vendredi 8 octobre 2010

Des artistes brisent le silence sur la Palestine

mercredi 6 octobre 2010 - 05h:07
Stefan Christoff
Rabble.ca 
Les artistes jouent un rôle galvanisant pour faire bouger l’opinion populaire sur les questions déterminantes de notre temps.
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Ce n’est pas la première fois que des artistes se trouvent en première ligne
d’un mouvement international.
Les luttes historiques pour la justice sont souvent relancées au niveau populaire, pas par des slogans de campagnes ou des discours politiques mais par des symboles artistiques. L’art peut se saisir tant de l’émotion humaine que de l’énergie politique des moments forts de l’histoire, en une estampe de l’expression culturelle de notre conscience sociale collective.
La crise humanitaire à Gaza inquiète le monde et c’est pourquoi de nombreux artistes se tiennent aux côtés de la Palestine comme jamais auparavant, et notamment le poète et musicien, Gil Scott-Héron.
Figure fondatrice de la culture hip-hop, Scott-Heron marque l’histoire contemporaine artistique en tant qu’innovateur du rap mais aussi parce qu’il a le génie des mots, qu’il se saisit du fond même des points de faiblesse de la critique en Amérique à travers les atouts de la poésie. Il a annulé récemment un concert prévu à Tel Aviv - « Tant que tout le monde n’y sera pas le bienvenu », des mots dirigés contre la nature d’apartheid d’Israël - et cette annulation est une évolution historique.
D’autres artistes, comme Elvis Costello, donnent aussi l’alarme, par leur art, sur la souffrance palestinienne, montrant qu’un basculement est très proche dans le mouvement mondial des arts en faveur de la Palestine. « C’est une question d’instinct et de conscience, » écrit Costello, dans une lettre ouverte à propos de l’annulation de son concert en Israël cet été. « Il y a des circonstances où le simple fait d’avoir votre nom ajouté sur un calendrier de concerts peut être interprété comme un acte politique qui porte plus que tout ce qui peut être chanté et qui laisse supposer qu’on ne se préoccupe pas de la souffrance de l’innocent ».
Solidarité artistique, de Johannesburg à Jérusalem
Aujourd’hui, de plus en plus d’artistes apportent leur soutien à la campagne mondiale de boycott, de désinvestissements et de sanctions contre la politique d’apartheid d’Israël, et ce n’est pas la première fois que des artistes se trouvent en première ligne d’un mouvement international.
Le plaidoyer des artistes en faveur de la liberté en Palestine s’appuie sur les relations historiques entre une culture d’avant-garde et les luttes pour la justice sociale. Le soutien artistique pour la Palestine, coordonné au niveau mondial, reflète dans l’histoire d’aujourd’hui le rôle crucial que les artistes ont joué dans la confrontation avec l’apartheid d’Afrique du Sud des années 1960 à 1990, et le moment où Nelson Mandela, après 27 années comme prisonnier politique, ressortit libre, symbolisant la fin de l’apartheid.
« La liberté est un privilège, personne n’en profite gratuitement, » chantaient les artistes à Sun City (vidéo) et notamment Scott-Heron, Jimmy Cliff et Bruce Springsteen, des paroles riches de sens aujourd’hui alors que Gaza est toujours assiégée. Sun City, qui connut un succès mondial en 1985, lança, sur les ondes de la radio pop, le projet d’un engagement des artistes renommés à boycotter l’apartheid en Afrique du Sud, projetant les Artistes Associés contre l’Apartheid sur le devant de la scène internationale.
Des décennies avant les vidéos clinquantes de Miles Davis et Bono, le Comité américain pour l’Afrique se lança le premier dans la création d’un mouvement artistique pour l’égalité en Afrique du Sud, en parrainant une déclaration contre l’apartheid en 1965, signée par des personnalités culturelles et qui proclamait : « Nous disons non à l’apartheid. Nous prenons cet engagement avec une détermination solennelle pour refuser toute incitation, et même toute association professionnelle avec l’actuelle République d’Afrique du Sud, ceci jusqu’au jour où tous ses habitants profiteront à égalité des avantages éducatifs et culturels de cette terre riche et belle ».
