mardi 28 septembre 2010

Lettre de Jean-Claude Lefort, président de l’AFPS, député honoraire, à Madame Alliot Marie, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux

publié le samedi 25 septembre 2010
Jean-Claude LEFORT

 
Madame la Ministre : inculpez-moi puisque j’incite et je participe à de telles actions (BDS) !
Paris, le 22 septembre 2010
Madame Alliot-Marie
Ministre de la Justice
13, Place Vendôme
75800 Paris
Madame la Ministre de la Justice, Garde des Sceaux,
Je m’adresse à vous à propos de la circulaire que vous avez envoyée aux Parquets afin qu’ils se fondent sur l’article 24 de la loi de 1881 réprimant l’« incitation à la haine raciale » pour poursuivre les appels au boycott et aux sanctions contre la politique israélienne.
Pour tenter de justifier cet incroyable détournement de la loi, vous avez assimilé ces actions, dans un discours devant le CRIF de Gironde, à un « boycott des produits casher ». C’est mon premier point : apportez la moindre preuve du moindre appel que ce soit à un tel boycott que se livrent ces pacifistes, vous qui en aviez d’ailleurs démenti totalement l’existence à l’Assemblée nationale, dans une réponse au député Eric Raoult qui vous interrogeait précisément sur ce point.
Les actions menées dans notre pays n’ont évidemment rien à voir avec une quelconque discrimination raciale, elles en sont même à l’opposé : elles traduisent la volonté de permettre aux citoyens d’agir directement et efficacement pour mettre un terme à la politique israélienne de colonisation des territoires palestiniens qui constitue – comme l’a souvent dit le Président de la République, à l’instar de la plupart de ses homologues étrangers et d’innombrables résolutions des Nations unies ou déclarations de l’Union européenne – un « obstacle à la paix au Proche-Orient ». Et pourtant celle-ci bénéficie d’une très large et insupportable impunité des autorités françaises, européennes et internationales.
J’insiste pour dire qu’en brandissant cette loi, c’est vous qui prenez le risque d’importer délibérément et dangereusement en France, sous forme de problème ethnique, voire religieux, le face à face israélo-palestinien dont la nature est essentiellement et clairement politique.
Du même coup, vous accréditez auprès des esprits les plus confus l’existence d’une « race » juive et vous amalgamez non seulement tous les Israéliens mais aussi la majorité de Juifs vivant ailleurs dans le monde, y compris les Juifs français, à la politique israélienne. Ce faisant, vous mettez en danger la cohésion nationale à laquelle vous devriez être attachée.
Mais le pire, dans votre démarche, c’est son caractère hypocrite qui ne peut manquer de vous échapper.
Pourquoi, en effet, des hommes et des femmes de toutes opinions et de toutes confessions – que personne ne peut suspecter de racisme – boycottent-ils les produits des colonies israéliennes de Cisjordanie ? Parce que votre gouvernement, et notamment vos collègues Eric Woerth et François Baroin, dont nous avons officiellement et vainement attiré l’attention sur cette grave question, acceptent l’entrée frauduleuse, dans notre pays, de produits issus de ces colonies israéliennes, toutes illégales aux yeux du droit international et de tous les gouvernements français depuis 1967, et cela en contravention totale avec l’Accord d’association UE/Israël ratifié par notre Parlement. Cet accord devrait d’ailleurs être suspendu, comme nous le demandons et comme le Parlement européen l’a exigé par vote en 2002, son article 2 étant violé par les autorités israéliennes. Considérez-vous que cet accord comporte aussi une clause "coupable d’« incitation à la haine raciale » " ?
Je ne vous ferai pas l’injure de croire, Madame la Ministre, que vous ignorez l’état de la politique et de la législation européennes en la matière. Comme l’a rappelé la Cour européenne de justice, en février dernier, dans son arrêt « Brita », l’Accord d’association entre l’Union européenne et Israël, accorde au titre de son article 83 des exemptions fiscales aux produits provenant du territoire de l’Etat d’Israël stricto sensu mais les refuse formellement s’agissant des produits issus des colonies de Cisjordanie, notamment de Jérusalem-Est. De surcroît, le Code français du commerce réprime sévèrement la fraude à l’origine que constitue l’étiquetage mensonger « made in Israël » apposé sur les productions des dites colonies. Or rien n’est fait contre cela et le droit est violé par cette inaction.
D’où mes deux questions :
1) Que comptez-vous faire pour poursuivre ces pratiques délictueuses, que vos collègues ministres semblent tolérer, alors qu’ils sont, jusqu’à nouvel ordre, chargés de faire respecter le droit ?
2) Si vous appelez les parquets à réprimer pour « incitation à la haine raciale » des actions citoyennes s’opposant à une politique israélienne alors qu’ils ne font rien de répréhensible et qu’ils devraient être hors de toute accusation, pourquoi, par contre, ne demandez-vous pas aux parquets de poursuivre, pour ce motif, mais cette fois pertinemment, les responsables politiques français qui stigmatisent, eux, explicitement une communauté. Je pense notamment au ministre de l’Intérieur, déjà condamné pour injure raciste, et qui a couvert de son autorité la directive en date du 5 août 2010, signée de son chef de cabinet, que les juristes les plus compétents estiment contraire à l’article 1 de notre Constitution ? Les Nations unies comme l’Union européenne ont condamné l’expulsion par le gouvernement français de citoyens désignés par leur appartenance ethnique et elles ont même envisagé des sanctions contre notre pays.
Qu’attendez-vous pour poursuivre, avec la même loi, les auteurs de ces discriminations raciales caractérisées, qui, de surcroît, ont placé la France au ban des nations comme jamais elle ne l’a été depuis les heures noires de la guerre coloniale en Algérie ?
Madame la Ministre,
Le « deux poids, deux mesures » est l’exact contraire de la justice républicaine. Juger pour « incitation à la haine raciale » des citoyens honnêtes qui luttent contre toute forme de racisme, et pour le droit international, tout en épargnant des responsables qui non seulement incitent à la discrimination raciale, mais la pratiquent sur le terrain : est-ce là votre morale ? Je vous le dis franchement : en vous prêtant au jeu malsain dont l’ambassadeur d’Israël à Paris a avoué publiquement qu’il était l’inspirateur, vous flétrissez la République et aussi, permettez-moi de l’ajouter, cette « certaine idée de la France » que professait le général De Gaulle.
Madame la Ministre,
Sauf à déconsidérer un peu plus notre pays dans le monde, sauf à vouloir attenter à la dignité de citoyennes et de citoyens qui mènent des actions conformes au droit international et européen en les couvrant d’infamie, je vous demande instamment de mettre un terme à ces procédures iniques dont vous êtes à l’origine.
Si tel n’est pas le cas, je vous prie, Madame la Ministre, de bien vouloir me poursuivre personnellement pour les actions de boycott des produits des colonies israéliennes que développe l’Association France Palestine Solidarité dont je suis le président.
J’attends ce moment avec impatience. Car je ferai alors le procès de tous vos amis qui incitent véritablement à la haine raciale pour mieux défendre la politique coloniale d’Israël que votre gouvernement assure pourtant condamner.
Madame la Ministre : inculpez-moi puisque j’incite et je participe à de telles actions !
Sinon il n’est qu’un autre choix pour vous : revenir sur votre circulaire et indiquer aux parquets votre volonté de défendre le droit – tout le droit mais rien que le droit. La politique et le droit font, en effet, mauvais ménage.
Avec l’assurance de mes sentiments républicains et antiracistes,
Jean-Claude Lefort
Président de l’AFPS
Député honoraire.