’Égypte ou du Liban rejoignirent les fedayins, ces combattants armés de la cause palestinienne. De 1968 à 1970, leurs effectifs furent multipliés par dix. Les organisations nationalistes palestiniennes investirent l’OLP et en prirent le contrôle. En 1969, Yasser Arafat en devint le président.
L’émergence d’un mouvement palestinien puissant, bénéficiant d’une grande popularité dans l’ensemble du monde arabe, et échappant à leur contrôle, fut perçue comme une menace par les régimes arabes. Et cela même si les dirigeants palestiniens, derrière Yasser Arafat, n’avaient pourtant à aucun moment cherché à tirer parti contre eux du soutien des masses arabes et avaient donné de multiples gages de leur volonté de ne pas s’ingérer dans leurs affaires intérieures.
Les dirigeants arabes, se méfiaient néanmoins des organisations palestiniennes, et de la capacité de leurs dirigeants à maîtriser le mouvement de masse qui les portait. Même à leur corps défendant, les fedayins pouvaient devenir un point de ralliement et un ferment révolutionnaire pour tous les opprimés de la région et en tout cas un facteur d’instabilité pour tous les régimes du Moyen-Orient.
Le roi Hussein choisit l’affrontement
En Jordanie, la menace était immédiate pour le roi Hussein. Les organisations palestiniennes, fortes de 40 000 hommes en armes, y constituaient, de fait, un État dans l’État. Elles avaient déjà pris le contrôle de plusieurs zones du royaume. Dans la capitale, Amman, les fedayins tenaient le haut du pavé et exerçaient, en concurrence avec les forces royales, des tâches de police. Or, si les dirigeants de l’OLP n’envisageaient pas de renverser Hussein, celui-ci en revanche n’était pas disposé à tolérer le pouvoir de l’OLP. Dans l’épreuve de force inévitable ce fut donc le roi Hussein qui passa à l’action.
En juillet 1970, après plusieurs mois de tension entre Israël et l’Égypte, avec pour toile de fond une partie de bras de fer entre les États-Unis et l’URSS, Nasser, qui faisait jusque-là figure de chef de file du nationalisme arabe, acceptait le plan de paix proposé par le secrétaire d’État américain Rogers et approuvé par l’URSS. Il fut imité par la Jordanie et par tous les gouvernements arabes. Ce plan, présenté comme la dernière chance d’un retour à la paix dans la région, mais qui ignorait les revendications nationales des Arabes de Palestine, ne pouvait qu’être rejeté par les organisations palestiniennes. Une campagne internationale dénonça alors celles-ci comme des fautrices de guerre irresponsables. C’est dans ce contexte qu’Hussein put lancer son offensive militaire contre les fedayins et les camps de réfugiés en Jordanie.
Hussein de Jordanie bénéficiait du soutien ouvert des États-Unis, qui menacèrent d’intervenir militairement « pour protéger leurs ressortissants » si les troupes d’Hussein étaient mises en difficulté. Il bénéficia aussi du soutien tacite de l’ensemble des régimes arabes, de l’Égypte de Nasser à l’Arabie Saoudite du roi Fayçal. Seule la Syrie fit mine de vouloir défendre les Palestiniens en faisant entrer quelques tanks en Jordanie, mais ceux-ci furent retirés aussitôt.
Après dix jours de massacres, les accords du Caire, conclus le 27 septembre entre le roi Hussein et Yasser Arafat sous l’égide du président égyptien Nasser, furent censés mettre fin aux combats. Mais dans les mois qui suivirent, l’armée d’Hussein traqua dans tout le pays les combattants palestiniens qui avaient survécu aux massacres. Les combattants palestiniens, laissés sans perspectives, sans directives, payèrent le refus de l’OLP de s’appuyer sur la sympathie des masses populaires arabes pour s’en prendre aux régimes en place. Mais il fallut encore un an aux troupes d’Hussein pour éradiquer toute présence palestinienne armée sur le territoire jordanien. En juillet 1971, les troupes royales écrasaient les derniers combattants palestiniens réfugiés dans le nord du pays.
Le « Septembre noir » était la démonstration que dans leur combat contre l’oppression israélienne, les Palestiniens n’avaient rien à attendre des dirigeants des États arabes, quelle que soit leur démagogie nationaliste ou progressiste. Ces dirigeants, au même titre que ceux de l’État israélien et de l’impérialisme américain, refusaient toute remise en cause du statu quo régional, et même simplement de faire droit aux revendications nationales du peuple palestinien... même au prix d’un massacre. La même situation allait d’ailleurs se reproduire un peu plus tard au Liban, à partir de 1975. Les Palestiniens allaient être ainsi menés de défaite en défaite parce que, dans le partage du Moyen-Orient effectué par l’impérialisme, il n’y avait pas de place pour eux ; mais aussi parce que, face à cette situation, les perspectives nationalistes de l’OLP se révélaient trop étroites.
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