Aujourd’hui, il est largement reconnu que le plaidoyer artistique pour la liberté en Afrique du Sud, après des décennies de campagne constante, a joué un rôle clé dans l’isolement du régime d’apartheid. Les artistes agissaient pour l’Afrique du Sud alors que les politiciens, à Washington et à Londres, appliquaient une politique de complicité. En refusant de se produire sous l’apartheid, les artistes internationaux ont donné un coup de fouet moral déterminant aux mouvements de la résistance sud-africaine qui combattaient pour l’égalité sur leur sol.
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Tourner l’art vers la liberté palestinienne
L’arc historique de la justice qui jaillit dans l’histoire pour le combat sud-africain pour la liberté s’est tourné vers la Palestine.
Au fil des générations, les artistes palestiniens ont élaboré un récit culturel puissant, des expressions sur l’exil et la résistance. Cela va de ces artistes, comme l’auteur Ghassan Kanafani assassiné en 1972 par Israël à Beyrouth, ou le regretté poète national de la Palestine, Mahmoud Darwish, jusqu’aux artistes d’aujourd’hui, comme Annemarie Jacir et le poète Suheir Hammad, tous symbolisent un cœur artistique résolu guidant le changement culturel mondial vers la Palestine d’aujourd’hui.
« Enracinée dans la résistance civile palestinienne séculaire, et inspirée par une lutte antiapartheid, » écrit Omar Barghouti, cofondateur de la Campagne palestinienne pour le boycott universitaire et culturel d’Israël, PACBI, « la campagne de boycott propose une démarche d’ensemble pour réaliser l’autodétermination palestinienne : unir les Palestiniens de l’intérieur de la Palestine historique et en exil, face à l’accélération de son morcellement. »
Un fait simple est d’importance cruciale pour apprécier le développement de la campagne de boycott, c’est que ce sont les Palestiniens qui ont créé, et qui continuent de guider, le mouvement international.
Sur le terrain, PACBI offre un cadre crucial à direction palestinienne pour la mobilisation artistique en faveur de la Palestine, et tous ceux qui, aujourd’hui, travaillent dans le monde de la culture reprennent cet appel. La campagne résolue pour le boycott, durant ces dernières années, a contribué à faire émerger la Palestine comme la question centrale au sein des mouvements mondiaux pour la justice, avec une attention de plus en plus présente également dans la culture populaire aujourd’hui.
Quand Manu Chao lance son appel contre l’injustice du monde envers la Palestine, dans sa chanson Rainin’ in Paradize, le chant a un but : « En Palestine, trop d’hypocrisie, ce monde devient fou, ce n’est pas une fatalité », chante Chao, une vocalisation sur l’émergence du combat palestinien pour la justice au sein de la musique célèbre d’aujourd’hui.
Les catastrophes militaires israéliennes qui se sont déroulées ces dernières années, depuis le bombardement du Liban en 2006 jusqu’à l’agression des FDI contre Gaza, et plus récemment le raid naval israélien contre la Flottille de la Liberté pour Gaza, ont fait naître le sentiment au sein des réseaux d’artistes progressistes dans le monde qu’il y avait urgence à soutenir le combat de libération des Palestiniens.
Déclaration des artistes de Montréal
Internationalement, les artistes apportent de plus en plus leur soutien à la liberté palestinienne, et des développements majeurs de cette évolution importante se produisent aux niveaux locaux partout dans le monde, parallèlement à la fondation culturelle d’un mouvement artistique mondial pour la Palestine.
Les artistes de Montréal se sont unis sous la bannière des « Artistes contre l’Apartheid », un cri sorti du combat sud-africain. Des milliers ont assisté à des séries de concerts des Artistes contre l’Apartheid dans la ville, présentant de nombreuses et éminentes personnalités culturelles.
« La politique vaguement socialiste et communautariste de Montréal », souligne une personnalité dans le New York Times, « a produit plein de possibilités pour qu’une musique nouvelle et contestataire trouve un public. » Au-delà de la musique qui explore les frontières de l’art, Montréal encourage aussi un lien actif entre la culture et les luttes pour la justice sociale.
Les concerts pour la Palestine à Montréal ont mis en lumière une diversité de styles, présentant de nombreux musiciens qui firent de Montréal une vedette de la culture contemporaine, depuis le jazz expérimental jusqu’au folk, au hip-hop.
Des artistes hip-hop renommés de Montréal, comme Nomadic Massive, plurilingue, et l’artiste iraquien de Narcicyst, se sont produits aux côtés du groupe de rap palestinien DAM (Da Arabian Mc’s) aux Artistes contre l’Apartheid.
Les rappeurs palestiniens de DAM, qui furent découverts d’abord dans le film primé Slingshot Hip-Hop de Jackie Salloum, projettent un point de repère hip-hop venant de la terre de Palestine.
« Quand nous luttons pour la justice, on nous qualifie de terroristes, alors nous nous servons de la musique hip-hop pour parler au monde de la Palestine, » souligne Tamer Nafar, créateur de DAM.
Les prestations de DAM à travers l’Amérique du Nord ont oeuvré avec succès à cimenter des liens de solidarité, sur la Palestine, entre les éléments clé des réseaux populaires hip-hop du monde qui définissent les orientations futures de la culture hip-hop.
Avec le célèbre artiste hip-hop algonquin Samian, du Québec, qui prend la scène pour la Palestine, ou les membres du groupe rock adulé Arcade Fire qui se produisent aux Artistes contre l’Apartheid, un changement significatif pour la culture et l’opinion populaires prend le vent, grâce au hip-hop et au-delà.
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Lhasa de Sela, de Montréal, décédée le 1er janvier 2010
L’hiver dernier, 500 artistes de Montréal ont publié une déclaration des Artistes contre l’apartheid israélien pour la Palestine, déclaration remarquable en ce sens que c’était la première fois que des centaines d’artistes d’une ville soutenaient collectivement la campagne de boycott, de désinvestissements et de sanctions. Des personnalités culturelles éminentes ont ajouté leur soutien à la déclaration de Montréal pour la Palestine, notamment le symbole culturel Richard Desjardins, de Québec, célèbre auteur-compositeur et cinéaste.
La regrettée Lhasa de Sela, de Montréal, s’est produite en concert aux Artistes contre l’Apartheid l’an dernier, pendant le festival de Suoni per il Popolo à Montréal, elle fut parmi les premiers artistes à soutenir la déclaration de Montréal.
Lhasa était mondialement renommée pour sa musique magnifiquement envoûtante qui traversait les frontières des cultures et des langues ; très écoutée dans le monde entier, c’était la musique internationaliste d’une artiste qui a marqué et qui, dans la vie, s’est constamment exprimée pour la justice sociale.
« Je suis quelqu’un qui ressent un besoin très fort de liberté et qui refuse de laisser quiconque mis à l’écart, » disait Lhasa.
Aujourd’hui ses mots sonnent juste pour la Palestine, des mots qui évoquent un lien de solidarité, fondamental, humain, avec l’opprimé.
Pour soutenir ou participer aux Artistes contre l’apartheid, ou à tout autre questions concernant la lettre des cinq cents artistes de Montréal, merci de contacter info@tadamon.ca.
* Stefan Christoff est journaliste, militant et musicien, qui agit avec le collectif de Tadamon ! à Montréal. Il écrit régulièrement pour rabble.ca. On peut le contacter sur Twitter.
4 octobre 2010 - Rabble.ca - traduction : JPP
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